Gaïto Gazdanov : chauffeur de taxi la nuit, écrivain le jour

L’écrivain russe émigré en France est parfois comparé à Proust.

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Quand Gaïto Gazdanov arriva à Paris en 1923, il avait 20 ans et devait accepter tous les emplois qui se présentaient à lui : docker sur la Seine, nettoyeur de locomotives, opérateur à l’usine Citroën et, pendant trois mois, un travail chez l’éditeur Hachette. Il dut même vivre dans la rue jusqu’à ce qu’il trouve un travail de chauffeur de taxi de nuit en 1928.

Conduire un taxi changea tout, lui permettant d’étudier à la Sorbonne, de commencer à écrire et, à terme, de devenir l’un des jeunes écrivains les plus prometteurs de sa génération d’émigrés russes. Au cours de ces 25 dernières années, l’écrivain a commencé à se faire une réputation internationale et ses romans et nouvelles ont été publiés dans de nombreuses langues, notamment en anglais, français, italien, allemand et japonais.

Gueorgi (Gaïto en ossète) Ivanovitch Gazdanov est né en 1903 à Saint-Pétersbourg, dans une famille de la classe moyenne originaire d’Ossétie, une république du Caucase du Nord qui fait toujours partie de la Russie. Son père était garde forestier et la famille devait régulièrement le suivre dans ses déménagements à travers l’Empire russe. Gaïto était un enfant précoce et réfléchi doublé d’un lecteur passionné de littérature et de philosophie.

Gazdanov débuta sur la scène littéraire à la fin des années 1920, d’abord comme auteur de nouvelles qu’il vendait au quotidien russe Volya Rusii, publié à Prague, puis à de nombreux journaux russophones publiés en Occident. Sa carrière connut un tournant en 1929 avec la publication de son premier roman, Une soirée avec Claire, à Paris.

Le livre reçut un accueil très favorable au sein de la communauté émigrée russe. Les critiques le comparaient à Proust (un auteur qu’il n’avait même pas lu, de son propre aveu), ainsi qu’à son contemporain Vladimir Nabokov, l’un des écrivains les plus prometteurs de la « nouvelle » littérature russe, bien qu’il eurent peu, sinon rien en commun. Alors que l’auteur de Lolita renonça à écrire en russe, Gazdanov, lui, n’abandonnera jamais sa langue natale.

Une soirée avec Claire est une œuvre autobiographique dans la pure tradition russe. Version romancée de sa vie, elle raconte un voyage à la recherche de l’enfance et de la jeunesse perdues, la douleur provoquée par la mort des êtres chers et la découverte de la nature et de l’amour. Sa vie avait été brisée par la mort de son père et de ses sœurs et le traumatisme de la guerre civile russe, à laquelle il prit part dans les rangs de l’Armée blanche alors qu’il était encore adolescent. Un critique du New York Times écrivit à l’époque que certains passages de son roman avaient la « puissance tolstoïenne ».

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’écrivain publia deux livres : L'Histoire d'un voyage (1938) et Chemins nocturnes (1939–1941). Dans ce dernier, le héros est chauffeur de taxi à Paris (l’alter ego de Gazdanov, bien entendu). Entre mépris et compassion, le roman dresse un portrait de la vie qui s’agite dans Paris nocturne, une immense pièce de théâtre dont la scène est pétrie d’une pauvreté archaïque et inéluctable. Vagabonds, voleurs, proxénètes, prostituées, serveurs, chauffeurs de taxi, exilés comme lui, vivant une vie profondément schizophrène loin de leur Russie natale, dans laquelle l’alcool sert de principal soutien.

Pendant la guerre, Gazdanov rejoignit la Résistance française, mais trouva néanmoins du temps pour écrire. Il s’essaya au thriller psychologique et publia Le Spectre d'Alexandre Wolf et Le Retour du Bouddha. Quand ces livres seront traduits en français en 1951, les critiques diront qu’il était « Le plus français des écrivains russes ! ». Ils lui trouvèrent des similitudes avec les œuvres de Camus en raison de son analyse réfléchie du destin personnel, de la responsabilité pour nos actes et des conséquences du hasard, qui conduit parfois à la rédemption et, dans d’autres cas, à la destruction.

En 1953, il cessa de conduire le taxi et commença à travailler pour Radio Liberté, une chaîne anticommuniste financée par la CIA. Il travailla comme écrivain-rédacteur à Paris, puis à Munich, où il est mort d’un cancer du poumon en 1971.

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