Editorial : quand l'économie se cabre

Crédits photo : AFP/East News

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L’économie de Mikhaïl Gorbatchev

Le 80e anniversaire du premier et dernier président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev a attiré une attention soutenue sur la période où il dirigeait le pays. La plupart des commentateurs se sont focalisés sur ses décisions politiques, qui pour certains permirent de démanteler sans grave effusion de sang un système totalitaire, pour d’autres furent responsable de la plus grande catastrophe géopolitique mondiale.

Toutefois, la chute de l’URSS n’a pas tant été provoquée par les transformations opérées par Gorbatchev et ses proches dans la sphère politique et sociale, que par des difficultés d'ordre économique. Ces dernières ont été le fruit de réformes lentes et inconséquentes, au cours desquelles le Kremlin a tenté de renforcer l’efficacité économique tout en conservant le modèle socialiste planifié.  

Gorbatchev et son entourage ont reçu un héritage très lourd : une économie inefficace, orientée sur le développement extensif grâce aux ressources d'État (entendez gratuites). Selon l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales de l'Académie russe des sciences, les entreprises soviétiques dépensaient, pour créer un produit fini, 2,1 fois plus d’énergie électrique, 1,8 fois plus d’acier, 2,3 fois plus de ciment et 7,5 fois plus d’engrais que leurs homologues américaines.  

La productivité de l’industrie de l’URSS connaissait une croissance larvée. Selon l’économiste Valentin Koudrov, celle-ci atteignait 35% du niveau américain en 1963, en 1987 – 24%. L’agriculture ne satisfaisait pas les besoins du pays. La direction du parti, craignant des révoltes de la faim à l’instar de celles qu’avait connu Novotcherkassk en 1962, fut contrainte d’acheter des dizaines de millions de tonnes de nourriture. Pendant longtemps, l’afflux de pétrodollars avait permis de gouverner en se tournant les pouces. Mais au milieu des années 1980, cet afflux a chuté en raison de la violente baisse des prix du pétrole, qui passèrent de 27 dollars en 1985 à moins de 10 dollars en 1986. Un autre coup dur pour les revenus publics fut porté par la campagne anti-alcool, qui provoqua une chute des recettes fiscales de 8 milliards de roubles entre 1984 et 1987. La hausse des salaires non garantie par les ressources accentuait l'insuffisance des biens les plus élémentaires.

L’État devait réduire les dépenses et rechercher des recettes supplémentaires. Le secrétaire général et le politburo espéraient parvenir à rehausser l’efficacité de l’économie sans recourir à des mesures impopulaires pour la population et désagréables pour les lobbies : réduire les achats de biens importés, freiner la hausse des salaires, diminuer les investissements dans les mégaprojets et les dépenses militaires. S’il y était parvenu, Gorbatchev aurait certainement reçu non seulement le prix Nobel de la Paix, mais aussi celui d’économie.

Mais les pontes du Parti communiste de l'Union soviétique décidèrent de suivre leur propre voie, en tentant de combiner l’expérience chinoise en matière d’encouragement de l’initiative publique et les intérêts personnels de la nomenklatura du parti, le tout sans la moindre préparation de l’infrastructure économique aux nouvelles conditions de gestion économique. La « loi sur l’activité professionnelle individuelle » du 19 novembre 1986 et la légalisation de la production agricole privée de mai 1987 n’auraient certainement pas amené à elles seules le pays au krach économique. Mais la loi adoptée en 1988 « Sur la coopération » permettait d’organiser des coopératives auprès des entreprises publiques, leurs créateurs et les directeurs d’entreprises se voyant offrir la possibilité de s’enrichir grâce à la revente de ressources publiques à bas prix et en les transformant en biens jouissant d’une demande sur le marché.

Outre les dispositions du Comité central du PC sur l’élargissement de l’activité économique intérieure et internationale du Komsomol (jeunesses communistes), la loi « sur la coopération » faisait sauter le barrage empêchant l’utilisation d’argent fictif et non approvisionné. Egor Gaïdar, dans son livre la « Chute de l'empire », a écrit que la demande non satisfaite est passée entre 1986 et 1990 de 60 à 110 milliards de roubles.

Mais l’affaire ne s’arrête pas à la « disette » que connaissait la demande en biens. La loi « Sur la coopération », conjointement à la loi de 1989 sur le bail, a créé des conditions privilégiées pour les affaires de la nomenklatura et ses proches. Gorbatchev et son entourage ont tenté d’équilibrer l’économie en 1990-1991, conjuguant les méthodes administratives et de marché, notamment en retirant l’argent superflu en avril 1991. Mais à ce moment-là, la direction du pays avait déjà perdu le contrôle de l’économie nationale et la confiance de la population. L’URSS s’est trouvée prise dans une situation analogue à celle de la Pologne en octobre 1981, quand le mécontentement de la population face aux problèmes économiques avait provoqué des grèves de masse et la naissance d’une opposition puissante.

 Mais les dirigeants polonais avaient le soutien de l’URSS, et Gorbatchev n’avait plus rien.

 

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