Behgjet Pacolli (à gauche), avec Pavel Borodine, responsable de l'administration présidentielle, durant sa visite en Russie lors de l'affaire du Kremlin. 1999. Photographié par Dmitri Dubanin/Kommersant
Participants : Sergueï Strokan, Mira Salganik, Ekaterina Koudachkina, Mohamed Yeslem Beissat, Ariel Cohen, Ivan Zvonimir Čičak
Sergueï Strokan : Cette semaine, nous commençons avec la Libye, puis nous devrions nous pencher sur la réaction de l'opposition russe à la publication de son récent manifeste politique dans les médias occidentaux et enfin, nous finirons avec le scandale de l'élection présidentielle au Kosovo.
La situation en Libye est l'évènement de l'année, éclipsant la Tunisie et l'Égypte. Au-delà des gros titres, Ligne rouge va chercher plus loin pour parler de la Libye et de son leader Mouammar Kadhafi, qui règne depuis fort longtemps sur le pays. Je ne peux résister à la tentation d'ouvrir ce débat avec une phrase bien connue : « La révolution mange ses enfants ».
Mira Salganik : Ce sont les derniers mots de Danton, l'un des leaders de la révolution française, condamné à mort par ses anciens frères d'armes. C'est ce qu'il a dit quelques instants avant d'être guillotiné. Est-ce que vous le comparez à Kadhafi ?
Sergueï Strokan : D'une certaine façon, je pense que ce dont nous sommes aujourd'hui témoins en Libye est un autre tournant de l'histoire. Mouammar Kadhafi se retrouve face à une nouvelle vague de révolutionnaires qui sont en fait venus pour sa propre tête. Je voudrais vous dire ce qui m'a le plus choqué dans son intervention télévisée. C'est ce que le colonel Kadhafi a dit : « Je suis à Tripoli, pas au Vénézuela. Ne croyez pas les chaînes de télévision appartenant à des chiens errants ». Cela a été son principal message après des jours de violences. Bien qu'il ait essayé de se montrer rebelle ces jours-ci, il est clair pour moi que la partie est presque terminée et que le pays glisse vers le chaos.
Mira Salganik : Ces manifestations, qui ont selon vous jeté le pays dans le chaos, semble avoir uni à peu près tout le monde, les hommes dans la rue, les chefs religieux et de tribus, l'armée et les officiers de police à Tripoli et Benghazi, et finalement, les diplomates libyens à New York et ailleurs. D'un côté, il y a une sorte d'unité dans ce mouvement, de l'autre, il existe une division entre clans, entre tribus.
Mira Salganik : La Libye a déjà franchi le point de non retour, mais la question est : et après ?
Sergueï Strokan : Je ne veux pas multiplier à outrance les parallèles entre les scénarios tunisien, égyptien et libyen, mais les trois pays montrent très nettement, selon moi, un nouveau phénomène, les signes d'une identité pan-arabe. Pour la première fois de l'histoire post-coloniale, les nations arabes se soulèvent non pas contre Israël ou les États-Unis, mais contre l'immobilisme politique et l'injustice sociale dans leurs propres pays.
Écoutons une voix de la région, celle de Mohamed Yeslem Beissat, un expert de l'Afrique du Nord, qui vient de nous rejoindre. Il est interrogé par Ekaterina Koudachkina.
Mohamed Beissat : Ce qui se passe en Libye est complètement inacceptable. C'est condamnable et lamentable. Les gens ont le droit de manifester, ils ont le droit de parler et d'exprimer leurs points de vue. Ce qui se passe m'attriste profondément.
Ekaterina Koudachkina : J'ai vu d'étranges rapports selon lesquels Al-Qaida aurait prétendument déclaré qu’elle projetait de s'emparer de la Libye. Dans quelle mesure est-ce vraisemblable ?
Mohamed Beissat : Ce sont de pures âneries. Les Libyens veulent vivre dans la paix et l'harmonie. Ils veulent juste prendre la direction de leur pays et de son futur.
Ekaterina Koudachkina : A-t-on des nouvelles de Mouammar Kadhafi ?
Mohamed Beissat : Il a eu un entretien téléphonique avec la télévision libyenne et a répété ce qu'il avait déjà dit.
Ekaterina Koudachkina : Qu'il était prêt à devenir martyr en Libye ?
Mohamed Beissat : Quelque chose comme ça.
Ekaterina Koudachkina : Est-ce que tout ça n'a pas un côté étrange ? Il y a 40 ans, c'était un leader populaire, n'est-ce pas ? Que s'est-il passé ?
Mohamed Beissat : C'était un nationaliste pan-arabe. Un peu comme le phénomène Nasser en Égypte.
Ekaterina Koudachkina : Qu'est-ce qui va arriver par la suite ? Son fils n'est pas populaire non plus.
Mohamed Beissat : Il n'a aucune légitimité. J'ai été surpris qu'il s'adresse à la population. Qui est-il pour s'autoriser à le faire ?
Ekaterina Koudachkina : Et ses autres fils ?
Mohamed
Beissat : C'est la
même chose pour chacun d'entre eux.
Ekaterina Koudachkina : Est-ce que cela veut dire que c'est la fin du clan Kadhafi ?
Mohamed Beissat
: C'est la fin de ce qui est en en train de se passer en Libye, la
fin de ce régime et le début d'un autre. C'est en réalité une
situation très triste et cela met trop de temps à prendre fin.
Ekaterina Koudachkina : Est-ce que l'opposition a un successeur à nommer ?
Mohamed
Beissat : Cela ne
peut de toute façon qu'être mieux.
Ekaterina Koudachkina : Pensez-vous que cela soit un phénomène universel, que les dirigeants qui restent trop longtemps au pouvoir ont tendance à se transformer en quelque chose de monstrueux ?
Mohamed Beissat : C'est un cas unique. Il a des problèmes dans sa tête et dans sa façon de prendre ses décisions, tirer sur son peuple et tuer des gens, sans Constitution ni lois. Il se comporte en gangster. Je ne peux pas me souvenir de cas identiques, tout du moins dans l'histoire moderne. Ben Ali et Moubarak avaient des constitutions, des parlements et des lois. En Libye, on a affaire à un one-man show.
Ekaterina Koudachkina : Pensez-vous que ce sera un nouveau martyr ?
Mohamed
Beissat : Il ne
quittera pas le pays. Incapable de voir la réalité en face, il
restera jusqu'à la mort. Et elle n'est plus très loin. Quelqu'un le
tuera.
Sergueï Strokan : Passons maintenant au deuxième moment de notre émission, Entre les lignes, où nous discutons traditionnellement des articles les plus intéressants de la semaine. Aujourd'hui, je suggère de commencer par un article intitulé « L'Occident n'embrasse plus les dirigeants russes », du Washington Post. Cela a été rédigé par quatre leaders d'un parti d'opposition russe, réputé particulièrement critiques à l'égard du duo Medvedev-Poutine.
Mira Salganik : Parlons un peu des auteurs.
Sergueï Strokan : Comme je l'ai dit, ils sont au nombre de quatre, Mikhaïl Kassianov, Vladimir Milov, Boris Nemtsov et Vladimir Ryjkov. Ils se déclarent eux-mêmes co-présidents du Parti pour la liberté du peuple de Russie.
Mira Salganik
: Pour être honnête, je n'ai pas beaucoup entendu parler de ce
parti, même si les noms que vous avez mentionnés sont très connus.
Sergueï Strokan : En fait, aucun d'entre eux ne débute en politique russe. Vous vous en souvenez, Mikhaïl Kassianov a été ministre des Finance sous [Boris] Eltsine, puis premier ministre du président [Vladimir] Poutine, et a rejoint l'opposition après avoir démissionné du gouvernement. Boris Nemtsov a été vice-premier ministre sous Eltsine. À un moment donné, il a même été pressenti comme son successeur. Le troisième auteur, Vladimir Milov, a été membre du gouvernement. Enfin, Vladimir Ryjkov est également un vieil oiseau de la politique russe, député à la Douma depuis un certain temps.
Mira
Salganik : Que
disent-ils dans cet article ?
Sergueï Strokan : La plus grande partie de l'article, comme on pouvait s'y attendre, critique âprement les dirigeants russes. L'idée est que l'économie et le système politique russes ont un besoin crucial de « modernisation compréhensive », mais les auteurs estiment que le duo Poutine-Medvedev est un obstacle majeur pour cela. Ils parlent également beaucoup de ce qu'ils appellent la « corruption des membres des institutions russes dont la capacité à trouver des refuges pour les fonds volés et à quitter la Russie pour des vies confortables en Occident est l'un des piliers de la stabilité du régime. »
Mira Salganik : On peut être d'accord ou non avec leur point de vue, mais que proposent-ils? Ont-ils un programme alternatif cohérent ?
Sergueï Strokan : Pas vraiment, et c'est ma principale objection. Il n'y a pas de programme en soi, et surtout pas de programme cohérent, dirais-je.
Mira Salganik
: Mais cela se termine avec quelque chose qui a pour moi valeur de
serment : « Nous sommes sûrs de pouvoir atteindre nos
objectifs par la liberté et un processus démocratique normal, à
condition que cela soit restauré dans notre pays. » Sont-ils
prêts à le restaurer ?
Sergueï Strokan : Rien ne l'indique. Au contraire, ils accusent l'Occident de, je cite, « saper leur cas et de compromettre les principes fondateurs mêmes de l'Occident. » Et vous savez, Mira, j'ai noté autre chose. L'article a une autre caractéristique, qui le différencie des piques habituelles de l'opposition contre Vladimir Poutine. Il contient des critiques ciblées contre le président Medvedev, les plus dures qui lui aient jamais faites.
Mira Salganik : Cet article serait donc une sorte de tournant, selon vous ? Les auteurs s'en prennent à Dmitri Medvedev pour sa « rhétorique pro-démocratie qui ne reste que de la rhétorique. » Et ils pensent que « M. Medvedev s'est compromis dans tout un lot de méfaits ».
Sergueï Strokan :
Le manifeste en lui-même suscite des sentiments partagés. Je pense
que les auteurs ont raison de montrer les dangers de la corruption en
Russie. C'est un secret de Polichinelle que la Russie est un pays
complètement corrompu, que la corruption menace sérieusement son
existence, sans parler de sa modernisation. Mais je ne peux souscrire
à l'idée selon laquelle Dmitri Medvedev ne ferait rien contre la
corruption, ce n'est pas vrai, nous devrions le dire haut et
fort.
Mira Salganik
: La publication de cet article a coïncidé avec toute une série de
licenciements dans les hautes sphères du pouvoir russe. Dans sa
croisade anti-corruption, M. Medvedev a renvoyé le procureur général
de la région de Moscou et le directeur adjoint du tout puissant
Service fédéral de sécurité, successeur du KGB !
Sergueï
Strokan : Je ne
comprends pas la logique d'une attaque contre le président à ce
moment précis. Ça a l'air hors de propos. Je pense qu'ils sont
simplement passés à côté de la question.
Mira
Salganik : Si
l'opposition n'aime pas les dirigeants, elle devrait au moins essayer
de prendre le pouvoir, c'est vrai dans tous les pays, pas seulement
en Russie, soit par des élections, soit par une révolution comme
nous le voyons aujourd'hui dans le monde arabe. Une véritable
opposition se doit d'avoir des tripes. C'est un fait, cette
opposition-là n'a pas de base électorale en Russie. Ils devraient
lancer un message fort et clair pour être entendus par les masses.
Ils devraient disputer et gagner des élections. Il n'y a pas d'autre
moyen. Mais il semble qu'ils préfèrent convaicrebl'Occident que les
prochaines élections seront truquées.
Sergueï
Strokan : Ils
attendent que l'Occident fasse leur travail à leur place ? Je
suppose que c’est tout simplement un indicateur du bas moral des
troupes du côté de l'opposition libérale russe, ce qui est
profondément regrettable selon moi. Mais nous avons réellement
besoin d'une opposition dans ce pays, dans la mesure où nous ne
sommes pas dans un régime du type de ceux du Moyen-Orient ;
nous voulons que la politique soit basée sur autre chose.
Maintenant, je suggère que nous écoutions une interview du Dr.
Ariel Cohen, chercheur de la fondation Heritage à Washington. Il
est interrogé par Ekaterina Koudachkina.
Ekaterina
Koudachkina : Les
auteurs de l'article écrivent que « les baisers et les
embrassades », ce sont les mots qu'ils emploient, ont échoué.
Est-ce correct et qu'est-ce que cela implique ?
Ariel
Cohen : Une
campagne électorale va débuter cette année pour les élections à
la Douma, et une autre pour l'élection présidentielle, l'année
prochaine. Les quatre leaders de l'opposition démocratique,
présidents du Parti de la liberté, pensent que leur parti ne sera
pas traité avec beaucoup d'égards durant les campagnes. Les
démocrates estiment que la politique de redémarrage entre
l'Occident et la Russie autorise des discriminations contre
l'opposition, y compris contre leur parti, dans les élections.
Ekaterina Koudachkina
: Que pourrait faire l'Occident dans cette situation ?
Ariel
Cohen : Ce que les
auteurs de cet article du Washington Post suggèrent, c'est que
l'Occident contrebalance au moins sa recherche d'opportunités
économiques dans la coopération stratégique, comme le contrôle
des armes et la coopération sur l'Afghanistan et l'Iran, par un
positionnement plus strict sur la démocratie russe, les droits de
l'homme, etc. Ils parlent plus précisément du procès Khodorkovski,
de la mort de M. Magnitski en prison, de l'accès à la télévision
et d'autres questions que le président Medvedev lui même évoque,
comme la corruption de la police ou les abus du système judiciaires.
Il y a donc un chevauchement dans cet agenda entre, je dirais, le
président Medvedev et l'opposition démocratique. Et je pense que
c'est dans l'intérêt de la Russie de permettre à l'opposition
démocratique de siéger à la Douma et d'avoir un bon candidat pour
l'élection présidentielle de 2012, à condition que les démocrates
acceptent ce bon candidat. À ce jour, ils n'ont fait montre d’aucune
entente sur cette candidature.
Ekaterina
Koudachkina : Ils
disent également que les pays occidentaux pourraient introduire des
sanctions ciblées contre des officiels. Un régime de sanctions
pourrait-il réellement fonctionner ?
Ariel
Cohen : Nous
n'avons pas de régime de sanctions contre des officiels russes, et
nous parlons de personnes bien spécifiques qui ont commis des crimes
spécifiques, comme laisser M. Magnitski mourir en prison sans soins
médicaux. Mais il y a d'autres pays contre lesquels des sanctions
ciblées sont appliquées ou l'ont été, comme la Biélorussie et
l'Iran. Je ne peux donc pas vous dire si cela pourrait ou non être
efficace, puisque cela n'a jamais été tenté.
Ekaterina
Koudachkina :
Comme vous l'avez dit, le président Medvedev parle également de la
lutte contre la corruption et d'autres problèmes que nous
connaissons. Peut-être les membres de ce parti pourraient-ils être
plus efficaces dans la lutte contre la corruption ?
Ariel
Cohen :
Clairement, les officiels chargés d'appliquer les lois ne devraient
pas accepter de pots de vin, ne devraient pas accepter de recevoir de
l'argent pour protéger des casinos comme cela vient juste d'être
révélé dans la région de Moscou. Pour lutter contre cela, il
faudra probablement faire ce que plusieurs pays d'Europe de l'Est ont
déjà fait : faire appel à de nouvelles personnes, leur donner de
bons salaires, embaucher un nouveau contingent et si l'un d'eux est
pris en train d'accepter un pot de vin ou de fournir des services
qu'il ne devrait pas fournir, non seulement il devra perdre son
emploi, mais également la liberté, et être emprisonné pour
corruption. Le second point, c'est que cela ne doit pas seulement
toucher les policiers de la route qui arrêtent les voitures car
elles sont sales ou n'ont pas de clignotant ou quelque raison de cet
ordre, mais aussi les généraux, les ministres, les vice-ministres
de cette verticale du pouvoir, de cette structure du pouvoir. Après
seulement, quand ces gens qui violent leur devoir sacré de
protection des citoyens « craindront Dieu », la lutte
contre la corruption deviendra efficace et effective. Il est clair
que quand on s’aperçoit que des généraux ont des avions ou des
villas qui coûtent des millions de dollars et conduisent des
voitures étrangères très chères, leurs sources de revenus
pourraient faire l'objet d'une enquête et s'il y a la moindre
suspicion de corruption ou de perception de sommes d’argent de la
part d'hommes d'affaires auxquels ils garantissent des services de
sécurité ou de protection, ces gens devraient être punis ou
remerciés.
La presse libre joue un rôle très important
dans la lutte contre la corruption car les
journalistes se saisissent de ces informations et les publient. La
liberté de la presse doit être protégée par la Douma, par
l'exécutif et par les tribunaux. Les journalistes ne devraient pas
être attaqués ou touchés parce qu'ils creusent dans la boue
d'officiels corrompus. Mais les médias ne parviendront pas à faire
ce que seuls peuvent accomplir les organes du pouvoir et la justice,
c'est-à-dire arrêter les gens qui violent la loi et les punir comme
il se doit.
Ekaterina Koudachkina
: Quelles seraient les meilleures conditions pour mettre en place ce
splendide programme ?
Ariel
Cohen : Je pense
que les politiciens, qui se battent pour avoir le pouvoir politique
et se plaignent de n’avoir pas un accès égal aux médias, font
appel à la presse étrangères car ils ressentent, comme les
dissidents sous l'URSS, trop de pression de la part des autorités.
Compte tenu de ce qui arrive dans le monde arabe, la leçon que
devrait retenir le gouvernement ne devrait pas être « plus de
répression » mais « moins de mesures visant à contenir
l'opposition et au contraire, d’avantage d’effort pour favoriser
l'opposition démocratique qui est en faveur de la modernisation et
de l'intégration de la Russie dans l'économie mondiale ».
Russie Unie, le parti au pouvoir, a besoin de coopérer d’avantage
avec son peuple.
Sergueï Strokan
: Nous allons passer à la dernière partie de notre émission Ligne
rouge, L'homme qui fait l'info.
Cette semaine, nous parlons de Behgjet Pacolli, le président
kosovar nouvellement élu, dont la nomination, approuvée par le
parlement du Kosovo mardi dernier, s'est transformée en véritable
scandale, l'opposition l'accusant d'avoir acheté des votes à la
veille du scrutin final. Behgjet Pacolli, le millionnaire devenu
président, est un personnage très controversé en Russie, où son
entreprise de construction basée en Suisse a rénové le Kremlin à
la fin des années 1990, mais il est aussi bien connu dans les
Balkans et en Europe.
Ce n'est un secret pour personne que
nombre de Kosovars se méfient de M. Pacolli, en raison de ses
relations sulfureuses avec la Russie.
Mira Sagalnik
: Il est vrai qu'en Russie, le nouveau président élu du Kosovo est
connu comme l'acteur principal du scandale de la reconstruction du
Kremlin dans lequel de nombreux proches de l'ancien président Boris
Eltsine ont trempé.
Sergueï Strokan
: Kommersant, un quotidien moscovite, nous rappelle que M. Pacolli,
le leader de l'Alliance pour un Kosovo nouveau, est arrivé à Moscou
au début des années 1990 lorsque Mabetex Group, sa compagnie basée
en Suisse, a été accréditée pour la première fois pour mener des
projets dans la république de Sakha (Iakoutie).
Mira
Sagalnik : Il
s'est lié d'amitié avec Pavel Borodine qui a pris la tête du
Département de gestion des biens présidentiels en 1993. Peu après,
l'entreprise de M. Pacolli a été choisie pour la reconstruction du
Kremlin, de la résidence présidentielle Chouïskaïa Tchoupa et des
quartiers généreux du gouvernement et de la Douma d'État.
Sergueï Strokan
: En 1996, les bureaux de Matebex à Lugano, en Suisse, ont été
fouillés à la demande de la Russie et Behgjet Pacolli a été
interrogé par la procureur d'État suisse Carla Del Ponte. Les
autorités suisses ont accusé M. Pacolli de blanchiment d'argent et
de versement d'énormes pots de vin, mais la procédure en Russie a
été rejetée en 2000 et la Suisse a fermé le dossier en mars 2002.
Aujourd'hui, M. Pacolli repparaît au grand jour en tant que
président du Kosovo, un chef d'État qui va devoir discuter des
problèmes internationaux à Bruxelles, Washington, Belgrade et même
Moscou.
Mira Sagalnik
: Au Kosovo, le président est élu par le parlement, comme nous
l'avons appris, et c'est le parti au pouvoir, ou la coalition, qui
nomme les candidats. Souvenons-nous que bien que le président
dispose de moins de pouvoirs que le premier ministre, il n'est en
aucun cas cantonné aux cérémonies officielles. Plus encore, selon
les médias albanais, l'Alliance pour un Kosovo nouveau va nommer un
député comme premier ministre et quatre ministres, dont les
portefeuilles ne sont pas encore clairs.
Sergueï
Strokan : Alors
que les partis serbes auront trois ministres. Les autres minorités
se partageront deux postes, avec un ministre et un vice-ministre.
Quoi qu'il en soit, ni le président du Kosovo, ni son Premier
ministre ne peuvent espérer gagner du respect dans la sphère
politique, hélas. M. Pacolli est peut être, comme il l'a lui même
déclaré, « l'Albanais le plus riche du monde », mais
ses exploits scandaleux en Russie seront difficiles à faire oublier.
Dans tous les cas, maintenant que le Kosovo a un
gouvernement, plus de deux mois après l'élection, Bruxelles peut
commencer à travailler sur le projet qu'il chérit de longue date, à
savoir, le dialogue entre Belgrade et Pristina. Mais écoutons notre
dernier intervenant, dans les Balkans. Voici IvanZvonimir Čičak
, président du Comité croate pour les droits de l'homme. Il s'est
entretenu avec Ekaterina Koudachkina.
Ekaterina
Koudachkina : Que
signifie l'élection de Behgjet Pacolli pour l'avenir du Kosovo ?
IvanZvonimir Čičak
: La dernière
fois que je me suis rendu au Kosovo, et c'était il y a plusieurs
années, le pays m'a semblé dans le chaos. Le taux de chômage des
jeunes y est très fort. Aucun avenir, vous savez. Ils partent pour
l’ Europe, en Suisse où il y a une importante communauté
d'Albanais du Kosovo, et partout dans le monde. J'ai parlé à un
groupe de personnes au Kosovo, et je leur ai dit que leur plus belle
revanche, c'était que les policiers allaient désormais arrêter les
nationalistes du Kosovo. Quand j'y suis allé, personne ne payait
pour l'électricité, le gaz, l'eau et ainsi de suite ; et
maintenant, ils doivent payer.
Ekaterina Koudachkina : Les intérêts de M. Pacolli s'étendent dans tout l'Occident. Dans quel domaine travaille-t-il ? Ses affaires peuvent-elles avoir un impact positif sur la situation au Kosovo ?
IvanZvonimir Čičak
: On peut poser la
même question sur les politiciens croates, serbes, russes.
D'où
tenez-vous votre argent ? Savez-vous comment MM. Lebedev et
Abramovitch gagnent leur vie ? Dans tous les anciens pays
communistes, il y a des gens de cet acabit et des sommes d'origine
inconnue. C'est un grand problème pour nous tous. La question est
combien de temps cette transition va-t-elle durer ? Les choses
vont encore moins bien en Afrique du Nord. Comment cela va-t-il
affecter la stabilité en Europe, un million de Libyens allant
débarquer en Europe ? Combien de personnes vont débarquer
d'Égypte, de Tunisie, du Maroc et d'Algérie quand ils manqueront de
nourriture ?
Le premier pas pour le
Kosovo devrait être la normalisation des relations avec la Serbie.
Je ne pense pas que cela sera facile.
Ekaterina
Koudachkina :
Reçoivent-ils de l'aide de l'extérieur, de l'UE, d'organisations
internationales ? De l'aide, pas des investissements.
IvanZvonimir Čičak
: Pour aider
véritablement, il faut investir de l'argent. Le plus gros de l'aide
européenne vient de l'Allemagne.
Ekaterina
Koudachkina :
Espérons que l'élection de M. Pacolli aidera le Kosovo, dans une
certaine mesure au moins.
IvanZvonimir Čičak
: Il n'a pas un
grand rôle. On a besoin de lui pour montrer que le pays a un chef.
Il a une certaine importance à un niveau symbolique. Il possède de
bons contacts internationaux, avec la Russie en particulier. Cela
pourrait aider le Kosovo à rétablir des relations avec la Serbie.
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