Ce photographe inconnu qui immortalisa le procès de Nuremberg

Le procès de Nuremberg. Photo de Evgueni Khaldeï. Crédit : UllsteinBild/Vostock-Photo

Le procès de Nuremberg. Photo de Evgueni Khaldeï. Crédit : UllsteinBild/Vostock-Photo

Le photographe Evgueni Khaldeï captura l’image emblématique des soldats soviétiques plaçant le drapeau rouge sur le Reichstag et couvrit le procès de Nuremberg intenté contre les principaux responsables nazis après la guerre. Etonnamment, 70 ans après la fin de la guerre, son nom est à peine connu en dehors de la Russie. Dans le cadre de notre projet « La Guerre méconnue », le réalisateur britannique et journaliste Nick Holdsworth, qui le connaissait personnellement, raconte l’histoire de cet homme talentueux et modeste et révèle des détails inconnus de sa biographie mouvementée.

A le voir, on ne devinerait jamais qu’Evgueni Khaldeï fut l’un des plus grands photographes de première ligne de la Seconde Guerre mondiale. Modeste et imperturbable, ce petit retraité trapu vivait pauvrement dans un petit deux-pièces dans la banlieue nord-ouest de Moscou.

Et pourtant, les images emblématiques de la campagne punitive et sanglante visant à poursuivre les Allemands à travers l’Europe de l’Est et jusqu’à Berlin, capturées par cet homme, étaient aussi célèbres dans le monde que sa personne était inconnue. 

Sa photographie des troupes de première ligne plaçant le drapeau rouge sur le Reichstag en mai 1945, à quelques jours de la capitulation définitive de l’Allemagne, fut l’image déterminante, quoique controversée, de la défaite du nazisme. Critiqué pour avoir mis en scène la photographie deux jours après que les soldats de l’Armée rouge y eussent brièvement érigé la faucille et le marteau alors que la bataille continuait à faire rage, Evgueni recréa la photo quelques jours après son retour à Moscou avec plusieurs rouleaux de pellicule. A ces fins, il demanda à son oncle, tailleur, de découper un grand symbole de la victoire soviétique dans une vieille nappe rouge.

Image controversée

Evgueni a toujours défendu l’image, supposée avoir été ordonnée directement par le dirigeant soviétique Joseph Staline, insistant sur le fait qu’il ne s’agissait que d’une reconstitution de l’événement réel. Le fait qu’il ait effacé plusieurs montres volées sur le bras de l’un des soldats recrutés pour l’image et noirci artificiellement les nuages de fumée en arrière-plan lors du développement des photos, était sans doute compréhensible à l’époque où sa mission en tant que photographe de TASS promu au grade de lieutenant de l'Armée rouge était à la fois de témoigner la vérité et de faire son possible pour maintenir le moral des Soviétiques.

La photographie d'un soldat russe plaçant le drapeau rouge sur le Reichstag en mai 1945. Crédit : RIA Novosti

L'image originale prise par Evgueni Khaldeï. Crédit : AP

Les photographies couplées d’un officier de l’Armée rouge regardant avec un dégoût non dissimulé les corps d’un SS, sa femme, son fils et sa fille, qu’il avait manifestement tués, avant de prendre sa propre vie sur le banc d’un parc, réalisées par Evgueni, offrent une image frappante et perturbante. Tout comme son portrait puissant, pris à Budapest en janvier 1945, d’un homme et d’une femme juifs, leurs manteaux toujours marqués par l’étoile jaune que les nazis les obligeaient à porter, regardant l’objectif d’Evgueni avec une totale stupéfaction, après qu’il leur eut dit en yiddish qu’ils pouvaient arracher ces horribles symboles.

Mais Evgueni ne partageait aucune de ces histoires spontanément.

Ce photographe d’origine ukrainienne, qui perdit sa mère un an après sa naissance en 1917 dans un pogrom antisémite à Iouzovka (aujourd’hui Donetsk) quand une balle traversa le corps d’Evgueni blotti contre sa poitrine avant de l’abattre, n’avait pas l’habitude de vanter ses succès.

Portraitstroublants

Les images d’Evgueni, notamment ses portraits troublants des principaux officiels nazis sur le banc des accusés au procès de Nuremberg après la guerre, ont été salués comme quelques-unes des plus grandes photographies de la Seconde Guerre mondiale. Privé des droits d’auteur pour ses photos, souvent publiées sans la mention de son nom, Evgueni ne conquis jamais la même renommée que ses nombreux contemporains, tels que les photographes américains Margaret Bourke-White et Robert Capa, qui lui offrirent un appareil Speed Graphic lorsqu’ils le rencontrèrent au procès de Nuremberg.

L’intérêt vis-à-vis de son œuvre ne surgit que vers la fin de sa vie. En 1995, au Festival international de photojournalisme de Perpignan, Evgueni se vit discerner  le titre de Chevalier des Arts et des Lettres, l’une des plus hautes distinctions culturelles françaises. Une chaîne de télévision française diffusa également un documentaire sur sa vie et son œuvre.

Il travailla jusqu’à sa mort, développant des rouleaux de pellicule dans sa propre chambre noire installée chez lui et utilisant un matériel datant des années de la guerre.

Evgueni Khaldeï (à gauche) pris en photo lors du procès de Nuremberg. Crédit : RIA Novosti

C’est dans cette chambre noire que je me trouvais en sa compagnie le jour où il me montra le rouleau original de pellicule noir et blanc 35mm qu’il avait utilisé pour prendre la photo du Reichstag – la pellicule complète avec les cadres que les censeurs soviétiques, irritées par la preuve visuelle du pillage, grattèrent avec une épingle pour retirer plusieurs montres « superflues » alignées sur le bras du soldat de l’Armée rouge.

Il avait l’habitude d’offrir des photos à ses invités, et il fallait une certaine dose de persuasion pour le convaincre d’accepter des honoraires corrects pour son tirage et son autographe sur ces magnifiques images. Aujourd’hui, les copies originales de ses œuvres rapportent des milliers de dollars, alors qu’en novembre 2014, le Leica III qu’il utilisa en 1937 pour capturer la célèbre image du Reichstag fut vendu par Bonhams à Hong Kong pour plus de 220 000 dollars.

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