Maestro Spivakov : « Un orchestre, c’est l’unité de la multitude ».Crédits photo : Igor Huzbasic
« Je pense depuis toujours que le seul moyen de préserver l’humanité, c’est dans la culture ». Vladimir Spivakov, impeccable, détendu mais sans nonchalance, trouve enfin une position confortable dans le fauteuil de cuir. Son bureau de directeur de la Maison internationale de la musique de Moscou est à l’image du maestro : sobre, élégant et sophistiqué. La veille, le chef d’orchestre a dirigé pour le dernier concert de la saison l’Orchestre symphonique de jeunesse, composé de jeunes talents issus de tous les pays de l’ex-espace soviétique, et qui a joué pendant un an dans les capitales de la Communauté des États indépendants (CEI), de Moscou à Achkhabad, mais aussi à New York et à Paris. « Il n’y avait pas de traducteurs sur scène. Nous parlions tous la même langue, celle de la musique ».
D’une voix profonde et sonore, il raconte le bonheur de voir les enfants azéris et arméniens partager leurs repas et danser ensemble, alors que lui-même n’était pas retourné en Azerbaïdjan depuis les pogroms des Arméniens à Bakou et Soungaït en 1988 (« Ma femme est arménienne », s’excuse-t-il de cette longue absence). « C’est un projet unificateur essentiel. L’ambiance n’est pas toujours au dialogue, mais en rassemblant des enfants kazakhs, turkmènes, tadjiks, azéris, arméniens, ukrainiens et géorgiens, on se rappelle que le temps est venu de construire ensemble. Le succès de notre entreprise prouve que l’on ne peut pas fractionner l’espace culturel ». Artiste de l’UNESCO pour la paix depuis 2006, Vladimir Spivakov est aussi connu et admiré pour son talent de violoniste et de chef d’orchestre, que pour son activité caritative et son implication personnelle dans les causes qui lui tiennent à cœur.
Depuis 1994, le Fonds de bienfaisance internationale Vladimir Spivakov aide les enfants : bourses, instruments, soins médicaux, expositions et concerts, ce sont plus de 10 000 enfants qui ont été soutenus, pris en charge, promus ou simplement traités avec affection. « C’est la plus grande œuvre de ma vie », avoue Spivakov, sans fausse modestie. Cette générosité, souvent louée par ceux qui le fréquentent de près ou de loin, transparaît aussi dans la définition qu’il donne de son métier. « Un orchestre, c’est l’unité de la multitude », dit-il, citant la poétesse Marina Tsvetaieva, « mais c’est surtout la capacité des uns et des autres à se soutenir et à dissimuler les défauts du voisin ».
Complexe, l’homme-orchestre Vladimir Spivakov est un soliste virtuose et un grand solitaire - « la solitude est essentielle au musicien, et la musique est une protection contre la vie publique » - mais il aime tenir la baguette avec la même passion qu’il met à organiser des festivals de haut vol. Surtout, devant le génie artistique de ses amis, il ne refuse aucune collaboration .
Exceptionnellement, la nouvelle saison de la Maison de la musique vient d’être inaugurée par la projection en avant-première d’un film d’animation musical, Le vilain petit canard. « Quand Garri Bardine est venu me voir avec son projet, j’ai vu un artiste exceptionnel épris de son œuvre avant même qu’elle ne soit née – il en connaissant déjà le moindre souffle – et un grand enfant ». Spivakov accepte immédiatement de sonoriser le long-métrage, en dirigeant l’Orchestre national philharmonique pour un arrangement du Lac des cygnes et Casse-noisettes de Tchaïkovski. « C’est un film chaplinesque, mais sur un terreau russe, une fable qui dénonce l’intolérance envers l’autre, différent, tout en célébrant la beauté intérieure », décrit-il cette interprétation du conte de Hans Christian Andersen savamment croisé avec La ferme des animaux de George Orwell. Invité par Bardine à faire la voix du Coq haineux qui dresse toute la basse-cour pour la parade quotidienne, Spivakov s’est senti transporté lui aussi dans l’enfance. Ses yeux en rient encore.
Vladimir Spivakov vient de fêter ses 66 ans et déborde de projets. Il énumère une liste interminable de dates aux quatre coins du globe, et se déclare comblé par l’intensité de sa vie qu’il ne troquerait pour aucune autre. L’année à venir sera marquée par une tournée américaine avec l’Orchestre national philharmonique, mais aussi des rendez-vous traditionnels comme le Festival « Vladimir Spivakov invite… » à Moscou ou celui de Colmar, que le maestro dirige tous les étés depuis 1989. Sans oublier les nombreux concerts avec son orchestre de chambre, Les Virtuoses de Moscou, et les anniversaires de ses filles qui vivent à Paris. Y a-t-il assez d’heures ? « Je dors peu et je travaille toujours dans l’avion, mes meilleures idées me viennent dans les airs ».
Les grandes étapes
1944 • Naissance à Oufa
1968 • Diplômé du Conservatoire d’État de Moscou
1979 • Fonde et dirige depuis sa création l’orchestre de chambre « Les Virtuoses de Moscou »
Depuis 1989 • Directeur artistique du Festival international de musique de Colmar
1994 • Crée le Fonds de bienfaisance international Vladimir Spivakov
1992-2002 • Chef de l’Orchestre national russe
Depuis 2003 • Chef de l’Orchestre national philharmonique
Depuis 2003 • Président de la Maison de la musique de Moscou
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