Moscou et l'Otan se jettent à l'eau

Crédits photo : Photoxpress

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Le sommet Russie - Otan de samedi a marque un tournant : l'idée d'une adhésion de Moscou à l'Alliance n'est plus désormais une idée purement fantaisiste.

Le Concept stratégique de l'Otan stipule que l'Alliance ne présente pas de menace pour la Russie et projette d'établir un partenariat stratégique avec la partie russe. De son côté, le président russe a lancé une initiative sensationnelle. Il a proposé à l'Otan de créer un système de défense antimissile grâce auquel la Russie protégerait l'Europe d'une éventuelle menace balistique – en échange, l'Ouest prend un engagement identique. En cas de réussite, ce projet constituerait le premier exemple d'intégration réelle entre les potentiels militaires des deux anciens ennemis.

Moscou et l'Alliance atlantique, ces deux ennemis du siècle dernier, qui ont continuer ces dernières années en entretenir des relations tendues, se sont engagés samedi dernier dans un rapprochement sans précédent. De sorte que les accords techniques sur lesquels le Sommet Russie-OTAN a débouché ont beau être remarquables, c'est la partie politique qui est la plus surprenante.

Même l'accord sur le retour des frets non militaires de l'Otan depuis l'Afghanistan via la Russie, qui entrera en vigueur dès le 1er décembre, ou encore la décision d'élargir la formation des cadres chargés de lutter contre le trafic de drogue en provenance d'Afghanistan, des pays d'Asie centrale et du Pakistan, sont des succès techniques relativement limités, au vu de l'ensemble des décisions adoptées.

En outre, à la fin de la semaine dernière, les pays de l'Otan ont finalement pris la décision de créer un fonds de confiance sur le « dossier des hélicoptères » (prévoyant l'achat par l'Alliance d'appareils russes Mi-17 équipés d'armements pour le compte de Kaboul). Ce fonds permettra de financer la création de bases d'entretien et du centre de formation des pilotes afghans, les livraisons de carburant, de pièces détachées, et l'armement. Le montant du fonds sera défini après que les pays membres de l'Alliance y auront apporté leur contribution personnelle.

«L'initiative de Medvedev peut être résumée comme suit : Moscou est prêt à abattre tout projectile qui volerait en direction de l'Europe au dessus de notre territoire ou de notre secteur de responsabilité. Cela revient en fin de compte à protéger les pays situés à l'ouest de la Russie»

Mais c'est le bilan politique de la rencontre qui, de l'aveu des diplomates aussi bien russes qu'occidentaux, a dépassé toutes les attentes. Tout d'abord, le nouveau concept stratégique de l'Alliance approuvé au Portugal stipule que cette organisation « ne présente pas de menace pour la Russie », et souhaite établir un « véritable partenariat stratégique » avec Moscou. Deuxièmement, le document politique clé du sommet Russie - Otan, « l'évaluation conjointe des défis à la sécurité au XXIe siècle », signé par la direction de l'Alliance et le président russe Dmitri Medvedev, constate la convergence des positions sur l'ensemble des menaces mentionnées.

Moscou et l'Alliance classent notamment parmi ces dernières le terrorisme international, la situation en Afghanistan, la piraterie, la protection des infrastructures d'importance vitale, ainsi que la non-prolifération des armes de destruction massive, technologies balistiques comprises.

Les parties n'ont divergé sur la menace balistique, autour de laquelle aucun n'accord n'a été trouvé pour l'instant. Mais la délégation russe a considéré comme un progrès même cette différence. « Nous avons décidé que s'il existe des approches objectivement distinctes, fondées sur des phobies différentes, il ne faut pas les masquer mais les mentionner en toute franchise », a déclaré à Kommersant le représentant de la Russie auprès de l'Otan, Dmitri Rogozine.

C'est d'ailleurs l'initiative russe de création, conjointement avec l'Otan, d'un système sectoriel de défense antimissile, qui a eu la plus grande résonnance.

Avant la rencontre de Lisbonne, pas un mot n'avait filtré dans la presse sur cette intention. Même au cours de la conférence de presse finale, Dmitri Medvedev s'est contenté de mentionner cette proposition du bout des lèvres, sans en dévoiler le contenu.

Pourtant, c'est bien cette idée qui en cas de réalisation pourrait constituer le premier projet d'intégration réelle entre la Russie et l'Alliance. Comme l'a appris Kommersant, le projet ne se résume pas à la création, par la Russie et l'Occident, d'un périmètre commun de sécurité avec des éléments de défense antimissile et de DCA orientés vers l'extérieur.

Selon une source de Kommersant au sein de la délégation russe, M. Medvedev a annoncé, lors d'une rencontre à huis clos avec les leaders des pays-membres de l'Otan, que Russie était prête à couvrir son secteur, en garantissant la sécurité des pays européens.

« L'initiative de Medvedev peut être résumée comme suit : Moscou est prêt à abattre tout projectile qui volerait en direction de l'Europe au dessus de notre territoire ou de notre secteur de responsabilité. Cela revient en fin de compte à protéger les pays situés à l'ouest de la Russie », a déclaré à Kommersant un diplomate haut placé. De la même façon, l'Otan doit assumer des engagements similaires sur son ou ses secteurs, couvrant les pays membres de l'Alliance. Si quelqu'un tente de nous frapper à travers l'Europe, tout ce qui volera sera soit abattu soit par les Américains, soit par l'Otan. C'est une protection réciproque, qui prévoit que les rayons d'action de nos missiles-intercepteurs et de ceux de l'Otan pourront coïncider, et dépasser les frontières des États ».

Les dirigeants russes expliquent la pertinence de cette proposition par le fait que ni l'Otan, ni la Russie ne sont actuellement disposés à tolérer près de leurs systèmes antimissiles d'autres systèmes étrangers, les deux partenaires désirant conserver un contrôle souverain au dessus de leurs têtes. « Mais si l'ensemble des instruments (capteurs, radars, missile intercepteurs) sont orientés vers l'espace extérieur, et ne se trouvent pas sur la frontière entre la Russie et l'Otan, alors, c'est une autre histoire. S'il en est ainsi, nous aurons la certitude que l'ABM européen ne menace pas le secteur d'action des forces stratégiques nucléaires russes », a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères (MID).

Cette variante de compromis, du point de vue de Moscou, a été élaborée par le ministère de la Défense. Comme l'a confié à Kommersant le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, la direction de l'Otan et les leaders des pays de l'Alliance se sont dit disposés à l'examiner. « La réaction a été positive, nous n'en attendions pas plus. Elle ne pouvait pas être exubérante, mais elle n'a pas été négative. Un terrain de travail a été créé », a déclaré à Kommersant l'adjoint du président russe Sergueï Prikhodko.

Les parties comptent lancer un examen approfondi de l'initiative russe dès le mois de décembre. Selon Dmitri Rogozine, tergiverser n'a aucun sens, les contours du bouclier européen devant être fixés avant mars 2011. Le représentant permanent a également annoncé avoir demandé au président Medvedev des négociateurs supplémentaires afin de renforcer la mission russe auprès de l'Otan. Il est probable que le chef du département du Ministère des Affaires étrangères russe pour les questions de sécurité et de désarmement, Anatoli Antonov, rejoindra le processus. « Une véritable fenêtre de possibilités est ouverte. Et le travail dans cette direction permettra de rabaisser le niveau de la menace militaire. C'est capital: on aperçoit désormais à l'Ouest les lueurs de la première perspective d'une paix sinon éternelle, du moins durable en Europe », a souligné M. Rogozine.

A en juger par l'intervention du président Medvedev lors de la conférence de presse finale, ce dernier semblait lui aussi satisfait du travail accompli. « Mes collègues n'ont pas été avares en attributs. Ce n'est certainement pas une mauvaise chose. J'ai moi-même utilisé le

«Avec Medvedev, les relations ont commencé à l'opposé, avec la guerre en Géorgie. Qui sait, une telle succession pourra peut-être favoriser son succès. Le critère principal est selon moi la coopération dans le domaine de la défense antimissile. Et celle-ci a commencé»

terme d'« historique », afin de qualifier le long chemin parcouru entre les illusions qui régnaient dans les années 1990, et cette coopération productive », a-t-il déclaré. Tous ont déclaré qu'il fallait développer les relations de partenariat, développer l'alliance. On a même utilisé le terme d'« union ». Voilà des paroles bien émouvantes qui, bien sûr, ne figurent pour l'instant dans aucun document, mais cela reflète l'évolution de la discussion, malgré les difficultés et les contradictions existantes ».

Il y a fort longtemps que la classe politique russe n'avait décrit en des termes si flatteurs sa relation avec l'OTAN. La dernière fois que de telles déclarations avaient été proférées, c'était il y a dix ans dans la bouche de Vladimir Poutine, qui déclarait en 2000 ne pas exclure l'adhésion de la Russie à l'Alliance. Pourtant, une longue période de confrontation avait suivi, sur fond d'intégration potentielle à l'OTAN de l'Ukraine ou de la Géorgie. La tension ayant culminé en 2008. Suite à la guerre en Ossétie du Sud, les parties ont totalement gélé la coopération. A Moscou et à l'Ouest, on affirme désormais que tout cela appartient au passé.

« Après deux ans de pause, mon ami et partenaire, le président Medvedev, a participé au Sommet Russie-Otan », a déclaré à Lisbonne le président américain Barack Obama. « Nous avons été en mesure de redémarrer les relations entre la Russie et les Etats-Unis, désormais nous avons relancé les relations de la Russie et de l'Otan ». Medvedev a repris en chœur: « La période de froid et de griefs réciproques est terminée. Nous regardons vers l'avenir avec optimisme, et nous efforçons de développer les relations sur tous les axes. J'espère que le rapprochement de nos approches sur toutes les positions se poursuivra. Je sors plus optimiste de ce sommet que je n'y étais entré ».

On ne saura que l'année prochaine si l'initiative russe sera en mesure de rapprocher la Russie et l'Otan. Pour l'instant, les experts ne tarissent pas sur l'éclatant round de négociations mené par Dmitri Medvedev avec l'Alliance. « A mon avis, ce sommet était un succès. Sera-t-il historique ou non? Le temps nous le dira », estime le chef du Centre Carnegie de Moscou, Dmitri Trenine. « Medvedev cherche à bâtir des relations solides dans la sphère de la sécurité. Les tentatives d'Eltsine puis de Poutine avaient en leur temps échoué ».

Selon M. Trenine, le premier et le second président russe avaient commencé à travailler avec l'Alliance dans une atmosphère positive avant que celle-ci ne se dégrade. « Avec Medvedev, les relations ont commencé à l'opposé, avec la guerre en Géorgie. Qui sait, une telle succession pourra peut-être favoriser son succès. Le critère principal est selon moi la coopération dans le domaine de la défense antimissile. Et celle-ci a commencé».

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