Un siècle d’aviation
 en commun

Le SuperJet-100 de Soukhoï, ici accompagné par des chasseurs du même constructeur, est pour un tiers composé de pièces françaises. Crédits photo : sukhoi.org

Le SuperJet-100 de Soukhoï, ici accompagné par des chasseurs du même constructeur, est pour un tiers composé de pièces françaises. Crédits photo : sukhoi.org

La Russie fête actuellement le centenaire de son aviation. La France, qui a joué un rôle clé lors des premiers vols russes et pendant la Seconde Guerre mondiale, est encore présente pour une nouvelle aventure.

Mais quelle est donc la date précise du premier vol effectué par un aviateur russe ? Les historiens et spécialistes continuent de se disputer. Le 24 mai 1910, l’aviateur Yakov Gakkel réussit un vol à Gatchnia, non loin de Saint-Pétersbourg, sur un appareil baptisé Rossia A. Un peu auparavant, des vols avaient déjà été effectués par Mikhaïl Efimov, non sur le territoire russe actuel, mais en Ukraine (Odessa et Kiev). Et en février de la même année, le Tsar Nicolas II avait par oukase ordonné la création de la flotte aérienne russe, dont la tâche était de former officiers et pilotes à la commande d’aéroplanes. Il s’agissait aussi de constituer un parc d’appareils destinés à l’armée et à la flotte.

Le monde était alors en proie à une furieuse passion pour tout ce qui touchait à la conquête des airs. La France se trouvait au cœur de cet engouement mondial, grâce en particulier à Blériot et son héroïque traversée de la Manche, qui fit grand bruit aux quatre coins de la planète. Les plus ardents adeptes hexagonaux n’avaient alors de cesse que de démontrer les prouesses d’une aviation qui progressait à un rythme effarant. Ce fut l’un d’entre eux, Georges Legagneux, qui effectua le 15 septembre 1909 le tout premier vol sur territoire russe, six mois avant les autochtones. Il épata la bonne société russe rassemblée non loin du centre de Moscou, avec son biplan de marque Voisin. Le site de ce premier vol (Khodynka) est resté jusqu’à aujourd’hui un lieu d’exposition d’aéroplanes divers.

Aucun expert ne conteste l’importance de l’effort réalisé par Legagneux pour introduire l’aviation en Russie. S’il est une chose sur laquelle l’ensemble des acteurs de l’aviation russe s’accorde, c’est sur la nécessité de fêter dignement ce centenaire, alors que le gouvernement n’a rien prévu jusqu’ici. Au terme d’une orageuse conférence de presse le 26 mai dernier à Moscou, une lettre ouverte a été envoyée au Premier ministre Vladimir Poutine, lui demandant d’apporter son soutien à cette initiative.

Quelques-uns des pilotes de la fameuse escadrille française Normandie-Niemen, qui a combattu aux côtés des pilotes soviétiques. Crédits photos : RIA Novosti

Un anniversaire que le gouvernement russe ne manque en revanche jamais de marquer, c’est celui de la participation de l’escadrille Normandie-Niemen au combat contre les forces nazies pendant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs vétérans de l’escadrille ont été invités à défiler le 9 mai dernier sur la Place Rouge à Moscou lors des cérémonies commémorant le 65ème anniversaire de la victoire des Alliés sur le nazisme. Ce moment fort de l’alliance franco-russe dans les airs a commencé lorsque quatorze pilotes et 58 mécaniciens français basés au Liban rejoignirent le territoire soviétique 12 novembre 1942 via l’Irak et l’Iran. Le baptême du feu eut lieu peu après lors de la décisive bataille de Koursk début 1943.

Sergueï Kramarenko, un « as » de l’armée de l’air soviétique, s’en souvient avec émotion : « Ils ont magnifiquement combattu, avec une belle discipline, malgré le fait qu’ils aient essuyé de lourdes pertes. Ils furent parmi les premiers à voler sur des [chasseurs] Yak-1, un modèle qu’ils ont très vite maîtrisé », raconte cet homme de 87 ans décoré du titre de Héros de
l’URSS.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’irruption de la Guerre froide a poussé les Soviétiques à engouffrer des moyens financiers et scientifiques considérables pour constituer une aviation militaire capable de rivaliser avec celles des pays capitalistes. Avec un premier test lors de la Guerre de Corée, au cours de laquelle le même Sergueï Kramarenko a abattu 15 avions américains à bord de son MiG-15 en deux ans, dans le premier duel d’avions à réaction de l’histoire.

L’aviation russe n’avait alors plus rien à envier à personne. Aeroflot possèdait la première flotte du monde. Les chasseurs Soukhoï et MiG se vendaient comme des petits pains aux alliés du Pacte de Varsovie.

“ Les fournisseurs français ont de très bonnes chances d’entrer dans notre projet d’avion MS-21 ”

Aujourd’hui, vingt ans après la fin de la Guerre froide, la Russie revient frapper à la porte européenne pour relancer une industrie aéronautique lourdement handicapée par deux décennies de sous-investissement dans le secteur. Et c’est la France qui, de nouveau, lui ouvre la porte, avec la fourniture de moteurs et de systèmes avioniques du SuperJet 100. Premier avion russe de conception résolument post-soviétique (à l’inverse des concurrents Tu-204 et An-148), l’appareil développé par Soukhoï « est à 30% français », selon l’aveu formulé par le ministre de l’Industrie russe Viktor Khristenko le 31 mai dernier. Cet avion régional d’une centaine de places « est le plus français de tous les avions russes », toujours selon le ministre. « Cette coopération avec les Français constitue une excellente référence pour les projets à venir. C’est pourquoi les fournisseurs français ont de très bonnes chances d’entrer dans notre projet d’avion moyen courrier MS-21 ».

Cet appareil mis au point par Irkut n’existe encore que sur le papier mais Moscou espère déjà en faire un concurrent des Airbus et Boeing qui règnent sur ce segment. Irkut, qui reçoit déjà des pièces de Thalès et Sagem pour ses chasseurs Su-30MK, est sur le point de signer avec un autre groupe français, Zodiac Aerospace, pour des systèmes destinés au MS-21. Mais Viktor Khristenko ne s’arrête pas là : « Nous espérons que les groupes français accepteront de partager les risques liés au projet et deviendront nos partenaires ». Trouvera-t-il des groupes français assez audacieux pour quitter le navire Airbus et rejoindre la barque russe ?


Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies