Glonass tombe à l'eau

Crédits photo : ITAR-TASS

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C’est par un échec cuisant que s’est conclue hier la mise en orbite simultanée de trois appareils spatiaux Glonass-M, censés achever la mise en place du système russe de navigation par satellite, concurrent de l'américain GPS. Suite à un dysfonctionnement de la fusée-porteuse Proton-M, selon des données préliminaires officieuses, les trois appareils sont tombés dans l'océan Pacifique près des îles Hawaï. L'Agence spatiale russe (Roskosmos) n'a pas commenté la situation hier, se contenant de déclarer que le groupe d'appareils cosmiques avait été placé en »  orbite non conforme ", et qu'une commission étatique avait été formée pour enquêter sur les causes de l'incident.

Proton rate sa cible

Il s'agissait du tir des trois derniers appareils, qui devaient mettre un point final à la constitution du système Glonass, rendant ce dernier opérationnel à 100%. Des fonctionnaires de différents niveaux et l’armée attendaient cet événement, s'y préparaient et l'avaient par avance inclus dans la liste des événements spatiaux de l'année. Le président russe Dmitri Medvedev avait quant à lui annoncé l'achèvement de la formation de Glonass dans son adresse à l'Assemblée fédérale, prononcée la semaine dernière.

Selon le communiqué mis en ligne sur le site officiel de Roskosmos, la fusée-porteuse Proton-M a été tirée hier depuis le cosmodrome de Baïkonour à 13h25 heure de Moscou. Une dizaine de minutes après le tir (suite à l'activation des trois étages de la fusée), le module orbital (booster d'accélération DM-3 et trois satellites) s'est détaché du dernier étage de la fusée. Mais avant même la séparation du booster d'accélération, Proton-M a dévié de sa trajectoire de huit degrés.

Comme l'a indiqué à Kommersant une source au sein du secteur spatial, le booster d'accélération, entré dans une trajectoire non-conforme, a rapidement « disparu des écrans de contrôle russes ». Selon les données préliminaires et officieuses, il est tombé avec les trois satellites dans une zone non navigable située à 1.500 km d'Honolulu (îles Hawaï). Comme l'a appris Kommersant auprès de Roskosmos, une commission étatique a été formée en urgence afin d'enquêter sur les causes de l'accident.

« On peut supposer qu'il y a eu un problème avec le troisième étage de la fusée-porteuse, qui a provoqué une séparation du module orbital significativement plus élevée que prévu. Il n'y a pas eu de dysfonctionnement du booster d'accélération, comme l'ont au début avancé certains experts », a déclaré à Kommersant une source au sein du secteur spatial. Mais l'information concernant la zone de l'accident n'étant pas parvenue, il sera très compliqué d'établir la cause précise de l'accident, estime-t-il.

Interminable Glonass

La Russie, dans la continuation de l’URSSs'efforce depuis les années 1970 de créer un système global de navigation par satellite, le projet ayant été lancé par le ministère de la Défense de l'URSS. Le concepteur en chef était au départ le Groupement de production de mécanique appliquée du Ministère des constructions mécaniques générales d'URSS (désormais « Systèmes satellitaires informatiques Rechetnev »). Le système, comme son analogue américain NAVSTAR, était au départ destiné à transmettre les coordonnées géographiques exactes d'objets, principalement dans un but militaire, pour la navigation et la visée d'armes de haute précision (le principe est fondé sur la détermination de la distance précise entre l'utilisateur du système et plusieurs satellites). La volonté d'en tirer un avantage financier est apparue plus tard, quand les Américains créèrent sur la base de NAVSTAR une version commerciale réussie, GPS.

Le système soviétique prévoyait de recourir à une constellation de plus de vingt appareils placés sur une orbite d'environ 19.000 km. Le premier satellite Glonass fut mis en orbite sous Brejnev, le 12 octobre 1982. Mais ce n'est que le 24 septembre 1993 que le système fut officiellement adopté par les forces armées russes. Le groupe orbital ne comptait alors que 12 satellites. En décembre 1995, le groupe atteignit le nombre prévu, soit 24 satellites. Mais les appareils tomberont en panne et seront retirés du service. En 2001, leur nombre tombe à huit appareils. Par la suite, toujours en 2001, le Gouvernement de Russie approuve le programme fédéral ciblé « Système global de navigation », appelé à maintenir en vie le système et à améliorer sensiblement son financement.

Conformément à la documentation préliminaire du programme, celui-ci devait coûter 23,6 milliards de roubles au budget russe jusqu'en 2011. Depuis 2007, les montants dépensés dans le cadre du programme ont toutefois été significativement revus à la hausse. Au total, Entre 2002 et 2011 selon la version actuelle du Programme, Glonass a coûté, compte tenu des dépenses extrabudgétaires (frais des entreprises d'Etat) 140,1 milliards de roubles, soit près de 4,7 milliards de dollars. Grâce à cela, Glonass est devenu le plus gros projet de son client principal, Roskosmos. Dans le budget prévu pour 2010, Glonass devrait drainer 33% des dépenses de l'Agence spatiale russe, soit 27,9 milliards de roubles sur les 84,5 milliards prévus.

Il faut admettre que les tentatives de réanimer le programme grâce à ces mesures ont en partie réussi – certes pas aussi rapidement qu’on l’aurait voulu. Le groupement d'appareils spatiaux de navigation a commencé à s'étoffer. Depuis 2003, on a commencé à lancer les satellites modernisés Glonass-M (dotés d'une précision renforcée et qui transmettent les signaux selon une fréquence civile). On dénombre actuellement 26 satellites en orbite, dont 20 actifs, deux de réserve et quatre en cours d'entretien technique (le système américain GPS dispose actuellement de 31 appareils).

A partir de décembre 2011, on prévoit d'utiliser les satellites de troisième génération Glonass-K, dont la précision est encore plus élevée, et la durée de vie portée à dix ans. En outre, sur ordre du président Dmitri Medvedev, le gouvernement devra préparer et adopter en 2011 le nouveau Programme fédéral ciblé de développement de Glonass pour 2012-2020.

Le lancement d'hier, au cours duquel le troisième étage de Proton-M est soupçonné d'avoir subi une défaillance, était le 11ème d'une fusée-porteuse de ce type en 2010. Les onze tirs précédents ont été couronnés de succès, notamment les deux lancements visant à mettre en orbite six satellites du système Glonass. Comme l'a indiqué dans un entretien avec Kommersant un représentant du secteur spatial, Proton, comme tous les engins analogues « ne possède pas une fiabilité de 100%, mais d'environ 96%, c'est-à-dire qu'environ un tir sur 25 à un risque d'échouer ».

Le prix d'un appareil Glonass n'a jamais été ouvertement nommé. « Le montant des analogues américains -les satellites du système GPS- est de 70 millions de dollars, les russes coûtent quatre fois moins cher, ce qui, compte tenu de la fusée-porteuse utilisée en vain et du booster d'accélération, élève les pertes à 5 milliards de roubles (160 millions de dollars)", a supposé dans un entretien avec Kommersant un représentant du complexe militaro-industriel désireux de conserver l'anonymat.

Quoi qu'il en soit, l'échec d'hier repousse l'achèvement du système de navigation russe à une date indéterminée, et annule toutes les célébrations qui avaient déjà été prévues pour cette année. Selon le rédacteur en chef du journal « Nouvelles astronautiques » Igor Lissov, la production des appareils Glonass étant un processus permanent (pendant que certains sont mis en orbite, d'autres sont préparés au lancement ou assemblés), un nouveau tir devrait avoir lieu d'ici six à sept mois.




Dates clés :

La première chute d'un Proton-M dans l'histoire de la Russie s'est produite le 27 mai 1993. En raison d'un deuxième étage défectueux, la fusée-porteuse n'est pas parvenue à mettre en orbite le satellite russe de télécommunication « Gorizont-39".

Le 16 novembre 1996, Proton-K doté du booster d'accélération D-2 a placé en orbite circumterrestre la station interplanétaire russe Mars-96 d'une valeur de 300 millions de dollars. En raison d'un incident lié au booster d'accélération, la station a chuté de son orbite et est tombée dans l'océan Pacifique.

Le 5 juillet 1999, la soudure défectueuse du toit d'un groupe turbopompe sur l'un des quatre réacteurs du deuxième étage de la fusée Proton-K a provoqué la chute du satellite de communication militaire Radouga-1, entraînant une détérioration des relations russo-kazakhes. Les débris de la fusée, qui avaient chuté sur la région kazakhe de Karaganda, s'étaient abattus sur le toit d'un immeuble. Astana avait interdit pour deux mois tous les tirs de « Protons » jusqu'au remboursement de 271.000 dollars à titre de dommages et intérêts écologiques et matériels.

Le 27 octobre 1999, un autre satellite de communications Express-A, lancé par un Proton-K, s'était abattu sur la région kazakhe de Karaganda, en raison du premier étage défectueux de la fusée. Astana avait obtenu 407.000 de dollars de dommages et intérêts.

Le 28 février 2006, en raison d'une panne du booster d'accélération Breeze-M, la fusée Proton-M avait échoué à mettre en orbite le satellite arabe de communication ArabSat-4A.

Le 6 septembre 2007, la fusée Proton-M s'était écrasée avec le satellite japonais de communication JCSat-11 à 40 km de la ville kazakhe de Jezqazghan suite à un tir raté, arrosant ses environs de carburant hautement toxique. Ce jour-là, le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev se trouvait dans la ville. Le Kazakhstan a alors exigé 60,7 millions de dollars à la Russie. L'accident avait été causé par une panne du système de direction du deuxième étage.

Le 15 mars 2008, un Proton-M a échoué à orbitaliser un satellite américain de communication AMS-14. L'accident était dû à une panne moteur du booster d'accélération Breeze-M.


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