Qui étouffe la presse libre ?

Le 3 mai 2010, à l’occasion de la Journée mondiale de la presse libre, l’association internationale « Reporters sans frontières » a publié une liste de 40 « prédateurs de la presse libre ». Le Premier m inistre russe Vladimir Poutine se trouve sur cette liste.
La façon dont l’honorable organisme justifie ce choix a des airs de remise de médaille : « La ‘verticale du pouvoir’, formule qui résume sa politique de reconstruction d’un État fort après les années de confusion et de dilution de l’autorité sous Boris 
Eltsine, a traversé toutes les composantes de la société. La presse n’y a pas échappé... Les télévisions nationales parlent d’une seule voix ».

Je suis persuadé que l’auteur de ces lignes a été influencé par un livre événement qui vient tout juste d’être publié. Dans « Non pas grâce à... mais en dépit de », l’ancien ministre de l’Énergie nucléaire, Evgueni Adamov, décrit la façon dont le banquier et fondateur de NTV, Vladimir Goussinski, a réagi quand Adamov 
a refusé de l’aider à résoudre les problèmes de sa banque « Most » aux dépens des entreprises 
du secteur nucléaire, au lendemain de l a crise financière d’août 1998 : « Tu crois que tu vas rester longtemps à ton poste ? Tu vas être embarqué tout à l’heure par le FSB… Tu ne finiras pas ta journée ici… Je vais te démontrer 
le pouvoir des média ! ». D’après l’ancien ministre, il était question de 100 millions de dollars. « Il n’y avait pas de logique à impliquer les médias dans cette affaire, alors que le FSB allait m’emmener de toute façon . Mais 
cela n’a pas effleuré l’esprit 
de mon interlocuteur: J’ai pu observer à cette occasion la tournure d’esprit de ceux qu’on appelle les oligarques », poursuit Adamov, qui décrit ensuite en détail la guerre médiatique engagée contre lui.

Poutine a détruit la télé des oligarques, mais il n’a pas su ou eu le courage de la remplacer par un système indépendant

C’est le type de chantage et de racket médiatique appliqué par de nombreux média russes sous Eltsine que les « Reporters sans frontières » décrivent de façon critique.

Il me semble que la chasse de Poutine contre la chaîne NTV et les mesures de contrôle de l’ORT visaient moins la liberté de 
la presse ou les journalistes de ces chaînes que leurs propriétaires, Vladimir Goussinski et Boris 
Berezovski. En fait, l’objectif était de reprendre le contrôle de l’État. Je suis sur ce point d’accord avec les auteurs de la liste.

Je suis également d’accord avec « Reporters sans frontières » sur le fait que la période où « les télévisions nationales parlent d’une seule voix » s’éternise. Ayant vaincu le système de la « télévision des oligarques » incompatible avec la liberté de la presse, Poutine n’a pas su, ou plutôt n’a pas eu le courage, de le remplacer par un système indépendant. Mais il est probable que chaque dirigeant a sa mission et ses ressources. Il appartient au Président Medvedev de faire un nouveau pas vers la création de conditions favorables au développement de la presse indépendante en Russie. 
Ce sera pour lui plus facile car la réforme des médias s’est faite toute seule : grâce au développement rapide de l’Internet, l’univers médiatique a radicalement changé au cours de la dernière décennie. Dans ces conditions, le contrôle des médias traditionnels a beaucoup moins d’importance qu’avant, ce qui favorise l’exercice de la liberté.

Pour notre part, nous observerons les progrès de Medvedev à travers l’œil de « Reporters sans frontières », tout en espérant que l’association sera aussi compréhensive vis-à-vis des problèmes de nos dirigeants qu’elle l’a été cette année.

Alexeï Pankine est rédacteur en chef du magazine « Stratégies et pratique de l’Édition »


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