De gauche à droite : Kobe Desramaults, Timour Abouziarov, Inaki Aizpitarte
Tatiana ChramtchenkoUn homme et une jeune femme se promènent dans l’herbe entre les arbres, cueillent des fleurs violettes et jaunes et les empilent soigneusement sur un plateau. Il s’agit de Walter el Nagar et Hen Sagi, chef et sous-chef du restaurant Barbershop à Los Angeles. Aux côtés de leurs collègues venus de France, de Belgique et de Russie, ils se sont rendus à Nikola-Lenivets (région de Kalouga, au sud-ouest de Moscou) pour se familiariser avec les produits traditionnels de la campagne russe. Tout ce qu’ils cueillent est préparé sur-le-champ, dans un laboratoire culinaire en pleine forêt. La cuisson se fait sans électricité ni gaz, dans quatre fours à bois. Les plats seront servis directement dans un champ lors d’un grand dîner pour 150 personnes.
L’événement a été baptisé « GastroCamp Smena ». Organisée en Russie pour la première fois, elle présente aux chefs étrangers les produits traditionnels de la cuisine russe, tout en leur permettant de faire des expériences avec des herbes et plantes aromatiques qui leur étaient inconnues jusqu’ici. Chaque étranger fait équipe avec un cuisinier russe et les deux chefs procèdent à un échange d’expériences.
« Chaque année, les cuisiniers auront l’occasion de tester différents produits du terroir, car le festival se tiendra dans différentes régions de Russie. Peut-être en Sibérie ou dans le Kamtchatka [extrême nord-est, ndlr] », explique Natalia Palacios, journaliste gastronomique à qui appartient l’idée du festival.
On a toutefois décidé d’accorder l’honneur « d’ouvrir le bal » à la région de Kalouga avec ses navets, ses girolles – c’est la saison –, ses pommes, ses choux et son sarrasin. La ferme voisine élève des pintades et les chefs en profitent également.
Lesexpériences
Les deux premiers jours ont été consacrés à l’étude des produits locaux, notamment à la cueillette d’herbes sauvages, ainsi qu’à des expériences à la cuisine. A la veille du grand dîner, les participants improvisent, goûtent différentes combinaisons d’ingrédients et déterminent les plats à préparer aux invités.
Les entrées ont été confiées aux chefs russes Sergueï et Ivan Berezoutski (du restaurant Twins à Moscou). Ils préparent des tacos qui se composent de feuilles de cassis enroulées sur un mélange de fromage blanc, de courgettes mijotées au soleil et d’herbes aromatiques sauvages, le tout agrémenté de baies de cassis marinées.
Le Belge Kobe Desramaults fait cuire dans le four à bois des navets en croûte de sel. La première tentative est un échec : le navet est trop vieux et trop dur sous la dent. La deuxième fois, il retire de la croûte un légume parfaitement cuit et exhalant une odeur merveilleusement appétissante. Il sert le navet accompagné d’une sauce à base de kéfir [la boisson obtenue à la suite de la fermentation du lait, ndlr] et d’herbes sauvages cueillies le matin-même dans la forêt.
M. Desramaults est de ceux pour qui cuisiner des produits fermiers n’a rien d’exotique : il a passé son enfance dans la brasserie de sa mère à Dranouter (Région flamande) et a pris les commandes de l’entreprise à l’âge adulte. Un peu plus tard il a ouvert son propre restaurant, In De Wulf, où il combine avec plaisir les légumes et les herbes sauvages. Pour le moment, la cuisine russe est une terre inconnue pour lui, mais il a découvert lors du festival le kwas, cette boisson fermentée à base de pain et de céréales. Il a raconté qu’une boisson semblable était préparée dans sa famille avec de l’eau, du pain et du petit-lait.« J'aime bien la cuisine simple et spontanée, indique Kobe Desramaults. J'adore que ça soit complexe, mais que la personne qui vient au restaurant comprenne ce qu'elle mange ».
Les chefs Anton Kovalkov (restaurant Fahrenheit à Moscou) et Vlad Korpoussov (Muesli à Moscou) préparent de la viande. Ils font cuire une cuisse de porc dans des braises avec des branches de genévrier qu’ils serviront accompagnée de pommes cuites à l’étouffée dans du beurre. Le tout assaisonné d’une pincée de sel de mer mélangé à des feuilles d’orties et de genévrier moulinées.
Les Américains Walter el Nagar et Hen Sagi s’affairent autour d’un dessert de pommes cuites au four, nappées d’un sabayon aux fraises, le tout décoré de fleurs sauvages et de « pop corn » au sarrasin vert.
Lefestival
Le lendemain, les expériences gastronomiques se poursuivent. Semblables à des abeilles, les invités de GastroCamp se réunissent attirés par le parfum de framboises passées au mixer et de sarrasin cuit : le coup d’envoi au festival est donné. Tout en continuant à cuisiner, les chefs répondent aux nombreuses questions et racontent ce qu’ils font et pourquoi. Voici des girolles. Les champignons sont lavés et séchés au soleil dans l’attente d’être cuisinés par la star de la bistronomie parisienne, Inaki Aizpitarte. Dans son célèbre néobistrot Le Chateaubriand, il ne formule jamais le menu à l’avance : c’est toujours une surprise pour ses clients. Inaki Aizpitarte, d’origine basque, reste fidèle à lui-même. « On est en train de réfléchir à ce qu'on va faire avec les girolles parce qu'elles sont pleines d'humidité », dit-il en agitant une jeune pousse d’oignon pour se débarrasser d’un moustique importun. « On a encore des oignons et beaucoup d'herbes aromatiques. La recette est en progression », fait-il remarquer.
Dans l’attente du dîner, les invités écoutent les chefs, apprennent à préparer des cosmétiques à base de produits naturels, s’initient à l’art de réaliser une viande braisée et de faire une sauce à base de groseilles à maquereau et classiques. Le programme de deux jours prévoit également des cours de poterie et de préparation de boissons à base d’herbes sauvages, ainsi que des leçons données par des fermiers et une foire.
Les horizons
Natalia Palacios, organisatrice de la première expérience du genre en Russie, juge très intéressante l’idée même de connaître la vie d’un village éloigné, notamment sa vie gastronomique. Cuisiner sans électricité, réaliser des mets délicats à partir de simples pommes et assaisonner les plats d’herbes sauvages est pour les chefs un véritable défi qui les oblige à quitter leur zone de confort et à se lancer dans des expériences osées.
Le festival voit s’ouvrir devant lui de larges horizons, à en juger d’après le nombre de régions en Russie : 85, chacune avec ses produits locaux et ses modes de préparation traditionnels. Où se déroulera la prochaine édition ? Rien n’est encore décidé. Il reste encore du temps pour peaufiner les recettes de cette année.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.