Gouzel Iakhina à la cérémonie de remise du prix du Grand Livre à Moscou.
Artiom Geodakian / TASSLe roman de Gouzel Iakhina, âgée de 39 ans, est l’événement littéraire le plus discuté de l’année 2015. Les critiques ont salué le livre. Pavel Bassinski (Rossiskaïa Gazeta) écrit : « L’alchimie de la transformation d’un sujet historique tragique en grande prose littéraire est extrêmement complexe <…> Ce livre est un début littéraire très puissant que nous attendions depuis si longtemps. Il est important que l’alchimie ait fonctionné, le sujet est devenu littérature ». Gouzel Iakhina nous raconte son histoire personnelle qui a inspiré ce livre sur l’Union soviétique des années 1930.
RBTH : Gouzel, de quoi parle votre roman ?
Gouzel Iakhina : Le 30 janvier 1930, l’URSS a publié le décret « Sur les mesures de liquidation des exploitations koulaks dans les zones de collectivisation extensive ». Il a donné lieu à une campagne massive contre les paysans cossus qui se voyaient spoliés de leurs biens et déplacés dans des régions éloignées et inhabitées de l’URSS : la Sibérie, le Kazakhstan, l’Altaï.
Mon roman revient sur ces événements. Il raconte l’histoire d’une femme, l’une des 3 millions de koulaks dépossédés et des 6 millions déplacés. [Koulak est un terme de l’époque soviétique qui désigne les paysans aisés, qui, sous la bannière du communisme, furent dépossédés de leurs biens et arrêtés, ndlr].
Si l’on regarde le sujet du livre de manière plus générale, c’est un roman sur le dépassement de la conscience mythologique. Le personnage principal, la paysanne tatare Zouleïkha, vit dans un monde obscur fermé qui laisse une place tant à la foi et à Allah qu’aux domovoï, aux esprits et à l’ordre patriarcal. Elle aurait continué à vivre dans ce moyen-âge, si les circonstances ne l’avaient pas obligée à se déplacer dans le monde moderne.
La série d’événements tragiques qu’elle traverse conduit à sa libération intérieure et à un changement majeur de sa personnalité.
RBTH : Mais c’est également un livre sur l’amour ?
G.I. : Bien sûr, l’amour est l’un des thèmes principaux du roman. Le deuxième personnage principal du livre est un homme d’une autre nationalité et d’une religion et classe sociale différentes. La Tatare Zouleïkha est musulmane, le Russe Ivan est un communiste. Au début de l’histoire, ils se trouvent aux antipodes, mais, tout au long du roman, ils avancent l’un vers l’autre.
RBTH : Votre roman sera traduit en 16 langues et publié dans 24 pays. Le texte comprend de nombreux mots tatars, quel conseil pourriez-vous donner aux traducteurs ?
G.I. : En effet, les premiers chapitres qui se passent à la campagne contiennent beaucoup de mots tatars qui se marient harmonieusement avec le russe. J’ai fait en sorte d’injecter des mots turcs dans le texte de manière à ce qu’ils puissent se passer de traduction, pour que le lecteur puisse deviner de quoi il s’agit grâce au contexte. Je pense que ça crée la bonne ambiance.
Les traducteurs ont été confrontés à d’autres questions, qui n’étaient pas liés au vocabulaire tatar : que voulais-je dire par tel ou tel synonyme russe, quel sens donner aux mots du jargon des prisonniers ? Ils m’ont également questionnée sur les réalités historiques.
RBTH : Vous avez dit qu’il s’agissait de l’histoire de votre grand-mère. Le critique Pavel Bassinski a écrit que pour créer un tel livre, il fallait, pour un moment, devenir cette grand-mère. Et une grand-mère jeune qui comprenait son époque. Comment y êtes-vous parvenue ?
G.I. : Le livre n’est pas une biographie. Dans la vie de ma grand-mère, j’ai puisé la période historique (1930-1946) et l’itinéraire : un village tatar – Kazan – Krasnoïarsk – le fleuve Angara – un lieu reculé dans la taïga où ils ont été jetés sans moyens de subsistance.
J’ai également emprunté deux épisodes dans les souvenirs de ma grand-mère : une barge qui coule au milieu de la rivière avec, à son bord, plusieurs centaines de prisonniers enfermés dans la cale, et un autre, très court, sur le professeur en exil qui enseigne les mathématiques à ma grand-mère avec son propre manuel. Tout le reste est soit une fiction, soit tiré des mémoires des koulaks dépossédés, déplacés ou passés par le Goulag.
Ma grand-mère est partie en Sibérie alors qu’elle était toute petite, avec ses parents dépossédés. Elle y a grandi et s’y est formée. Il m’était beaucoup plus intéressant de suivre les changements d’une femme adulte – au début du roman, elle a déjà 30 ans.
RBTH : C’est votre premier roman. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ?
G.I. : J’écris beaucoup depuis mon enfance – des nouvelles, des histoires policières, des histoires d’aventure et, bien sûr, des poèmes. J’ai personnellement publié une revue scolaire et été rédactrice pour une revue de jeunesse de mon quartier. Ces 10 dernières années, j’ai fait autre chose, j’ai travaillé dans le marketing. Puis, j’ai décidé de revenir à ce que j’ai toujours aimé.
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