Fusion imposée!

Pour les Américains, la très regrettée Julia Child est synonyme de « French cuisine », et le plus célèbre cordon-bleu de la télévision américaine, son livre Mastering the Art of French Cooking (« Maîtriser l'art de la cuisine française ») à l'appui. L'ouvrage est redevenu un best-seller: une nouvelle génération lutte pour désosser des canards, trouver trois jours pour la préparation d'un authentique cassoulet et perfectionner l'art impossible de transformer des œufs, du beurre et du fromage en un majestueux soufflé. Julia était aussi le meilleur exemple de ce qu'une expatriée devait être: aventurière, grégaire, prête à prendre le meilleur de son pays d'adoption pour le fusionner avec sa propre culture.
Un exemplaire fatigué et graisseux de son livre a traversé l'Atlantique avec moi il y a 17 ans, quand je me suis lancée dans ma vie d'expat, ainsi que dans la fondation d'un ménage débutant avec mon HMR (« horrible mari russe »). Je ne connaissais pas la Russie mais n'avais aucun doute quant à la possibilité de trouver facilement crème fraîche, bouquet garni ou mangetouts dans mon épicerie de quartier. Mais la Russie des années 1990 était tout sauf un centre gastronomique. Le dollar avait inondé le marché, les importations de nourriture se limitaient à des cuisses de poulet et de l'Amaretto dґItalie, et croyez-moi sur parole, ils ne vont pas bien ensemble. Les magasins d'alimentation du coin offraient des réserves insuffisantes et un service revêche. La première année, en m'échauffant pour un dîner, je feuilletais le livre de Julia en quête dґinspiration, seulement pour le refermer violemment, avec frustration, quand elle m'enjoignait joyeusement de « demander à mon boucher de fendre le gigot dґagneau en deux et enlever l'os ». Quel boucher? La seule viande que je pouvais trouver était congelée et vendue par des femmes effrayantes dans des magasins toujours sur le point de fermer.

Toutefois, la bonne nourriture est universelle. Lentement, mais sûrement, j'ai trouvé mes marques en Russie. Je dépensais tout mon argent en cornichons français et vinaigre balsamique de Modène dans des magasins outrageusement chers pour diplomates et homme d'affaires. Et puis j'ai découvert les merveilleux marchés moscovites, emplis d'estragon, basilic, thym et romarin aromatiques, vendus par des femmes azéries souriantes, avec des dents en or et des yeux noirs pétillants. Je suis devenue amie avec Pacha, un vendeur de porc et dґagneau de Vologda, qui non seulement pouvait désosser un gigot, mais m'a même appris à le faire. Et je me suis arrangée avec Tania, une époustouflante fermière de volaille ukrainienne pour qu'elle me laisse de côté des filets de poulet tendre tous les samedis.

En Russie, je suis devenue une cuisinière très confiante et inventive. J'ai appris à expérimenter, substituer et adapter. Le « salo » ukrainien (du lard) fait parfaitement l'affaire pour le Bœuf en daube, les groseilles russes donnent une excellente sauce aux airelles et rien ne bat la crème fraîche fermière russe pour épaissir et enrichir nґimporte quelle sauce française.

« Les bons Américains, quand ils meurent, vont à Paris », dit l'adage. Je suis sûre que Julia y est, mais je crois aussi qu'elle a relevé avec délectation le défi de mґaccompagner en Russie. Je suis heureuse qu'elle l'ait fait. Bon appétit!

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