Paris, pour moi, c'était comme un mauvais conte. Cette ville tant vantée, mille fois célébrée, qui s'enorgueillit de sa culture, de son patrimoine et de ses - beuark! - cuisses de grenouilles... Je voyais en Paris un vieux héros guindé, crânant avec sa Tour Eiffel et son Edith Piaf farfelue que je ne supportais plus depuis l'enfance. Et puis ce mythe sur les relations si particulières entre la France et mon pays que je devais, moi, en tant que journaliste soviétique envoyé sur place par un grand journal, faire mousser...
Pendant les premiers mois, alors que je devais m'accréditer au Quai d'Orsay et faire les démarches interminables pour la carte de séjour, Paris n'était pour moi qu'un ramassis terrifiant de fonctionnaires sans âme, que seules les boîtes de caviar faisaient réagir. Et quand un collègue aîné, qui a détesté cette ville toute sa vie, déclara: « Il faudrait vider Paris de tous ces Français, quelle ville ce serait alors!", j'ai failli applaudir.
Phrase idiote, absurde, blasphématoire, parce que même avec mon mauvais français de débutant je comprenais progressivement que Paris était véritablement magnifique. Au Musée d'Orsay (non, pas au Quai), j'étais toujours attendu par mes amis impressionnistes. Même la Tour Eiffel, à sept minutes de marche de chez moi, était, je ne sais comment, devenue mienne. Plongé dans mes pensées, je sortais sur mon minuscule balcon, avenue de Suffren, et, scrutant ses contours limpides comme le jour, j'y puisais des forces mystérieuses. Le métro parisien, avec son odeur aigrelette, m'est devenu aussi familier que celui de Moscou, mais en plus pratique et plus courtois. J'ai vite saisi les concepts, d'abord incompréhensibles, de « quartier » et de « gens du quartier ». C'est le pharmacien, qui s'enquiert de la santé de mon fils et me conseille les meilleurs remèdes. C'est aussi la vendeuse de journaux, qui me met de côté mes titres favoris: Le Figaro, L'Équipe et l'inévitable « Huma » pour le journaliste soviétique. Oui, la bureaucratie est terrible. Oui, parfois, on sent une inimitié envers les étrangers. Mais c'est un autre esprit qui domine ici. C'est De Gaulle qui, du haut des ses deux mètres, a pu tenir tête aux Américains. C'est le sage Mitterrand qui jamais n'a repoussé son voisin éloigné. C'est Chirac, qui a traduit
Eugène Onéguine de Pouchkine. Et c'est le nouveau gars de l'UMP, toujours dressé sur ses talons et qui, avec son étrange nom de Sarkozy, a prouvé aux tenants de la pureté du sang qu'un immigré de la deuxième génération pouvait devenir le chef des Français.
Ah, diable! Paris m'a converti à sa foi, simplement et sans demander mon avis. Franchement, quelle est la ville la plus attrayante au monde (Moscou ne compte pas)? Quelles sont les voitures les plus confortables? Les françaises, c'est clair. Vous me demanderez peut-être quelle cuisine et quels vins sont les meilleurs? Ne soyez pas naïfs. Les vêtements? Tout, mais pas ça. Je m'habille depuis 22 ans (ça fait peur) dans un immense magasin, un dépôt où plusieurs générations de vendeurs se sont succédées mais le bon goût est demeuré. C'est d'ailleurs l'enseignement du grand Cardin qui nous a mis sur le chemin de la vérité en 1987: « Choisissez-vous un style et un bon magasin pour toute la vie, et ne pensez plus à la mode. Elle restera d'elle même avec vous ».
Nikolaï Dolgopolov est le rédacteur-en-chef adjoint de Rossiyskaïa Gazeta. Il fut correspondant à Paris de la Komsomolskaïa Pravda entre 1987 et 1993.
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