Malgré le manque de précisions des nombreuses déclarations du président Dmitri Medvedev sur le « partenariat pour la modernisation » que beaucoup interprètent comme un revirement vers l’Ouest, le scénario de modernisation de Moscou implique en fait une coopération sélective avec ce dernier dans les domaines qui l’intéressent, plutôt qu’une intégration à grande échelle avec l’Occident.
Cette ligne d’intégration avait dominé la politique étrangère de la Russie quelque temps, mais a finalement été écartée pour plusieurs raisons dont la principale est que la Russie est une grande puissance en devenir et que ses intérêts se heurteront inévitablement aux autres acteurs mondiaux.
Les efforts de Moscou pour renouer les liens avec Washington et élargir sa coopération avec l’Union Européenne ont pour but d’attirer l’innovation technologique et les investissements en Russie. Sous la présidence de Vladimir Poutine, les tensions politiques ont bloqué de nombreux projets économiques lucratifs, mais le « partenariat pour la modernisation » n’est à proprement parler pas nécessairement lié aux changements de politique étrangère.
Pour attirer investissements et capitaux étrangers, le climat des investissements et la primauté du droit – sphères dans lesquelles les diplomates n’ont aucune influence – sont des questions bien plus importantes que celles de la politique étrangère.
Si la tendance est au pragmatisme, il semble n’être parfois qu’un euphémisme pour décrire l’incapacité de Moscou à définir la place de la Russie sur la scène internationale. Dans le même temps, la Russie est confrontée à des choix importants que le pragmatisme seul ne permet pas de résoudre.
Bien que Moscou ait largement atteint ses objectifs dans l’espace post soviétique, la zone a perdu une grande partie de son attrait auprès de l’Union Européenne et des États-Unis, longtemps engagés dans une lutte d’influence avec la Russie dans la région. D’un autre côté, les tentatives de Moscou de mener une politique économique et militaire avisée ont souvent été confrontées à la résistance (ou la passivité) de ses voisins, avec lesquels les relations restent encore très chaotiques. Les déclarations officielles des leaders russes offrent peu d’éléments pour connaître la priorité à suivre : l’intégration globale (avec son entrée à l’OMC) ou la coopération régionale (par la promotion de l’Union douanière régionale). Les deux orientations ont leurs points forts. Pourtant, elles sont incompatibles, ce qui signifie que la Russie devra trancher.
Autre priorité réaffirmée par M. Medvedev, la région Asie-Pacifique. Le débat sur le réalignement des forces mondiales en Asie n’est pas nouveau, y compris en ce qui concerne les problèmes rencontrés par la Russie en Extrême-Orient. Or cette question doit être clairement définie.
La corrélation entre les priorités asiatiques et européennes en matière de politique étrangère russe doit également être considérée en termes de modernisation. Toutefois, cela implique de graves considérations géopolitiques et culturelles. Traditionnellement, l’Europe a toujours été une source de développement cruciale pour la Russie. Dans le même temps, l’Occident perd de son importance stratégique au profit d’une Asie en croissance rapide, et dont le rôle politique et économique augmente considérablement. Sur le plan culturel, la Russie ne se sent pas particulièrement proche de l’Asie. Moscou se sent même plutôt menacé par l’expansion agressive de la Chine.
Dans une certaine mesure, le développement national de la Russie peut être lié à sa politique extérieure, mais le partenariat économique avec les principaux pays occidentaux pour la création « d’oasis de l’innovation » risque de remplacer une véritable démocratisation de l’État et de la société russe, tandis que le désir de renforcer le « partenariat pour la modernisation » pourrait restreindre les opportunités de la politique étrangère de la Russie.
La politique étrangère doit créer des conditions favorables au développement national, et en ce sens, il est nécessaire d’entretenir des bonnes relations avec les pays voisins et les autres partenaires, tout en évitant les conflits inutiles, a déclaré Medvedev. Jusqu’à présent, ce sont les questions de paix et de sécurité qui ont dominé l’agenda de la politique étrangère, et pour les diplomates russes ce point doit l’emporter sur les cinq autres axes prioritaires du programme de modernisation dont le président russe se fait le promoteur.
Selon Dmitri Medvedev, la tendance est à l’harmonisation des relations, au dialogue et à la minimisation des risques de conflits. Cependant, avec pour toile de fond la dégradation des institutions internationales et l’effondrement de l’ordre mondial, et face à des politiques intérieures imprévisibles, il faudrait être un optimiste tenace pour croire à des relations harmonieuses pouvant réduire le risque de conflit.
Fyodor Lukyanov est rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs
Article paru initialement dans The Moscow Times
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