Crédits photo : Reuters/Vostock photo
Parmi les matériaux remis à la justice dans le cadre du meurtre retentissant de l'avocat Stanislav Markelov et de la journaliste de Novaya Gazeta Anastassia Babourova figurent des enregistrements audio issus d'écoutes effectuées dans l'appartement des accusés, Evguenia Khassis et Nikita Tikhonov. Selon l'accusation, ces enregistrements constitueront la principale pièce à conviction du procès. Les avocats des accusés reconnaissent l'existence de ces bandes, mais affirment qu'elles ne constituent en rien une preuve directe de la culpabilité de leurs clients.
L'avocat Stanislav Markelov et la journaliste Anastassia Babourova ont été
assassinés le 19 janvier 2009 rue Pretchistenka. L'affaire avait d’emblée connu
une grande résonance au sein de la population. Quelques jours après le meurtre,
le président Dmitri Medvedev avait réagi, en plaçant l'enquête sous contrôle
spécial.
L'avocat Markelov avait représenté les intérêts des familles d'antifascistes assassinés, et des photos de lui avaient été mises en ligne sur des sites néofascistes accompagnées d’appel au meurtre de « l'avocat des terroristes ». L'enquête s'est concentrée sur la responsabilité de militants nationalistes dans le meurtre.
L’un des principaux dossiers suivis par l'avocat était le meurtre de
l'antifasciste Alexandre Rioukhine, perpétré en 2006 par un groupe de néonazis.
M. Markelov avait obtenu de lourdes peines de prison pour les coupables du
meurtre et insistait pour que d'autres suspects soient recherchés, notamment
Nikita Tikhonov. Ce dernier jouissait d'une certaine influence dans les milieux
d'extrême-droite. En août 2004, il avait participé à la création du journal
nationaliste Rousski Obraz. Sa concubine Evguenia Khassis avait assisté aux audiences
de l'affaire Rioukhine, puis avait rendu visite aux néonazis condamnés pour cet
assassinat.
Selon l'accusation, Nikita Tikhonov, Evguenia Khassis et d'autres personnes non
identifiées ont constitué en novembre 2008 un groupe criminel destiné à abattre
l'avocat. M. Tikhonov se serait chargé de la direction et de l'élaboration du
plan. Afin de mener à bien l’opération, il avait acheté à des inconnus un
pistolet Browning (modèle datant de 1910) et des munitions pour ce dernier (par
la suite, cette arme sera découverte dans l'appartement des accusés). Il
ressort des dépositions faites par M. Tikhonov lui-même après son arrestation
(il est toutefois par la suite revenu sur ces propos, affirmant avoir subi des
pressions), qu’il suivait depuis longtemps M. Markelov afin de déterminer ses
déplacements. Il avait toutefois décidé d'abattre l'avocat précisément le jour
d'une conférence de presse consacrée à la libération du colonel Boudanov, afin
d’orienter l'enquête sur une fausse piste caucasienne.
L'instruction estime que le rôle d'Evguenia Khassis consistait à épier les faits et gestes de Stanislav Markelov après la conférence de presse. Elle devait donner à Nikita Tikhonov le signal une fois que l'avocat serait sorti du bâtiment. En apercevant le signe convenu, Tikhonov se serait avancé vers l'avocat et la journaliste, avant de se retourner puis de les courser. A la hauteur du numéro un de la rue Pretchistenka, il a abattu Stanislav Markelov d'une balle dans la nuque. Quand la jeune Babourova s'est retournée, le nationaliste l'a tuée d'une balle dans la tête avant de tirer à nouveau dans l'avocat déjà mort. Le visage caché par une écharpe et un bonnet, il s'est dirigé vers le métro. Sur son chemin, il a croisé plusieurs personnes qui ont entendu les tirs et vu le jeune homme pressé ; ils ont même été capables de le reconnaître par la suite. Evguenia Khassis est quant à elle restée dans la rue pour s'assurer que l'avocat était bien mort. Son comportement a semblé suspect à certains passants, qui se sont souvenus nettement de la jeune fille.
« Ces conversations ne contiennent aucune information corroborant l'implication dans le crime. On peut tout au plus en conclure que Nikita Tikhonov se livrait à un trafic d'armes illégal » |
Par la suite, le nationaliste a disparu pour un temps de la circulation, tout
en recevant de l'argent de ses camarades. A l'automne 2009, les enquêteurs
étaient déjà sur la piste de Tikhonov et de Khassis.
Fin octobre, ces derniers ont décidé de changer d’appartement. Juste après la conclusion du contrat de location, les policiers, selon les données de Kommersant, ont installé dans leur nouvel appartement un système d'écoute. Au cours des semaines suivantes, ils ont écouté chaque mot prononcé dans l'appartement. Ce sont ces enregistrements qui constituent les principales preuves de la culpabilité du couple Tikhonov-Khassis dans la mort de Stanislav Markelov et Anastassia Babourova.
Comme l'attestent les matériaux de l'enquête, les accusés ont à plusieurs
reprises évoqué la manière dont ils échapperaient, armes à la main, à la police
en cas d'arrestation. Ils se sont aussi fait la réflexion que le meurtre de
l'avocat ne leur avait apporté que des ennuis. Les jeunes gens prévoyaient de
partir à l'étranger.
Avant le départ, stipule le dossier, ils évoquaient la possibilité de perpétrer encore plusieurs meurtres. Par exemple, Evguenia Khassis aurait manifesté le désir de tirer elle-même sur des sportifs caucasiens, expliquant que c'était « kiffant ». Les sources de Kommersant estiment que ce projet a été réalisé par des complices non identifiés, qui ont tué en en décembre 2009 le champion de boxe thaï Mouslim Abdoullaïev.
En outre, Nikita Tikhonov aimait raconter à son amie ses forfaits passés et
futurs, notamment l'assassinat raté d'un prêtre orthodoxe « assez influent
au sein de la hiérarchie de l'église orthodoxe russe ». A la question de
Khassis qui lui demandait combien il pourrait tuer de personnes, Tikhnov a
répondu que s'il le pouvait, il ne ferait que ça, tuer des « flics ».
Selon les sources de Kommersant, une des victimes aurait pu être l'ancien ami
de Tikhonov surnommé Borman, qui a avait réalisé des dépositions concernant
l'implication du nationaliste dans le meurtre d'Alexandre Rioukhine : il
n’aurait dû sa survie qu’à un changement inopiné d’itinéraire. Au moment de
leur arrestation, Tikhonov et Khassis soupçonnaient tous leurs complices de
trahison. Ils furent interpelés le 3 novembre 2009. Les jeunes gens n'ont finalement
pas utilisé leurs armes bien que leur domicile ait abrité un véritable arsenal
contenant de l'explosif et une kalachnikov.
Suite à l'arrestation, les enquêteurs ont entamé les interrogatoires des
nationalistes mentionnés par les accusés. Ils ont été chanceux avec le leader
de l'organisation nationaliste Rousski
Obraz Ilia Goriatchev. Celui-ci a effectué des dépositions accusant sans
détour M. Tikhonov. Selon les informations de Kommersant, M. Goriatchev craint désormais sérieusement pour sa
vie, et l'on ignore s'il comparaîtra au tribunal. Une autre figure des cercles
d'extrême-droite a raconté aux limiers que M. Tikhonov lui avait montré avec
fierté son pistolet ancien. C'est chez ce personnage que Nikita Tikhonov
conservait le sac à dos contenant l'arme du crime.
L'avocat d'Evguenia Khassis, Guennadi Nebritov, a reconnu l'existence de ces
bandes d’écoutes, tout en affirmant qu'elles n'apportaient « aucune
preuves directes ». L'avocat de Nikita Tikhonov, Anatoli Joutchkov, a
quant à lui affirmé à Kommersant que « les
bandes avaient été déclassées et jointes au dossier de l'affaire ». « Ces
conversations ne contiennent aucune information corroborant l'implication dans
le crime. On peut tout au plus en conclure que Nikita Tikhonov se livrait à un
trafic d'armes illégal ». L'avocat des victimes, Vladimir Jerebenkov, est
pour sa part convaincu que les enregistrements sont une preuve de la
culpabilité des nationalistes. « On y parle de ce meurtre, on y évoque la
volonté de descendre d'autres gens, a-t-il raconté. Dans cette affaire, il
existe une concordance de preuves, directes et indirectes. Comment les
interprètera le tribunal, c'est l'affaire des jurés ».
Concernant le meurtre de l'antifasciste Alexandre Rioukhine, pour lequel
Tikhonov était recherché, rien n'a permis de prouver l'implication de ce dernier.
L'été dernier, alors que M. Tikhonov était déjà en détention, les nationalistes
condamnés lors du procès n'ont pas reconnu Tikhonov comme un de leurs
complices.
Selon les données de Kommersant, l'enquête sera rouverte suite aux déclarations réalisées par Borman au cours de l'enquête sur le meurtre de Markelov. Le nationaliste a raconté que le jour de la mort d'Alexandre Rioukhine, il avait emmené Nikita Tikhonov et deux autres personnes en voiture vers le lieu du crime, puis qu'il était venu les y chercher.
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