Crédits photo : Alexsandre Grebeshkov
« Ce monastère a l’air d’un théâtre. C’est voulu ». Anastasia, la jeune guide, désigne un bâtiment d’été, non chauffé, classiquement sobre et rectangulaire. Sa clarté estivale est trempée de la boue de novembre. Aux environs de la Taganka, dans le sud-est de Moscou, les Vieux-Croyants ont leurs quartiers. Ils ont eu le droit, depuis le XVIIIème siècle, de construire, rue Rogojski, plusieurs monastères et un cimetière – le deuxième se trouve au nord-est de la capitale – du moment qu’ils tenaient leurs édifices éloignés de toute rivalité avec les somptueuses églises orthodoxes. C’est sur ce terrain arboré creusé de chantiers, qu’encadrent une autoroute, une usine, un marché, que se situe le principal centre de « l’ancienne foi ».
Les Vieux-Croyants sont des orthodoxes non réformés. Au milieu du XVIIème
siècle, le Patriarche de toutes les Russies Nikon introduit quelques changements
mineurs dans le rite liturgique. Se signer de trois doigts, au lieu de deux. Il
s’agit de rapprocher l’Église russe de celle des Grecs, pour faire de Moscou
une « troisième Rome ». Épaulée par le tsar, l’Église jette
l’anathème sur les anciens rites et sur ceux qui les respectent. Les
« Vieux Croyants » ou « schismatiques » seront persécutés
pendant des siècles. Beaucoup ont immigré en Australie ou aux États-Unis. Mais
aujourd’hui encore, ceux d’entre eux que l’on rencontre à Moscou se signent de
deux doigts et s’inclinent jusqu’à terre devant les icônes. Ils sont un peu
plus d’un million en Russie.
Dans le monastère d’hiver, plus petit que le « théâtre » d’été, l’atmosphère est de chuchotements et de plaintes extasiées, rythmés par les chants des hommes. Ceux-ci, tous barbus, occupent la partie droite du bâtiment ; les femmes dans leur foulard, bien serré sous le cou, sont à gauche. C’est un baptême, une cérémonie importante, et les vêtements sont ceux de commerçants ou de nobles du XVIIIème siècle : caftans colorés, foulards brodés de perles, ceinture à la taille pour les hommes, pour séparer les parties saintes des parties profanes du corps. Dans la vie de tous les jours comme à l’église, la rectitude religieuse des Vieux Croyants, ultra-conservateurs et intégristes, est intraitable.
« La distinction notable avec les orthodoxes réformés est la suivante : une famille de Vieux-Croyants n’a pas besoin de prêtre pour pratiquer sa
foi » explique Alexeï Mouraviev, le vice-recteur du collège ecclésiastique
Vieux-Croyant de Rogojski, spécialiste du christianisme oriental syriaque,
caucasien et d’Asie Centrale et ancien chercheur au CNRS à Paris. « Des
orthodoxes isolés, qui se retrouveraient sans autorité cléricale, cesseraient
de fréquenter l’Église, alors que le père d’une famille de l’ancienne croyance
peut prendre la place du prêtre. Cela les rend plus indépendants, responsables,
engagés ».
L’opposition des Vieux-Croyants à l’Église orthodoxe officielle est politique
et idéologique. Leur combat consiste à la fois en la défense d’une identité
proprement russe et d’une indépendance à l’égard du pouvoir. Alexeï Mouraviev
résume : « Il existait dans la chrétienté russe d’avant la réforme des
possibilités de démocratie qui se sont ensuite épanouies chez les Vieux-Croyants,
alors qu’elles ont été annihilées au sein de l’orthodoxie officielle. Celle-ci
s’est accolée au pouvoir politique tsariste et en a adopté le fonctionnement
vertical . Nous reprochons à l’Église russe contemporaine sa proximité avec le
pouvoir et sa dépendance absolue envers lui ».
Les Vieux-Croyants sont un peu plus d’un million en Russie
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