Le IXe festival théâtral international Anton Tchekhov est consacré aux 150 ans de la naissance du classique russe, largement célébrés à travers la Russie. La plupart des coproductions réalisées à l'occasion de cet anniversaire sur proposition du directeur du festival Valeri Chadrine ont un lien plutôt fantasque avec Tchekhov. A la lisière des années 1980-1990, le nom de l'écrivain russe avait attiré à Moscou une véritable avalanche de spectacles par la suite devenus des classiques théâtraux. Les œuvres de Peter Brook, Peter Stein, Otomar Krejca ainsi que celles de leurs adversaires radicaux tels qu'Andrei Şerban (Roumanie) ou Petr Lebl (République tchèque), s'inscrivaient dans le cadre du texte tchekhovien, dans un dialogue avec ce dernier.
Pour ceux qui ont aujourd'hui répondu présent à l'appel de Chadrine, Tchekhov a servi de point de départ pour un voyage personnel, plus ou moins éloigné de l'écrivain. C’est le cas notamment de Josef Nadj. Mélancolique et enclin au mysticisme, l'éminent chorégraphe français d'origine hongroise place un jeu de mots au centre de son spectacle Cherry-Brandy, récemment mis en scène sur les planches du Théâtre Petr Fomenko de Moscou : tremblant d'une douleur mystérieuse, il trace à la craie sur un tableau des lettres se reflétant mutuellement. Tel un kabbaliste, empêtrant ses créations chorégraphiques dans un filet aux connotations multiples (le sous-titre du spectacle « La Création » renvoie précisément à la kabbale), Nadj propose de déchiffrer le lien entre le l'Ile de Sakhaline de Tchekhov, les vers de Mandelstam et le récit de Varlam Chalamov. Le seul qui semble à première vue complètement superflu ici, c'est Tchekhov.
Crédits photo : RIA Novosti
« Cherry-brandy », un des Récits de la Kolyma de Chalamov qui relate la mort du poète russe Ossip Mandelstam en commençant par les mots « le poète se mourait », définit parfaitement la plastique du spectacle de Nadj. Mouvement fascinant d'une main que saisit l'autre et avant de bouger avec elle comme une poupée ou un défunt; dynamique étranglée, couplée de deux corps qui marquent à jamais la mémoire des lits de planches; secret langage de la lanterne, qui fait ressortir dans l'obscurité fragments de genoux, omoplates et visages les assimilant à des objets inanimés ; toute cette cryptographie du spectacle a grandi à partir du récit chalamovien. A ce dernier vient uniquement s'ajouter la légère toux de Kirill Pirogov lisant les vers de Mandelstam : d'abord sur le siècle chien-loup, et à la fin : « Je te le dirai avec la plus grande franchise : tout cela n'est que du brandy, du cherry-brandy, mon ange ».
Festival international Tchekhov Le neuvième festival international Tchekhov est consacré aux 150 ans de la naissance du célèbre écrivain russe. Son programme comporte les spectacles « Par Tchekhov, sur Tchekhov, pour Tchekhov ». Quinze d'entre eux sont des mises en scène réalisées conjointement pour le festival par des metteurs en scènes et des théâtres russes et étrangers. Au programme figurent les travaux de théâtres russes, allemands, argentins, chiliens, suédois, suisses, japonais, taïwanais, espagnols, français, canadiens et d'autres pays encore. Chaque théâtre et chaque metteur en scène présente son propre regard, sa conception personnelle de Tchekhov. Le programme de l'année Tchekhov s'articule autour de trois volets : les Journées Tchekhov de Moscou (26 – 31 janvier), le IXe Festival théâtral international Tchekhov (25 mai – 30 juillet) et la Tournée mondiale des spectacles Tchekhov (janvier – décembre). |
Que signifie cette toux : la phtisie de Tchekhov ou l'intermittence, la discrétion de la vie, peu importe, cherry-brandy. Ce qui compte c'est la façon dont le caractère douloureux de la création est transmise par la forme même du spectacle, forgé avec tant de peine sans peut être atteindre un état d'achèvement. Après avoir inventé à merveille la plastique du Procès de Kafka ou de Woyzeck de Büchner, Nadj me semble au début seulement de son « travail » avec la plastique de Chalamov. Aliénation du corps, mise sur un pied d'égalité du corporel, de l'humain, avec le matériel et même l'animal, cette géométrie des relations de Mandelstam et de Chalamov est impeccablement tracée au cours du spectacle. Mais il semble que le principal défi pour Nadj ait été l'idée attribuée par Chalamov à la conscience déclinante de Mandelstam : « Tout ce qui ce qui naît de façon intéressée, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. Ce qu'il y a de plus élevé, c'est ce qui n'est pas écrit, ce qui est créé avant de disparaître sans laisser de traces ». Nadj, tel le poète de Chalamov sur les châlits de la mort du camp de transit, recherche ici sa rime, un « instrument de détection magnétique des mots et des notions ». A la lisière de l'anéantissement, le monde continue à s'engendrer comme auparavant, car la vie est précisément création, poésie, Verbe.
Tel est le message dansé des artistes de Nadj – le désespoir et la mystérieuse poésie du monde, dans lequel Dieu est mort jadis, et qui voit maintenant s'éteindre le Poète.
Tchekhov est mort avant qu'une telle situation ne devienne possible, mais il a ressenti de façon mystique cet avenir tragique et désespéré d'un monde « engourdi ».
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