Vladimir Soloviov : Lors du sommet Russie-UE de Rostov-sur-le-Don (31 mai-1 juin - ndlr), on a souligné le caractère stratégique des relations entre Moscou et Bruxelles. Mais dès que l’on commence à parler de mesures concrètes, par exemple de suppression des visas, d'accord-cadre ou de « Partenariat pour la modernisation », des difficultés apparaissent. Pourquoi on n'avance-t-on pas ?
Sergueï Lavrov : Je suis moins pessimiste. Il y a du progrès dans toutes les directions que vous avez citées, et dans bien d'autres. En ce qui concerne le nouvel accord-cadre, un grand nombre d'articles ont déjà été adoptés par les parties. Je pense qu’actuellement les plus grandes difficultés demeurent au chapitre économique. Cela tient surtout à la question de l'entrée de la Russie dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Ne sachant pas quand et à quelles conditions la Russie deviendra membre de l'OMC, nos partenaires européens hésitent à intégrer dans cet accord le principe des régimes commerciaux. La situation s'éclaircira dans quelques mois, car nous sentons chez nos interlocuteurs une volonté d'accélérer ce processus, y compris de la part des Américains. Certes, nous avons déjà entendu sous la présidence de George Bush la promesse que tout serait réalisé « pendant l'année en cours », mais sans résultat. Il y a lieu d'espérer qu'avec Barack Obama tout sera différent. Ainsi, l'accord-cadre est-il tout d'abord un problème de partage économique.
Peut-il aboutir avant le prochain sommet Russie-UE (qui est prévu pour l'automne) ?
Je ne vais pas faire de promesses irréalistes. Ces six dernières années, beaucoup de nos représentants ont déclaré à maintes reprises que la Russie ne tarderait pas à entrer dans l'espace de l'OMC. Mais tout finissait comme d'habitude. Je préfère me concentrer sur le résultat plutôt que sur des délais imaginaires.
En ce qui concerne la suppression des visas, c’est un problème de négociations, surtout pour l'Union européenne. Nous avons fourni des réponses exhaustives à toutes les questions sur la gestion du séjour des étrangers chez nous et sur nos mesures contre l'utilisation d'un régime sans visas par les criminels. Plus encore, lors du sommet de Rostov, nous avons transmis à l'UE un projet d'accord sur les obligations réciproques d'octroi du régime de circulation sans visas aux citoyens de Russie et de l'UE. La balle est désormais dans leur camp. Je crois que nous avons ouvert une nouvelle phase de notre dialogue. Les questions techniques sont déjà éclaircies et les experts européens l'ont reconnu. Maintenant il faut prendre une décision politique.
Les autorités russes se déclarent prêtes à supprimer les visas dès demain. Pourquoi pas ne pas le faire de façon unilatérale, en stimulant ainsi les Européens ?
Nous préférons nous reporter, dans les relations internationales, au principe de réciprocité, qui apparaît dans toutes les conventions de base qui règlent les rapports entre États. Je connais des exemples de pays qui ont octroyé de façon unilatérale certains droits de circulation, mais je pense que dans le cas présent il serait juste d'espérer une réciprocité rapide. D'autant plus qu’une trentaine de pays bénéficient déjà du régime sans visas dans l'UE, y compris des pays plus criminogènes que la Russie. Dès lors, je ne jouerai pas les pessimistes, mais je ne prendrai pas non plus une posture trop optimiste. A l'intérieur de l'UE il y a quelques pays qui, pour des raisons purement historiques, ne sont pas prêts politiquement.
Ont-ils des craintes ?
Je ne sais pas. J'entends certains de ces pays dire qu’il faudrait demander à la Russie quelque chose en échange. Je n'approuve pas cette attitude, elle n'est pas correcte. Nous serions gagnants, tout autant que les citoyens de l'UE, qui ont également intérêt à voyager en Russie avec moins de contraintes.
Pour ce qui est des démarches concrètes, la transmission aux partenaires de l'UE du projet d'accord sur la coopération dans le domaine de la gestion de crise est un pas important. Nous en parlons depuis plus de deux ans. Un mémorandum a pu être signé avec Javier Solana, en vertu duquel la Russie a rejoint l'opération que l'UE menait à l'époque au Tchad et en République Centrafricaine. Tous les arguments ayant été pris en compte, nous avons maintenant transmis un projet d'accord qui, nous l'espérons, aidera à accélérer ce processus.
De plus, un sommet russo-allemand a eu lieu juste après celui de Rostov-sur-le-Don. Lors de ce sommet Dmitri Medvedev et Angela Merkel ont créé un comité de la politique extérieure et de la sécurité entre la Russie et l'UE, qui pourrait notamment organiser une démarche commune dans le domaine de la gestion de crise. Le Chancelier Merkel a promis de transmettre cette initiative à Bruxelles et de contribuer à son approbation par l'UE.
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Sur les relations Russie-OTAN
Peut-on dire que si un tel comité avait été créé avant le conflit d'août 2008 en Géorgie, on aurait pu éviter cette situation ?
Je ne peux pas maintenant, a posteriori, spéculer sur ce qui aurait pu influencer l'état d'esprit du président Saakachvili quand il a donné cet ordre criminel. Bien sûr, un tel comité n'aurait pas fait de mal. Mais il ne faut pas oublier qu'à ce moment-là existait et fonctionnait le Conseil Russie-OTAN, avec des instruments multiples et dont la première tache était de traiter en urgence les situations de crise. Mais lorsqu'en plein milieu de la guerre déclenchée par Saakachvili nous avons proposé de convoquer une séance extraordinaire du Conseil, nos partenaires ont refusé. Nous savons avec certitude que la séance a été bloquée avant tout par les Américains, l'administration Bush. En outre, le Conseil permanent de l'OSCE aurait dû recevoir les rapports envoyés par ses observateurs avant l'opération militaire, annonçant celle-ci. Mais curieusement ces rapports ne sont pas parvenus jusqu'à cet organe intergouvernemental essentiel.
Ainsi, d'un côté le comité n'aurait pas été superflu, mais d'un autre côté, les mécanismes de l'OTAN et de l'OSCE existant n'ont pas fonctionné.
On a l'impression que l'idée d’établir un comité anticrise avec l'UE constitue une tentative de créer une nouvelle forme de collaboration. A quel modèle de relations avec Bruxelles Moscou aspire-t-il exactement ? L'adhésion de la Russie à l'UE paraît relever du fantasme. Une participation aux initiatives comme « Le Partenariat Oriental » serait humiliante pour Moscou. Comprenons-nous vraiment ce qu'il nous faut ?
Une coopération équitable. C'est le même problème que dans les rapports avec l'OTAN. A ce propos, le Conseil Russie-OTAN est beaucoup plus structuré que ne l'ont été nos relations avec l'UE jusqu'à présent. Il a été créé sur la base d'accords entre les dirigeants qui prévoient que chaque État, y compris les membres de l'OTAN, participe à égalité. Néanmoins, en pratique cela ne marche pas.
Nos partenaires de l'OTAN se mettent d'accord entre eux sur une position et énoncent par la suite la même chose, avec des variantes différentes. Nous essayons de changer les choses. Nos partenaires doivent surmonter une barrière psychologique très importante. En ce qui concerne les relations avec l'UE, il n'y a même pas de structure équitable de ce type, pas de mécanisme qui, au moins dans les textes, prévoirait le principe « un pays - une voix ». Or, il y a un réseau de dialogue important. Pendant des années, nous avons proposé à l'UE de créer quelque chose qui ressemblerait au Conseil Russie-OTAN, non pas dans le but d'échanger simplement nos évaluations et d'établir des recommandations, mais pour prendre des décisions. L'initiative qui a été énoncée à Merseburg vise ce but. Selon l'idée de ses auteurs, le comité doit être habilité à prendre des décisions pratiques dans le domaine de la gestion de crise, autrement dit le maintien de la paix. Comment cela va-t-il fonctionner en pratique ? Je ne le sais pas. Nous devons attendre la réaction des membres de l'UE. Il faut encore à réfléchir sur l'organisation du travail de ce comité et sur les pouvoirs à lui attribuer. Mais d'une façon ou d'une autre, c'est un pas dans une direction qui nous paraît juste.
Vous avez dit que nos partenaires de l'OTAN devaient franchir une barrière psychologique. Est-ce que la Russie l'a déjà franchie ? Dans la nouvelle doctrine militaire de la Russie, l'OTAN est considérée comme un danger extérieur essentiel. Moscou croit-il vraiment que les fonctionnaires de l'OTAN préparent des plans agressifs ?
Ne vous informez pas sur notre doctrine militaire à partir des évaluations de l'OTAN. Nous avons traité ce sujet à différentes reprises avec le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, et avec d'autres membres de l'alliance. Nous en avons parlé avec le secrétaire général au début de l'année, à Munich, dans le cadre de la conférence annuelle sur la sécurité. Il a demandé : « Pourquoi votre doctrine militaire compte-t-elle l'OTAN parmi les menaces pour la sécurité de la Russie ? » Je lui ai montré, la doctrine en main, que c’était tout autre chose y était inscrit.
Tout d'abord, il s’agit non d’une menace, mais d’un danger. Deuxièmement, ce n'est pas l'OTAN en tant que tel qui est visé. La doctrine fait figurer parmi les dangers que voit la Russie la tendance de l'OTAN à projeter son potentiel de force sur toute région du monde en infraction avec le droit international. C'est une définition très claire, reflétant les discussions menées au sein de l'OTAN sur les modalités de mise en œuvre du 5e article du Traité de Washington sur la défense collective.
En outre, et selon les propos mêmes de Rasmussen, la défense du territoire de l'alliance commence bien loin de ses frontières. Et enfin, dans la liste des partenaires à consulter dans le cadre de la coopération en matière de sécurité, l'OTAN fait notamment figurer l'ONU. Or, quand il s'agit de recourir à la force, la consultation n'est pas une forme appropriée à l'égard de l'ONU. Selon la Charte de l'ONU, on ne peut utiliser la force que dans deux cas : en cas d'attaque, c'est-à-dire dans le cadre du droit à l'autodéfense, et si l'utilisation de la force a été autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. Les documents de l'OTAN ne prennent pas cela en compte, ce qui a, bien entendu, un effet déstabilisant pour le climat international. Et cela ne nous arrange pas. Cela peut provoquer une réaction du type « si l'OTAN a le droit, alors pourquoi pas nous ? »
La deuxième mention de l'OTAN en tant que danger pour la Russie est liée au fait que son infrastructure militaire se rapproche de nos frontières, notamment dans le contexte de l’élargissement de l'alliance.
Ainsi, on ne peut pas dire que l'OTAN, en tant que structure militaire et politique, représente une menace pour nous. L'OTAN est une réalité qui ne disparaîtra pas. Et la proposition de nouvel accord sur la sécurité européenne que nous proposons à l'initiative du président Dmitri Medvedev ne prévoit pas sa dissolution. Mais il est important pour nous de comprendre vers quoi évolue l'OTAN. Si elle suit les directions mentionnées ci-dessus, ce n'est pas bien. C'est un mépris du droit international. Je suis persuadé que cela provoquera une réaction en chaîne et sera très dangereux.
Comment expliquez-vous cela ? Ces dernières années, les relations entre la Russie et les pays occidentaux se sont pourtant améliorées. Or tout ce que vous venez de citer témoigne d'un manque de confiance.
Je ne dramatise pas. Nous essayons de changer et je crois que nous y parvenons. En face, je sens également le désir de voir les choses avec un esprit ouvert, que partage Rasmussen, même si tout le monde n'aime pas cela dans l'OTAN. Le fait que nous traitions ouvertement avec l'OTAN sur les questions que vous soulevez constitue déjà un progrès.
Nous avons clairement expliqué nos inquiétudes. Notamment, nous jugeons incorrect le fait que les membres de l'OTAN soient prêts à garantir juridiquement la sécurité à tous les pays à l'intérieur de l'alliance mais refusent de donner de telles garanties en dehors de ses frontières. Il n'y a pas d'explications à cela, même si dans les années 1990 tous les pays de l'OSCE ont déclaré que nul ne pourrait assurer sa propre sécurité aux dépens de la sécurité des autres. Si c'est le cas, faisons de ces déclarations politiques des documents juridiques obligatoires, en égalisant, du point de vue du droit, la sécurité pour tous les pays européens.
Qu'est-ce qu'on vous répond à cela ?
On répond qu'il n'y a pas besoin de multiplier les documents. Mais ce n'est pas ce qui est proposé ! Nous ne nous attaquons pas aux documents constitutifs de l'OTAN, de l'OSCE, de l'OTSC ou de la CEI. Nous voudrions simplement que les paroles des chefs d'États et de gouvernements soient mises en actes : créons un document juridique obligatoire. La réponse que nous comptons obtenir montrera si nos partenaires étaient sincères dans les années 1990, ou si ce n'étaient que des paroles pour que la Russie de l'époque se sente respectée.
Si nous faisions une proposition radicale aux partenaires de l'OTAN et rejoignions l'OTAN, nous jouerions déjà selon les règles qui y sont établis.
Tout d'abord, malgré les propos que l'on peut entendre de temps en temps en Europe, personne ne nous y invite.
Et si on nous invitait ?
J'ai du mal à l'imaginer. Nous devrions adopter un plan d'adhésion, rendre des comptes à l'OTAN, nous y rendre régulièrement, attendre notre tour. C’est un sujet de discussion séduisant mais ce scénario n'est tout simplement pas réaliste et inutile du point de vue des objectifs pratiques que nous sommes tous en train de réaliser. Nos relations avec l'OTAN sont très complexes. En respectant les principes de base du Conseil Russie-OTAN, nous pourrons résoudre tous les problèmes les plus sérieux.
Le programme d'activité du Conseil Russie-OTAN contient un grand nombre d'événements qui passent inaperçus car ils n'ont pas de valeur médiatique et sont assez techniques : la coopération militaire, la recherche dans le domaine de l'anti-terrorisme. Après les attentats du métro de Moscou, nous avons attiré l'attention de nos dirigeants et de nos partenaires sur le fait que depuis quelques années l'OTAN travaillait sur un projet scientifique commun à Saint-Pétersbourg, qui permettra de créer un appareil de détection des explosifs plastiques, même en quantités insignifiantes, de quelques centaines de grammes seulement. Et il ne s'agira pas d'un détecteur de métal, mais d'un appareil discret. Dans quelques années, il est prévu de tester cette invention in situ.
On peut prendre aussi l'exemple du système des boucliers antimissiles. Avant que les plans de Bush ne soulèvent de sérieuses questions de notre part, nous développions avec l'OTAN un projet commun dans le but d'assurer la sécurité des forces de maintien de la paix. Il a été pratiquement réalisé, mais sa mise en œuvre a été gelée, car on a commencé à parler de la création de la troisième région de déploiement du bouclier antimissile des États-Unis en Europe.
Plus tard, l'administration Obama a abandonné ces projets en proposant une alternative qui est en voie de réalisation. L'évolution de cette alternative prévoit qu'en 2018-2020 ce système peut devenir stratégique, ce qu’il n'est pas à ce jour. C'est pourquoi nous devons comprendre comment trouver un équilibre stratégique dans nos relations avec les États-Unis. Il est très important que Barack Obama et Dmitri Medvedev aient signé l'année dernière une déclaration sur la coopération dans l'analyse des menaces. Des consultations ont déjà eu lieu et elles vont continuer. Ce qui nous inquiète, c’est la première étape du nouveau bouclier, avec la participation de la Bulgarie et de la Roumanie, soit en passe d’être réalisé, alors que l'analyse des sources de menaces est encore ne cours.
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Sur les relations avec les États-Unis
Un an s'est déjà écoulé depuis. On pourrait peut-être déjà présenter les résultats de cette analyse.
L'aboutissement de ce travail est freiné par les rapports bilatéraux que les États-Unis entretiennent avec certains pays qui se fient à leur analyse. La discussion sur le système du bouclier antimissile de l'OTAN a été freinée pour les mêmes raisons. Tout se résume au fait que les Américains constituent leur propre concept, lequel est approuvé par l'OTAN. On nous dit « rejoignez le processus ». Cela ne correspond pas aux accords entre Medvedev et Obama. Nous souhaitons que notre potentiel intellectuel et notre voix d'expert soient également pris en compte. Nous avons des choses à dire.
C'est-à-dire qu'il est peu probable que le bouclier antimissile en Europe soit un jour commun.
Actuellement, nous n'avons pas d'accord sur ce point. Nous essayons de comprendre dans quelle mesure les accords entre les deux présidents sur l'analyse commune s'accordent avec les démarches que les États-Unis ont déjà effectuées unilatéralement.
On aura bientôt l'occasion d'éclaircir ce sujet : le président Medvedev se rend aux États-Unis en juin (22-24 juin – ndlr).
Ce sera l'un des sujets de discussion et nous avons de grands espoirs quant à l'issue ce sommet. Les relations entre les présidents donnent le ton au travail des autres participants de la collaboration russo-américains. Hillary Clinton et moi ferons un rapport sur les résultats du travail de la commission présidentielle qui a été complétée par un 17e groupe de travail. Mais l'enjeu principal est d'enrichir considérablement la composante économique de notre collaboration, tout d'abord dans le domaine des innovations. Ce n'est pas un hasard si la visite doit commencer par un passage non-officiel en Californie, où le président de Russie entend visiter des entreprises de la Silicon Valley et rencontrer des personnes travaillant sur des technologies innovantes.
La signature avec les États-Unis du Traité START a été un pas symbolique, la première confirmation réelle d'une réinitialisation des relations. Quelle sera la prochaine étape ? Qu'est-ce qui rapproche Moscou et Washington à part les efforts communs dans la lutte contre la prolifération des armes nucléaires ? Peut-on s'attendre à des gestes pour annuler l'amendement Jackson-Vanik ?
L'expression « réinitialisation » a été utilisée pour la première fois par la partie américaine. Pour nous, c’était une prise de conscience de la part d'Obama de la nécessité de mettre un terme à la politique de ses prédécesseurs. Dans ce sens, nous avons noté que les dirigeants de l'administration se sont effectivement « réinitialisés ». De bonnes relations personnelles entre les deux leaders aboutissent à des actions concrètes. A l'époque de Bush, l’entente n’était pas mauvaise, mais cette ambiance ne se retrouvait pas aux autres niveaux de l'administration. L'amendement Jackson-Vanik est le problème de Washington et nous avons cessé toute demande à ce sujet. Car chaque président promet d'annuler cet amendement.
Quel est le problème alors ?
Cela reflète les particularités du système politique américain. Chaque congressiste ou sénateur qui a besoin de voix dans sa région – où l'on produit du poulet, par exemple –, relie l'abrogation de l'amendement à l'importation de cette viande de Russie. Et ainsi de suite. On peut toujours rajouter des conditions à la loi qui est devenue complètement ridicule. Ce n'est pas notre problème. J'espère que la raison saura triompher, que nous obtiendrons un régime commercial normal avec les États-Unis et que nous n'allons pas voir le président américain utiliser tous les ans son droit de ne pas appliquer cet amendement. On a introduit cet amendement pour aider les Juifs soviétiques à quitter l'URSS. Tous ceux qui le voulaient sont partis, la moitié d'entre eux est déjà revenue de son plein gré, mais l'amendement n'a pas bougé.
Nous ne sommes pas liés uniquement par la question du désarmement. J'ai déjà mentionné le besoin d'accroitre considérablement la composante économique. C'est le fondement essentiel de nos relations et nous avons de grands projets. A la fin mai, un groupe important de représentants d'entreprises innovantes américaines a fait une visite en Russie. Ils sont repartis enthousiasmés et préparent pour la visite du président Dmitri Medvedev aux États-Unis des propositions concrètes, tout comme nos entreprises. Je voudrais mentionner l'un de ces projets : la conception d'un nouveau grand avion de transport. Il n'y a que la Russie et les États-Unis qui produisent ces avions. Actuellement les Américains arrivent au bout des ressources qu'ils utilisaient et nous avons par exemple besoin de moderniser le An-124.
Et l'atome pour la paix ?
L'accord sur l'atome pour la paix qui a été transmis au Sénat pour ratification avant d'être retiré est de nouveau devant les sénateurs. C'est une démarche importante. La composante culturelle joue également un rôle important du point de vue des contacts entre les gens. Par exemple, pour le développement de ce genre de contacts nous avons proposé la chose suivante : actuellement il existe un accord sur le régime sans visas pour les autochtones de Tchoukotka et d'Alaska qui se rendent visite. Nous avons proposé, et nous attendons la réaction de la partie américaine, que tous les habitants de ces régions puissent bénéficier de ce régime.
Sait-on exactement ce que devraient être les relations avec les États-Unis pour éviter les montagnes russes, avec des chutes ou des remontées en flèche ? Est-il possible d'atteindre un niveau relationnel comparable à celui avec la France ou l'Allemagne ?
Chaque pays a son visage et ses traditions politiques. Les traditions des États-Unis sont très spécifiques en comparaison avec l'Europe. Même les relations entre le pouvoir exécutif et législatifs ne ressemblent à celles d'aucun autre système. Elles laissent la possibilité au législateur d'influencer considérablement le travail de l'administration et même de créer des irritations. Que faut-il faire pour éviter de tels dénivelés ? Tenir parole, respecter les accords, résister aux tentatives de changer de cap qui peuvent intervenir d'un côté comme de l'autre et mener ses activités équitablement. Dans ce contexte je voudrais souligner une fois de plus le sens politique, psychologique et juridique du Traité START. Il a été établi sur une base paritaire, c'est le principe que nous appliquerons dans nos relations avec les États-Unis. Comme on le constate, cette attitude est également soutenue par le Président Obama.
Prévoit-on la signature d'accords concrets pendant le sommet russo-américain ?
Nous préparons des propositions et les décisions seront prises par les présidents.
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Sur le conflit en Géorgie
Revenons aux frontières russes. Depuis août 2008, la Russie considère comme résolus les conflits sur le territoire de la Géorgie. Néanmoins, elle se trouve en minorité sur ce sujet. Est-ce définitif pour Moscou ? C'est un statu quo pour toujours ?
Pour nous, la question est définitivement résolue. Je me permettrais même d'affirmer qu'il en va de même pour les autres pays sérieux qui, à cause du politiquement correct ou pour d'autres raisons politiques, ne peuvent pas le reconnaitre officiellement. J'ai déjà dit à maintes reprises que ce n'était pas notre choix et que tous les griefs éventuels doivent être adressés à Mikhaïl Saakachvili qui a détruit l'intégrité territoriale de la Géorgie. Jusqu'à ce qu'il donne l'ordre criminel de tuer nos soldats de la paix et les habitants d'Ossétie du Sud, la Russie a tenté de l'aider à résoudre les conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Il a tout détruit.
Vous avez dit récemment que même après la phase militaire du conflit d'août, la Géorgie avait encore la possibilité de garder ces territoires.
Quand le but de l'opération contre l'agression a été atteint et que le président de Russie a donné l'ordre d'y mettre fin, le plan Medvedev-Sarkozy a été établi. Il a servi de base aux actions ultérieures. Le sixième article de ce texte rappelle la nécessité d'entamer des discussions internationales sur le statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud et sur la sécurité de ces régions. Nous l'avons signé. C'est-à-dire que le 12 août 2008, jour de la fin de l'opération militaire, le président russe a accepté le fait que le statut de ces régions devait faire l'objet d'une discussion internationale.
Cela veut dire que la Russie n'avait pas l'intention de reconnaitre l'indépendance de ces républiques ?
Nous n'avions pas d'ambitions géopolitiques. Nous n'avions que la volonté d'arrêter le massacre de nos citoyens et des habitants d'Ossétie du Sud. Nous venions juste de reprendre souffle et nous étions dans les conditions politiques dont je vous parle maintenant. Nous étions prêts, le jour de la fin de l'opération militaire, à continuer la discussion sur le statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Le texte a été agréé. Le président français Nicolas Sarkozy l'a apporté à Tbilissi. Et puis, il a appelé pour dire que Saakachvili refusait de discuter sur le statut de ces républiques, que pour lui leur statut était clair et qu'il fallait supprimer cette phrase. Nous avons accepté.
A ce propos, Saakachvili a manipulé également d'autres parties du plan Madvedev-Sarkozy. Les six articles étaient précédés d'un préambule qui stipulait que les présidents de Russie et de France approuvaient les principes énoncés et appelaient les parties à les respecter. Dans le document, que Saakachvili a finalement accepté de signer, la phrase sur le statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud avaient été supprimée. En outre il avait censuré l'introduction. Or il déclare aujourd'hui que le document appelle notamment la Russie à cesser certaines choses alors que l'introduction disait clairement que les deux présidents appelaient les parties à agir. C'est pourquoi on parle de plan « Medvedev-Sarkozy ».
Qu'en est-il alors des reproches adressés à la Russie qui n'aurait pas respecté les obligations du plan sur le retrait des forces armées à leurs positions d'avant-guerre ?
Les forces de l'armée qui ont contribué à contrer l'attaque contre l'Ossétie du Sud ont été déployées sur le territoire de la Russie. A l'époque, les discussions sur le statut ont échoué, Tbilissi a fait des déclarations revanchardes, disant que la guerre n'était pas finie. C'est pourquoi on a décidé fin août que le seul moyen d'assurer la sécurité et la survie des habitants d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud était de reconnaître leur indépendance. Et les forces russes qui y sont basées actuellement se trouvent dans un contexte juridique différent, en vertu d'accords entre la Russie et les deux pays qu'elle a reconnus. La Russie a respecté dans cette partie le plan Medvedev-Sarkozy.
A ce propos, ceux qui disent que nous devons revenir sur la ligne d'avant le 8 août oublient qu'avant cette date nos forces se trouvaient au milieu du territoire géorgien, car les forces de maintien de la paix n'étaient pas uniquement en Ossétie du Sud, qui faisait partie de la Géorgie à l'époque, mais également en dehors de ses frontières. La situation en Abkhazie était identique. C'est pourquoi, si on nous invite à quitter les frontières d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie pour reprendre les positions occupées avant le 8 août 2008, je serais reconnaissant qu'on nous le dise clairement.
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