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Le monde a eu véritablement de la chance que deux hommes intelligents et modérés aient présidé à la chute de l’URSS et de son empire. Cela aurait pu ne pas être le cas. Et malgré l’opprobre qu’ils ont subi chez eux, Boris Eltsine et Mikhaïl Gorbatchev laisseront dans l’Histoire l’image de deux bienfaiteurs.
Gorbatchev et Eltsine sont unis comme les deux faces de Janus.
Alliés aux premières heures de la perestroïka, chacun
reconnaissant et admirant les qualités de l’autre, ils sont
devenus des rivaux irréconciliables. Ils se sont accusés
mutuellement de s’être laissés portés par l’Histoire.
Gorbatchev a reconnu la futilité de la Guerre froide et y a mis
un terme, dans le but de revigorer le système soviétique, sans y
parvenir. Eltsine a reconnu la futilité du système soviétique
lui-même et a concouru à y mettre un terme, dans le but de faire
accepter la Russie sur un pied d’égalité par les pays
occidentaux, sans y parvenir. Des forces qui les dépassaient l’un
et l’autre ont déterminé l’issue de la Guerre froide et le
destin de l’Union soviétique, mais la gestion pacifique de ces
deux fins de partie aurait été impossible sans un immense talent
politique.
Eltsine connaissait comme peu d’hommes politiques le
système soviétique. Mais ce n’est qu’en se heurtant à la
réalité extérieure qu’il a pu se rendre compte de la faillite du
régime. Lors de son premier voyage aux États-Unis, il était sidéré
par le moindre supermarché et le fait que les « travailleurs »
avaient le droit d’y faire leurs courses. À son retour, il s’est
exclamé : « Notre système est merdique ! » .
Il faut en avoir été témoin pour se rappeler l’immensité du
charisme d’Eltsine auprès des foules en ces temps-là.
L’homme
avait une foi infinie en ceux qui possédaient une mentalité
« occidentale ». Ce n’était pas un adepte forcené de
l’application des prescriptions de l’Ouest au patient russe. Il
essayait patiemment une méthode après l’autre, jusqu’à ce que
quelque chose finisse par prendre. Malheureusement, rien ne prit.
Eltsine était toujours inspiré par une crise, mais manquait de
suivi et d’endurance pour mener à terme les réformes. Il s’est
lassé des finesses du pluralisme politique. Même après avoir vu
son mandat renouvelé par le référendum d’avril 1993, il n’a
pas sur l’utiliser efficacement pour faire adopter une réforme
constitutionnelle. Son recourt aux pouvoirs d’exception puis aux
décrets pour gouverner a été un revers terrible pour l’État de
droit. Eltsine avait perdu le contact avec les Russes ordinaires, et
les députés le destituèrent. Il a eu le mérite d’accepter ce
résultat, mais n’a jamais appris à gérer un Parlement insoumis.
En 1994, la Russie était confronté à un grave problème dans
le Caucase et le déclenchement d’une guerre contre le peuple
tchétchène a été un manque de jugement et d’humanité très
soviétique. Le carnage n’a pas seulement plongé la région dans
un bain de sang mais a aussi fait dérailler les réformes
politiques, tout en dressant l’Occident contre la Russie. La guerre
de Tchétchénie est devenue un véhicule idéal de la russophobie.
L’autre erreur d’Eltsine a été de briguer un second mandat
présidentiel. Il aurait dû comprendre qu’il n’était pas en
état de servir. Malheureusement, il s’est laissé facilement
convaincre par un message de Washington affirmant qu’il était seul
capable d’empêcher un retour des communistes. C’était absurde.
Les alternatives ne manquaient pas et n’importe lequel des autres
candidats aurait pu l’emporter et faire un meilleur travail.
Pourquoi, malgré tout, doit-on considérer avec respect la
présidence Eltsine ? En premier lieu, parce que l’homme a été
l’antithèse d’un Slobodan Milosevic russe. Nous sommes tous
redevables au leader des mois critiques de 1991-1992. Eltsine n’avait
pas peur des masses russes. Il croyait sincèrement que si l’on
parvenait à donner au peuple le pouvoir économique et politique,
tout irait pour le mieux. Comment y parvenir ? Il n’en avait
pas la moindre idée.
Alexandre Iakovlev a dit de son mentor que
Gorbatchev était un démocrate de nature mais toujours effrayé par
la démocratie. Paradoxalement, Eltsine n’était pas un démocrate,
mais il n’avait pas peur de la démocratie dans son pays. Il ne
voulait ni mobiliser, ni harnacher, ni discipliner, ni contrôler son
peuple, il voulait lui donner le pouvoir. Il a échoué. En partie
parce que la tâche était trop vaste, et en partie parce que même
au sein des soi-disant forces démocratiques en Russie, peu de gens
partageaient la même confiance dans le peuple. L’un des
collaborateurs les plus proches de Boris Eltsine au Kremlin était
connu pour sa vision dénigrante du peuple russe comme « le
fumier de l’Histoire » .
C’est un axiome que toutes les
carrières politiques finissent mal. Celle d’Eltsine l’a
confirmé. Mais combien de temps avant que la Russie ne produise un
nouveau dirigeant national convaincu que son peuple doit être doté
de pouvoirs plutôt qu’enrégimenté ?
Wayne Merry, diplomate américain, était en poste à Moscou en 1991-94
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