Aveu de mollesse en Asie Centrale

Les événements survenus au Kirghizstan dans le sillage du coup d’État d’avril 2010 ont mobilisé l’attention du monde entier. En Russie et dans les républiques de l’ex-URSS, cette attention est amplifiée par le fait que ces troubles constituent la première épreuve sérieuse traversée par l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), candidate au rôle de principale organisation militaire de l’espace postsoviétique et principal contrepoids à l’OTAN.

Le renforcement de l’OTSC a permis à l’organisation de se convertir ces dernières années en un bloc militaire à part entière sous le leadership de Moscou. Il s’agit d’un des principaux succès russes dans le domaine de la politique étrangère, et constitue l’une de ses priorités absolues.

La mise en place de l’OTSC a été longue et douloureuse. Le traité signé en 1992 sur les ruines de l’URSS est resté lettre morte pendant de longues années. Après 2000, au moment où la Russie commençait à restaurer son influence sur l’Asie centrale, le traité a pris une forme concrète. Sur la base de ce document, une organisation dotée d’une structure permanente a vu le jour en 2002. Cette époque était caractérisée par la rivalité d’influence entre la Russie et les États-Unis sur l’Asie centrale où, après 2001, des bases américaines appuyant les activités du contingent de l’OTAN en Afghanistan ont été déployées.

L’influence et la réputation de l’OTSC et de la Russie, en tant que leader de cette organisation, constituent un actif politique de premier plan. Par contraste, la réaction à la catastrophe humanitaire kirghize laisse perplexe en raison de sa mollesse.

En effet, la Russie s’est limitée à renforcer son contingent déjà présent au Kirghizstan, sans lever le petit doigt pour mettre fin au massacre de la population ouzbèke (bilan officiel : 313 morts mais 2000 selon d’autres sources, NDLR ). Ni même pour déclarer de façon claire et nette son intention de défendre la population russe, également menacée (en sous-entendant par Russes les ressortissants de la République socialiste fédérative soviétique et leurs descendants), ce qui a beaucoup choqué en Russie.

Pourtant, l’OTSC possède les moyens nécessaires afin de mener des opérations de paix. À l’heure actuelle, le renforcement des forces collectives de déploiement rapide en Asie centrale se poursuit. Ces forces comprennent dix bataillons : trois russes, deux kazakhs, les autres pays de l’OTSC étant représentés par un bataillon chacun. Il convient toutefois de relever l’attitude particulière dans cette affaire des Biélorusses, qui refusent d’envoyer leurs troupes où que ce soit au-delà de leur territoire.

Au total, les forces collectives comptent près de 4 000 hommes. La composante aéronautique (10 avions et 14 hélicoptères) est déployée au Kirghizstan, sur la base aérienne militaire russe de Kant. Ces forces ont été formées dans le but de remplir des missions multiples, avant tout pour réprimer les attaques de mouvements terroristes et radicaux, ce qu’elles peuvent mener à bien de façon tout à fait correcte. L’utilisation opportune de ces forces, avec l’accord du gouvernement provisoire du Kirghizstan (qui de toute évidence ne contrôle pas le pays) et des autres pays membres de l’OTSC, permettrait au moins de réduire l’ampleur de la violence, à défaut d’y mettre définitivement un terme.

Car il n’est pas exclu que les pays frontaliers du Kirghizstan et la Russie elle-même se voient entraînés dans une guerre semblable à celle d’Afghanistan en cas d’aggravation du conflit.

Bien entendu, on peut comprendre la réticence des autorités russes à prendre des mesures radicales. En acceptant le rôle d’arbitre dans les affaires de ses voisins, proches ou lointains, la Russie n’a jamais obtenu d’avantages : au contraire, de telles initiatives lui ont apporté maints ennuis. Il est donc évident que dans la situation actuelle, Moscou n’acceptera de mener des opérations militaires qu’en bénéficiant du consensus international le plus large possible. Dans l’idéal, avec le feu vert du Conseil de sécurité de l’ONU.

Toutefois, une prudence aussi louable peut s’avérer lourde de conséquences. La réputation de leader dans une région sensible et explosive s’acquiert au prix d’une détermination sans faille et de la ferme volonté de défendre ses intérêts et les principes de coexistence déclarés. Si la Russie ne possède pas cette détermination, d’autres prétendants ne tarderont pas à se présenter afin de prendre sa place.

Ilia Kramnik est expert militaire auprès de RIA Novosti


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