Un nombre croissant de Russes et d’étrangers se soucient du sort tragiquedes enfants abandonnés ou maltraités. Crédits photos : Getty images/Foto bank
La communauté des enfants de Kitèje est cachée au fin fond de la province russe, loin de toute civilisation. Constitué de maisons en forme de châteaux, ce village réservé aux orphelins semble sortir d’un conte de fées. Ce n’est pas un orphelinat ordinaire et peu nombreux sont ceux qui ont la chance de grandir ici. Ils ont des parents bénévoles, capables de leur offrir un foyer et de les adopter.
Maria Pitchouguina, âgée de 25 ans, est la directrice du centre de Kitèje à Orion, une petite localité à environ 60 kilomètres au sud de Moscou. Elle a passé une grande partie de sa vie dans cet orphelinat car sa propre mère a déménagé à Kitej il y a dix ans, avec ses deux filles pour consacrer sa vie aux orphelins russes en détresse. Cette communauté fut créée il y a près de 20 ans par Dmitri Morozov, qui en a fait une alternative aux institutions de l’État. « Dans les années 1990, il y avait beaucoup d’enfants des rues, et personne ne se souciait de leur sort», raconte Morozov. « Les gens étaient trop occupés à survivre. Le gouvernement et la population y étaient totalement indifférents ».
Les choses n’ont guère changé depuis. Selon un recensement mené en 2008, la Russie compte 700 000 orphelins. Le système des orphelinats continue de fonctionner sur le modèle soviétique, qui fut créé au sortir de la guerre civile pour faire face à l’apparition d’un très grand nombre d’orphelins. Depuis, c’est l’alcoolisme qui joue le rôle de grand générateur d’enfants des rues. Plus de 80% d’enfants placés dans les orphelinats aujourd’hui sont des enfants issus de familles à problème à forte consommation éthylique.
Alors que plusieurs affaires de maltraitance d’enfants d’origine russe aux États-Unis ont fait récemment scandale, l’attention des médias s’est focalisée sur les pièges de l’adoption internationale en délaissant la question de fond : pourquoi tant d’orphelins en Russie ?
Selon Russian Children’s Welfare Society (RCWS), une organisation non gouvernementale basée à New York avec un bureau à Moscou, le nombre officiel d’orphelins est de quatre à cinq fois plus élevé en Russie qu’en Europe ou aux États-Unis. Environ 30% d’entre eux vivent dans des orphelinats. La plupart sont des enfants abandonnés par leurs parents ou retirés de leurs familles par les autorités. En 2009, il y avait 2 176 orphelinats en Russie. Ce chiffre a plus que doublé au cours de la dernière décennie, selon le RCWS, dont la mission principale est d’aider les orphelins russes.
La bureaucratie fut un obstacle majeur pour le système d’adoption en Russie pendant très longtemps. Le diacre Alexandre Volkov a adopté un fils il y a trois ans. La procédure administrative fut ce qu’il y a de plus difficile, selon lui. Et pour beaucoup de Russes, c’est un engagement qu’ils ne veulent tout simplement pas prendre. « Pendant longtemps, il était très long et complexe d’adopter un enfant. Le système ne l’autorisait tout simplement pas », explique Volkov.
Morozov constate tristement un accroissement du nombre d’enfants abandonnés, tandis que les Russes qui désirent les adopter restent peu nombreux. Pour pallier en partie ce problème, l’adoption d’enfants russes par des ressortissants étrangers s’est développée depuis la fin de l’URSS. Il y a eu 3 000 adoptions par des étrangers en Russie depuis 10 ans, dont 288 vers la France l’année dernière.
Mais pour Morozov, l’adoption internationale n’est qu’un moyen supplémentaire pour les fonctionnaire d’ignorer les solutions de fond.
L’expérience de Dolores et d’Alain Gavériaux : Le sourire sans prix d’Elsa
1999 – Nogent-sur-Marne : après 10 ans de vie commune, le désir d’enfant nous pousse vers l’adoption. Mon épouse est slave et nous décidons d’adopter en Russie.
2001 – Vladimir : l’orphelinat, des questions qui nouent les tripes (comment est-elle ? Va-t-elle nous accepter ? Nous aimer ?) Et puis le choc : les cœurs se serrent, Svetlana, 6 ans, s’avance vers nous et se blottit dans nos bras… « Papa, Mama ». Derrière la barrière de la langue, nous lisons tant de choses dans son regard.
Puis le déchirement : notre retour en France sans elle, en attendant la date du jugement. Elle pleure et ne mange pratiquement plus.
Enfin notre retour à Vladimir, un jugement sans difficulté (c’était possible à l’époque).
2010 – Nantes : une jeune fille de 16 ans marche à nos côtés : Elsa, souriante, épanouie, avec l’envie de réussir sa vie, des projets pleins la tête. Pour nous, le bonheur de la voir grandir et de l’accompagner.
Voilà notre adoption, semblable à tant d’autres, tout à la fois extraordinaire et ordinaire. Une histoire d’amour. Tout simplement.
Près de 4.000 enfants russes adoptés en France depuis 20 ans
En 20 ans près de 4000 enfants russes ont été adoptés par des Français dont la motivation pour le choix du pays où adopter tient souvent aux liens culturels et historiques ainsi qu'à l'imaginaire très affectif et émotionnel qui caractérise les relations entre Russes et Français. La Russie est ainsi le 4ème pays d’origine pour les adoptants français et représente près de 10% des adoptions réalisées en 2009.
3000 adoptions ont eu lieu dans les 10 dernières années. En 2009, ce sont 288 enfants qui ont rejoint la France : 30% avaient entre 0 et 2 ans, 32% entre 2 et 4 ans, 38% plus de 4 ans.
Menaces sur la procédure individuelle qui permet 80% des adoptions
Les procédures d’adoption en Russie répondent à des exigences formelles et juridiques très strictes, tant en France qu’en Russie, depuis l’agrément délivré par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) jusqu’au jugement d’adoption en Russie.Au retour en France, les enfants doivent être enregistrés au Consulat de Russie. Les conditions de vie de l’enfant sont ensuite contrôlées par l’ASE qui établit des rapports de suivi (en général quatre) qui sont traduits en Russe et envoyés dans la région d’origine de l’enfant.
Les familles qui désirent adopter un enfant en Russie ont le choix entre trois modes d’adoption… théoriquement. Mais dans les faits c'est la démarche individuelle qui a permis jusqu'à présent l'écrasante majorité des adoptions.
Or il semble que les autorités françaises et russes souhaiteraient mettre un terme à l’adoption individuelle. Elle interviendrait avec la signature d’un accord bilatéral sur l’adoption fin 2010.
En l’état actuel des procédures plus institutionnelles, cet acte provoquerait l’effondrement des adoptions en Russie par des Français.
Car beaucoup de ces familles sont écartées par les trois OAA (Organismes Agréés pour l’Adoption) français accrédités pour l’adoption en Russie. Ces organismes ont en fait un fonctionnement qui repose essentiellement sur des bénévoles et leurs moyens limités ne leur permettent guère de réaliser plus de 60 adoptions par an (52 en 2009).
De même la porte de l’AFA (Agence française de l’Adoption) reste souvent fermée. L’AFA n’a effectué que 8 adoptions en 2009 et plus de 1000 demandes y sont actuellement en attente. Cette année, l’agence s’est repositionnée sur la Russie, elle commence à s’y implanter avec beaucoup de volonté, son évolution est à suivre avec intérêt.
La 3ème et pratiquement seule voie possible pour les familles consiste à adopter en démarche individuelle. Elle représente près de 80% des adoptions, soit 228 adoptions en 2009.
Mais le chemin vers la Russie s’avère long et difficile. Il nécessite un engagement très important des adoptants, qui doivent porter de bout en bout leur projet, avec souvent comme seule aide la solidarité entre adoptants regroupés en Associations de Parents par Pays d’Origine (APPO). Un engagement que l’on retrouvera plus tard dans le souhait de maintenir des liens avec le pays d’origine et l’investissement dans l’éducation des enfants.
Si la menace contre ce mode d'adoption se concrétise, ce serait la fin de l’espoir d’être un jour adopté pour de nombreux enfants qui attendent dans les orphelinats russes et des couples adoptants en France qui voulaient de cette façon combler leur désir d'être parents en tissant un lien fort avec un pays et une culture qui leur sont proches.
En son temps Voltaire aurait certainement pris la plume pour mobiliser son amie la Grande Catherine. Plus modestement, nous espérons que ces quelques lignes sauront rappeler à nos diplomates les liens qui unissent nos deux pays, et celui qui unit un enfant à sa famille, pour la Vie.
Alain Gaveriaux, père adoptant (avec Dimitri de Kochko)
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