La naissance du Sovremennik, théâtre non conformiste de l’URSS

Un bâtiment situé dans le quartier Tchistiye proudy (Etangs propres).

Un bâtiment situé dans le quartier Tchistiye proudy (Etangs propres).

Lori / Legion Media
L’un des plus grands théâtres de Moscou, le Sovremennik, fête le 15 avril son 60ème anniversaire. Apparu l’année de la dénonciation du culte de la personnalité de Staline, il continue par ses spectacles à parler le langage des simples gens, en effectuant des tournées en Europe et en Amérique du Nord et du Sud.

Le théâtre Sovremennik est l’un des principaux symboles de la période du Dégel, époque caractérisée par une relative démocratisation de la politique soviétique sous Nikita Khrouchtchev (du milieu des années 1950 au milieu des années 1960), de la dénonciation du culte de Staline en 1956, d’un assouplissement de la censure et de la parution du livre d’Alexandre Soljenitsyne Une Journée d’Ivan Denissovitch sur les camps du régime stalinien.

Le théâtre de toute une époque

Le Sovremennik fut l’un des premiers théâtres soviétique à voir le jour non pas sur résolution des autorités, mais grâce à l’initiative de jeunes acteurs diplômés de l’Ecole-studio du Théâtre d’Art de Moscou (MKhT). Son programme était l’opposé de son Alma mater, le MKht, officiel et formel.

Le metteur en scène Oleg Iefremov et son équipe d’acteurs rêvaient de revenir aux sources du Théâtre d’Art, en renouant avec les idées de Konstantin Stanislavski sur un « théâtre vivant ». Le jeune Sovremennik n’était pas dans l’opposition politique ni dans la fronde, comme le fut par la suite le théâtre de la Taganka de Youri Lioubimov. Il a réalisé une révolution en parlant depuis la scène le langage de la rue, en s’identifiant à ses contemporains avec leurs soucis et leurs problèmes.

Le 15 avril 1956, le théâtre a ouvert avec le spectacle Eternellement vivants d’après une pièce de Viktor Rozov adaptée au cinéma avec le film Quand passent les cigognes, qui reçut la Palme d’or au festival de Cannes. Les spectateurs furent si touchés par ce drame des années de la guerre, par la sincérité et le réalisme du jeu qu’ils ont refusé de quitter le théâtre et sont restés jusqu’au petit matin pour parler avec les acteurs.

Le spectacle Eternellement vivants. Source : Le spectacle Eternellement vivants. Source : Service de presse

Ce n’était pas une nouvelle troupe qui était née, mais une nouvelle esthétique théâtrale, une sorte de réaction à la nouvelle vague européenne avec son attention envers les simples gens.

Durant cinq ans, le théâtre n’avait pas de siège et la troupe jouait sur différentes scènes. En 1961, il s’est vu attribuer le vieux bâtiment d’un ancien restaurant sur la place Maïakovski, qui est devenu un lieu de pèlerinage de l’intelligentsia moscovite.

Il était impossible de se procurer le moindre billet. La lumière dans le bâtiment ne s’éteignait jamais : tout le monde travaillait avec entrain, jour et nuit. Les règles au sein du théâtre étaient très démocratiques : les décisions étaient prises par un conseil artistique composé d’acteurs ayant fondé le théâtre.

La seconde vie du théâtre

Le Sovremennik a traversé une profonde crise dans les années 1970. L’époque du Dégel a cédé sa place à la réaction politique. De plus, Oleg Iefremov s’est vu proposer le poste de metteur en scène chez le concurrent principal, le MKhT, et a quitté Sovremennik avec plusieurs artistes. Certains ont prédit la fin au théâtre, mais il a survécu et a « refait sa vie » dans un bâtiment situé dans le quartier Tchistiye proudy (Etangs propres).

C’est Galina Voltchek qui s’est placée à sa tête. Elle invitait à la coopération de jeunes metteurs en scène devenus aujourd’hui des stars, comme Valéry Fokine, Iossif Raïkhelgaouz et Roman Viktiouk. Elle mettait en scène elle-même des spectacles soulevant des sujets délicats interdits à l’époque.

Pour la première fois, le spectateur a entendu parler au théâtre du trafic de drogue – dans la pièce d’après le roman de Tchinguiz Aïtmatov Billot – ou de la prostitution – dans le spectacle d’après l’œuvre d’Alexandre Galine Des Etoiles dans le ciel du matin.

Une tournu00e9e en Italie en 1968.Service de presseUne tournu00e9e en Italie en 1968.
Une tournu00e9e en Allemagne dans les annu00e9es 1970.Service de presseUne tournu00e9e en Allemagne dans les annu00e9es 1970.
Une tournu00e9e u00e0 New Your en 1997.Service de presseUne tournu00e9e u00e0 New Your en 1997.
Une tournu00e9e u00e0 New York en 1997.Service de presseUne tournu00e9e u00e0 New York en 1997.
Une tournu00e9e u00e0 Paris en 2007.Service de presseUne tournu00e9e u00e0 Paris en 2007.
Une tournu00e9e u00e0 Londres en 2011.Service de presseUne tournu00e9e u00e0 Londres en 2011.
 
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Une véritable percée a été réalisée avec le spectacle Itinéraire ardu tiré du livre autobiographique d’Evguenia Guinzbourg. Les Chroniques de l’époque du culte de la personnalité ont stupéfait le spectateur : en l’espace de trois heures, les héroïnes traversaient des années de souffrances inhumaines, d’humiliations et de tortures dans les camps staliniens, mais ne perdaient pas leur dignité.

Ce spectacle a connu un succès éclatant en Allemagne et en Finlande et a remporté, pendant une tournée à succès à New York en 1997, le prix Drama Desk Award qui n’avait jamais été attribué jusqu’ici à un théâtre étranger. Depuis, la troupe part régulièrement en tournée. Elle s’est déjà rendue en France, en Israël, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Pologne et au Brésil. Ses cartes de visite sont Trois camarades d’après Erich-Maria Remarque et Les Trois sœurs d’Anton Tchékhov.

Et bien que ces dernières années, le Sovremennik ait un peu perdu de son esprit de liberté et soit devenu posé et respectable, il est toujours aimé des critiques et du public du monde entier.

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