Des scientifiques à genoux devant Dieu

Niyaz Karim

Niyaz Karim

Pour la jeune garde des scientifiques russes, il ne semble pas y avoir l'ombre d'un doute : Dieu existe

Modelée son passé soviétique athée, la vieille génération est convaincue que Dieu et connaissance scientifique sont incompatibles. D’ailleurs, les vétérans occidentaux de la science, à quelques rares exceptions près, ne sont pas tendres avec Dieu. Religion et obscurantisme sont presque synonymes dans leur système de données. Pendant ce temps, les jeunes scientifiques, exemptés du lourd fardeau de la propagande scientifique, semblent disposés à prêter l'oreille à l’avis de Dieu.

Être journaliste, particulièrement scientifique, provoque un important stress psychologique, surtout si l’on est une femme. Quand il arrive de parler avec un académicien du Big-bang ou du génie génétique, quelle que soit la couleur de vos cheveux, vous êtes une blonde constamment à côté de la plaque. C’est ainsi que ça se passe.

En Amérique, le journaliste est un intermédiaire de poids entre la société et la science. De ce qu’il écrit dépend l’attribution ou non d’une bourse aux scientifiques. Dans le système russe, le journaliste est la cinquième roue du carrosse.  Je ne suis rien de plus qu’un agent d’assurance: je propose un billet pour l’éternité à des gens qui ne veulent vivre que dans le présent. Mais c’est précisément ce qui me permet de regarder tout ça de l’extérieur et de tirer mes conclusions. Faire de la recherche sur les chercheurs. Passer au crible les scientifiques.

Par exemple, ces deux ou trois dernières années, j’ai mené une étude sociologique privée sur le thème « Dieu existe-t-il dans la conscience scientifique du chercheur moderne ». La méthode de sondage ne visait pas l’originalité. À tous les représentants du monde scientifique russe avec lesquels j’ai eu l’occasion de m’entretenir, je posais une seule et même question: croyez-vous en Dieu ? Les réponses étaient strictement divisées en fonction de l’âge.  Les sexagénaires éminents me répondaient avec assurance: non. Les jeunes de moins de trente cinq – quarante ans répondaient avec la même assurance : oui. Dans la tranche d’âge intermédiaire, entre quarante et cinquante ans, les deux réponses étaient divisées à parts égales. En outre, on ne décelait aucun lien entre le domaine scientifique étudié et les réponses. Une même tendance s’observait chez les chercheurs en science naturelles, humaines ou dans le domaine des sciences techniques les plus pointues.

Tous champs scientifiques confondus, les « anciens » refusent catégoriquement de tolérer une intelligence supérieure, tandis que les jeunes croient fermement en Dieu. Dans quel Dieu, voilà une autre question. J’ai eu l’occasion de parler avec des généticiens orthodoxes fervents, avec des techniciens catholiques et des physiciens bouddhistes. Nombre d’entre eux reconnaissaient être non pratiquants, tout en n’émettant aucun doute sur l’existence d’une source suprême d’intelligence et d’amour.

L’académicien Vitali Guinzbourg a toujours été considéré comme l’apôtre de l’athéisme au sein des anciens scientifiques russes. « La croyance en Dieu est incompatible avec la pensée scientifique » – tel est le postulat de base de la vieille garde, martelé sans répit par M. Guinzburg. Fait étonnant, la question visant à savoir si foi en Dieu et connaissance du monde par la raison sont compatibles n’a eu de cesse de déconcerter les plus jeunes. « Comment l’un et l’autre pourraient-ils se contredire ? », me demandaient-ils.

Le monde est bâti de façon si parfaite et belle, m’expliquait un médecin-biochimiste âgé de vingt ans, qu’il est impensable que Dieu n’y soit pas pour quelque chose. Comment expliquer autrement la cause de cette beauté et de cette perfection ? Même si le monde était un assemblage aléatoire de coïncidences et de correspondances, il s'agirait de toute façon d'un hasard divin.

 « Dieu ne joue pas aux dés », déclarait avec assurance Albert Einstein. Les calculs pointaient à l’époque une évidence: le microcosme est basé sur le hasard. Einstein a passé de nombreuses années à démontrer le contraire. Et Niels Bohr, ricanant dans sa moustache, conseillait sagement de ne pas décider à la place de Dieu ce que ce dernier doit faire.

Débarrassés du positivisme à la Jules Verne du XIXe siècle et du romantisme révolutionnaire du XXe, la science s’est arrêtée au seuil d’un mystère existentiel. Chaque nouvelle connaissance, obtenue par les scientifiques maintenant, n’a pas tant vocation à modifier notre représentation du monde qu'à dévoiler l’imperfection de la question que nous posons. C’est un jeune physicien qui m’a expliqué le nœud du dialogue entre les scientifiques et l'intelligence divine.

Le fait est qu’au cours de son existence, du Big-bang jusqu’à vous et moi, l’univers a eu à de nombreuses reprises l'occasion d’exclure la vie en tant qu’élément de son histoire. Au cours des péripéties de l’univers, le monde s'est constamment trouvé à la croisée de chemins où le choix entre deux voies ne répondait à aucun scénario prévisible. Mais à chaque fois, entre une multitude de possibilités, c’est toujours celle qui permettait l’émergence de la vie et de l’intelligence que choisissait l’univers. Pourquoi ? Les domaines de responsabilité de Dieu et de la science se sont divisés précisément en fonction du genre des questions posées.

Les scientifiques cherchent à savoir COMMENT est construit le monde, mais seul Dieu sait POURQUOI il est ainsi constitué. J’ai oublié qui a prononcé cette phrase superbe: Dieu est un type qui ne parle jamais. La jeune garde scientifique ressent, littéralement, au niveau physique, la présence de cette figure silencieuse. Elle sait que la réponse existe déjà quelque part. Il ne reste qu’à la découvrir.  

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies