Paris vous fait femme !

Mais regardez comme il fait beau ! Levez donc le nez de votre ordinateur.

Je lève le nez et regarde le jeune homme qui vient de m’interrompre dans mon travail. C’est vrai qu’il fait beau. La Place des Vosges est envahie : Parisiens et touristes ont pris d’assaut les pelouses et se prélassent dans les rayons chaud d’un soleil enfin printanier. Tant mieux ! Mais ce n’est pas une raison pour m’empêcher de travailler. Je m’efforce de prendre un air de circonstance, et me replonge dans mon écran. Je sors une cigarette. Le gars me tend son briquet.

- On dîne ensemble ce soir ?

J’ai vingt ans de plus que lui, je n’en doute pas une seconde. Lui non plus d’ailleurs. Je remets mes lunettes et, avec toute la sévérité maternelle dont je suis incapable, je déclare :

- J’ai un fils de votre âge.

- Il a bien de la chance, le bonhomme. Alors, ce dîner ? Neuf heures, ça vous irait ?

Le soir, je raconte en rigolant l’histoire de l’impertinent à une copine. Réponse : « Mais qu’est ce que tu fais encore ici, tu vas être en retard pour ton dîner ! » Je n’attendais pas d’autre réaction de sa part.

Paris a prolongé ma jeunesse, qui, comme je l’ai compris ici, n’a rien à voir avec l’âge. C’est absurde d’essayer d’expliquer à un vendeur que bien sûr qu’elle est jolie cette minijupe, et c’est vrai qu’elle me va bien, mais ce n’est vraiment plus de mon âge… l’âge n’est pas un argument acceptable. Tant qu’il y a des jambes, la minijupe est de mise. Tant qu’il y a de l’éclat dans tes yeux, tu es une femme. Tout dépend de la manière dont tu te sens.

C’est paradoxal, mais certains de mes amis moscovites, de dix ans mes aînés et connus pour ne sortir qu’avec des filles de moins de vingt-cinq ans, commencent à me faire la cour en arrivant à Paris, alors que je n’entre absolument pas dans leur catégorie d’âge. Ils appellent ça : « Paris te va si bien ». Tu parles. Ce qui me va bien, comme à toute femme, c’est d’être femme, de me refléter dans les yeux d’hommes prêts à m’accepter comme je suis, comme aurait écrit Bridget Jones dans son journal.

Un jour, au début de mon séjour en France, je m’étais enfuie en Camargue pour m’isoler, nager, me reposer. Sur la plage, un homme me dit : « Une femme en France n’est jamais seule ». C’était une exagération. Il y a plein de femmes seules ici, beaucoup se sentent privées d’attention et d’amour. Mais à 40, à 50 ans, et même au-delà, elles continuent à se sentir femmes, si j’en juge par les Françaises que je connais. Elles ne deviennent pas des grand-mères, même quand elles le sont deux fois. Ici, les femmes n’ont pas un certain âge, dans le sens moscovite du terme, c’est-à-dire littéral. J’ai l’impression que je m’habille différemment quand je viens à Moscou, avec plus de prestance, en adéquation avec mon âge, que j’ai vite fait d’oublier en France.

Dîner ou ne pas dîner avec un inconnu beaucoup plus jeune que moi… Je doute qu’un tel dilemme soit possible à Moscou. Jamais une question aussi amusante ne se poserait. Alors qu’à Paris, il suffit d’enfiler un jean et un pull, et s’en aller dîner avec le jeune inconnu. Enfin ce n’est pas sûr que j’y aille. Mais je pourrais. À l’aise.

Natalia Gevorkian est correspondante à Paris du journal Kommersant

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