«La concurrence politique est indispensable», — Dmitri Medvedev

Crédits photo : Itar-TASS

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Dans un entretien accordé à Vedomosti, le président russe s'exprime sur la réponse au terrorisme, la démocratie russe et le climat d'investissement

  L’interview du président russe Dmitri Medvedev par Vedomosti était initialement prévue pour le lundi après-midi. Nous comptions évoquer l'économie, le climat d'investissement, le Forum économique mondial, auquel devait pour la première fois participer un président de notre pays. M. Medvedev avait déjà été à Davos en 2007, et avait été très satisfait de cette expérience. Mais suite à l'annonce de Domodedovo, il a fallu modifier le programme - le président a réduit sa présence au forum au strict minimum. L'entretien avec Vedomosti a tout de même eu lieu, tard dans la soirée.

— Je voudrais m'excuser pour mon retard. Il est lié aux événements survenus à Domodedovo. Je sors d'une réunion avec les chefs des forces de l'ordre et le ministre des Transports. Comme en témoigne le lieu et d'autres indices indirects, il s'agit d'un attentat bien préparé, destiné à tuer le plus de personnes possible. Actuellement des médecins aident les gens, il y a un grand nombre de blessés. Toutes les directives ont été données. Malheureusement, nous avons l’habitude de ce genre de mesures dans notre pays. Parce que nous ne connaissons que trop le fléau du terrorisme. Presque tous les nœuds de transport ont été mis en régime spécial. Les gens en souffrent peut-être, car on réalise des fouilles détaillées des bagages. Mais c'est une nécessité, et parfois cela revêt une importance décisive, tout simplement vitale.

Je peux dire par expérience que dans de nombreux aéroports la procédure de fouille est bien plus sévère et longue que chez nous.

— Tout à fait. On peut citer en exemple Israël ou les Etats-Unis. Après les événements survenus il y a quelques temps, quand des avions ayant décollé de Domodedovo avaient été victimes d'un acte terroriste, on a modifié la législation qui est devenue beaucoup plus sévère. Mais malheureusement - c'est un fléau qui ne nous épargne pas - nous sommes loin d'appliquer constamment la législation, même la plus importante. C'est pourquoi j'ai ordonné au procureur général de faire le jour sur la façon dont ces lois sont appliquées à Domodedovo. C'est un bon aéroport, tout le monde le reconnaît, neuf, moderne. Mais ce qui s'est passé l'atteste: il y a eu des violations flagrantes en matière de sécurité. Ceux qui prennent les décisions et la direction de l'aéroport doivent en répondre.

Cet attentat est un malheur, une tragédie. J'espère que les organes de maintien de l'ordre pourront assez rapidement établir la version principale des faits et mener l'enquête. Mais nous avions convenu de cette interview pour parler d’économie. Je pense que c'est nécessaire.

Merci d'avoir tout de même trouvé le temps pour cet entretien. Cette semaine, vous allez prendre part aux travaux du Forum économique international de Davos – c'est la première fois que la Russie sera représentée à un si haut niveau. Pourquoi avez-vous souhaité participer personnellement au forum, et de quoi parlera votre allocution lors de son ouverture ?

— Suite à la tragédie de l’aéroport, le programme de mon séjour à Davos sera significativement réduit. J'ai pris la décision de participer au forum parce que c'est une plateforme mondiale de premier plan afin de présenter notre position. Nous avons, à mon sens, créé un forum très réussi à Saint-Pétersbourg. Mais cela ne réduit pas la nécessité de s'entretenir avec les chefs d'Etats et de gouvernements et les représentants des cercles d'affaires à d'autres endroits. Davos est le lieu le plus connu et je considère que la Russie doit être représentée dans de tels évènements au sommet.

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Notre objectif est de promouvoir nos possibilités, de raconter honnêtement quels sont les points forts de l'économie russe et de notre système judiciaire, et d'évoquer avec la même franchise nos difficultés, nos faiblesses, nos problèmes irrésolus. Je crois que seul un dialogue aussi ouvert permettra de mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve la Russie. Et nous sommes effectivement en attente d'investissements, nous souhaitons une reprise suite à la période de crise. Sans vouloir divulguer le contenu de mon discours, je voudrais dire qu'il sera adressé à tous ceux qui souhaitent développer des liens économiques avec la Russie, investir de l'argent en Russie, créer des entreprises conjointes, rechercher de nouveaux foyers de croissance. Au final, participer avec nous à la modernisation de l'économie de notre pays. C'est un forum global, et bien que la Russie soit un acteur important sur le marché économique international, comme en témoigne l'expérience de ces dernières années, seules les décisions concertées d'un groupe de pays sont susceptibles de porter leurs fruits. Je vais parler du monde dans lequel nous vivons, de ce que nous faisons, des problèmes des décennies passées et du bagage avec le quel nous devons entrer dans la deuxième décennie du XXIe siècle.

Si l'on souhaite évoquer les problèmes de la décennie passée, il faut avant tout parler de la crise économique. Lors du forum de Davos, on prévoit des discussions sur une coopération plus intense entre les pays afin de réagir à de à de tels évènements. Que peut proposer la Russie dans le cadre d'une telle coopération ?

 

— Les instruments mondiaux sont très complexes, ils doivent faire l'objet d'un accord, et j'ai longtemps été un pessimiste endurci quant à cela : trop de pays différents, d'intérêts différents, tous ont leurs problèmes. Mais cette crise m'a convaincu que même des Etats très différents étaient capables de s’entendre, de mettre en place une politique macroéconomique planétaire, capables de peser sur cette dernière, et d'adopter des mesures désagréables pour eux-mêmes. Nous sommes intégrés à ce processus global, nous proposons nos idées, par exemple concernant le sort des organisations financières internationales, et de ce qu'on appelle l'ordre financier mondial — en allant même jusqu'à la formation d'un nouveau Bretton Woods.

Vous parlez constamment du danger de la corruption, de la nécessité de lutter contre ce fléau. Celle-ci a atteint une telle envergure qu'elle détruit pratiquement l'Etat. Mais jusqu’à présent les efforts pour la combattre semblent ponctuels, et pas vraiment systémiques.

 

— Quand je suis devenu président, on tentait de me dissuader d'aborder ce thème. On me disait mot pour mot : pourquoi vous vous lancez là-dedans ? Vous n'allez vaincre la corruption ni en un an, ni en deux, et votre mandat présidentiel n’y suffira pas. C'est absolument juste. A un moment les gens commenceront à se lasser, à penser que des décisions ont été prises mais que la corruption est toujours là, comme avant. On nous rackettait, et ça continue. Et il y aura un profond fossé entre les mots du président et la situation réelle. Mais si on raisonne ainsi, on ne commencera jamais la lutte contre la corruption. J'estime que j'ai bien fait de soulever ce thème au plus haut niveau, et quoi qu'on en dise, nous avons entamé la lutte. Certes, les succès sont presque absents. Pourtant on peut adopter un autre point de vue. Pour la première fois dans l'histoire millénaire de la Russie, nous avons créé une législation anticorruption. Un Conseil de lutte anticorruption a été mis en place, d'autres structures opèrent un monitorage de la situation dans ce domaine. Nous avons emprunté toute une série de modèles à d’autres pays.

Par exemple, concernant les déclarations (de revenus des fonctionnaires, ndlr). On raisonnait comme suit : il va y avoir des déclarations, mais elles seront mensongères, les revenus déclarés seront inférieurs à la réalité. Qu'est-ce que j'ai répondu ? Certes, certaines le seront, mais cela inculquera une discipline. Quand une personne fausse sa déclaration, et qu'elle a encore une maison, une voiture attribuée à la belle-mère, et quelque chose qu'on fait passer pour la propriété d'un ami, cela crée chez la majorité des gens un sentiment de culpabilité plus ou moins conscient. D'une. De deux : s'ils le peuvent, les gens vont légaliser leurs revenus, parce que toute personne raisonnable veut avoir un passé financier normal. Nous ne sommes pas responsables de ce que le contribuable n'a pas justifié, par exemple la source d'acquisition de deux maisons. Mais la déclaration discipline les gens. Il faut revenir sur cette question comme je l'ai fait récemment, quand j'ai ordonné de comparer la conformité de ces déclarations avec le patrimoine appartenant juridiquement à ces personnes.

Un autre thème, c'est le conflit d'intérêts. Je me suis confronté à cette notion pour la première fois il y a huit ans, alors que je travaillais dans l'administration du président. Il s'agit des cas où une personne est obligée de déclarer la présence d'un intérêt d'une valeur particulièrement élevée. Cet intérêt peut être parfaitement légal, mais il entre en contradiction avec ceux de la fonction publique, et cette personne doit le déclarer. Sur ce point, nous n'avons pas réussi jusqu'à présent. Il n'y a pas de déclarations, la commission a été créée, mais elle ne fonctionne pas. Apparemment, les gens sont intimidés par une telle déclaration, même s’il n'y a là rien de mal. C'est pourquoi j'ai ordonné d'inspecter à nouveau tous les maillons de ce système. Ce qui fonctionne dans d'autres pays n'est pas forcément facile à implanter sur notre sol.

J'ai longtemps réfléchi aux causes d'une situation aussi effrénée en matière de corruption, et j’en ai trouvé plusieurs. Il y a les causes historiques, dont tout le monde parle, parce qu'accepter un pot-de-vin dans notre pays a toujours été chose normale. Au milieu du XIXe siècle on a même publié un livre intitulé « La bonne façon de recevoir un bakchich ». C'est un reflet de la mentalité de la société. En outre, nous avons tout de même très rapidement sauté du totalitarisme dans une société tout ce qu'il y a de plus libérale. Entre la révolution et le retour d'un système économique moderne, la vie d'une génération s'est écoulée, soit 80 ans.  A la différence des pays d'Europe orientale, nous avons commencé la construction de notre économie de zéro, nous ne pouvions nous appuyer sur personne. Cette transition brutale n'a pas eu le meilleur effet sur les gens. Des représentations très simplistes de la justice économique, du marché, et des moyens de gagner de l'argent sont apparues dans les mentalités.

Il y a un autre motif de préoccupation: le niveau de la fuite des capitaux, qui l'année dernière a été identique à celui enregistré pendant la crise. Cela révèle un mauvais climat d'investissement…

 

— La situation d'ensemble n'est pas mauvaise : nous nous sommes rapidement rétablis après la crise. Nous avons même une croissance de 4%, compte tenu des 0,5-0,7% perdus en raison des incendies de l'année dernière, ce qui constitue un bon chiffre à l'échelle européenne. Nous sommes réellement parvenus à lutter contre le chômage, en le ramenant à son niveau d'avant-crise. L'Etat a honoré tous ses engagements en matière sociale, ici personne n'est en droit de jeter la pierre au gouvernement. Quand j'ai réuni le cabinet des ministres pendant la période de la crise, nous avons compris que tout pouvait être réduit, mais qu'avec un niveau de vie de la population aussi bas, une telle pauvreté et un niveau des retraites si faible, si tout cela était supprimé, on pouvait se demander à quoi bon développer l'économie, et s’occuper de sa modernisation. C'est pour cela que nous avons maintenu tous les engagements sociaux. A ce niveau tout n'est pas si noir. Mais dans le même temps certaines choses sont très préoccupantes. Vous venez d'évoquer la fuite des capitaux, et le climat d'investissement. Sur le long terme, cela n'est pas moins inquiétant que certains phénomènes négatifs à court terme de l'économie, que nous sommes capables de résorber assez rapidement.

—    De nombreux économistes russes de renom soulignent que la stratégie de passage en douceur de la crise a porté atteinte à l'économie, car en fin de compte la crise n'a pas joué le rôle épurateur et revigorant qui est le sien. Des entreprises inefficaces demeurent, le déséquilibre entre les secteurs n'est pas corrigé, et on n'a pas délesté les employés des unités de production inefficaces.

—    Il est très facile de raisonner de la sorte. Je serais moi aussi ravi si tout en maintenant la stabilité économique et sociale, la crise avait réalisé cette épuration économique tant attendue. La crise n'a effectivement pas fonctionné sur ce plan, comme nous nous y attendions, et effectivement une partie des entreprises désuètes est toujours en place. Mais j'estime que c'est tout de même beaucoup mieux que de payer une économie efficace au prix d'une dégradation de la vie des gens. En Russie, en vertu de différentes causes (j'en suis absolument persuadé), payer un tel prix est tout bonnement inacceptable.

Dmitri Anatolevitch, je voudrais vous poser, certainement…

— Une question traditionnelle ? Qui sera président de Russie en 2012 ?

Vous savez que nous ne la poserons pas. Nous allons être plus originaux.

 

— Je vous remercie.

Dmitri Anatolevitch, votre mandat présidentiel, pour ainsi dire, a depuis longtemps franchi le zénith. Il est trop tôt pour parler de bilan, mais nous voudrions savoir sur la base de quels critères vous allez évaluer votre propre travail à ce poste ?

— Vous savez, je ne pense pas qu'il s'agira de critères surnaturels. Avant tout, la qualité de vie des gens. Notre capacité à vaincre la crise qui a coïncidé avec ma présidence, notre habileté à répondre aux défis cruels auxquels notre pays est confronté, notamment la lutte contre la criminalité, le terrorisme, l'extrémisme. Finalement, la confiance générale des gens. Pour n'importe quel homme politique, même si cela peut sembler banal, la confiance c'est le principal.





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