« J’attends l’émotion de la vie, et le cinéma russe m’en donne »

Stéphane Freiss

Stéphane Freiss

Maria Tchobanov
Rencontre avec l'acteur et réalisateur français Stéphane Freiss, qui présidera le 23e Festival du Cinéma russe de Honfleur.

Le 23e Festival du Cinéma russe à Honfleur aura lieu du 24 au 29 novembre 2015. 10 films, sortis en 2015, seront en lice, y compris des premiers films de jeunes réalisateurs. Le jury sera présidé par l’acteur, réalisateur et scénariste français Stéphane Freiss. Sincère amoureux et fin connaisseur du cinématographe soviétique et russe, il nous dévoile quelques secrets de sa passion.

L'année dernière vous avez déjà présidé le Festival des films de Russie à Genève et Lausanne, ce qui veut dire que vous êtes déjà familier avec le cinéma russe.

Je pense, sans prétention, être le plus grand connaisseur du cinéma russe en France dans ma profession. J’ai vécu pendant quelques années avec une actrice d’origine russe qui m’a amené un jour au cinéma Cosmos (aujourd’hui l’Arlequin) où j’ai vu tous les films soviétiques qui venaient en France à l'époque.

Par ailleurs, nous étions de très grands amis, comme des frères, avec Sacha Adabachian (acteur, scénariste, réalisateur soviétique et russe – ndlr), un des plus grands auteurs du cinéma russe. Pendant son travail sur le film Mado, poste restante (César de la Meilleure première œuvre – ndlr) en 1989-90 il a vécu chez moi au Quartier Latin et tous les soirs nous nous retrouvions au Café de Flore pour débriefer nos journées – lui, en tant que réalisateur, moi – acteur. J’ai même commencé à apprendre le russe, mais c’était compliqué.

Qu'est-ce qui vous a attiré dans le cinéma russe et, selon vous, que peut-il dire aux spectateurs français ?

Je pense que pendant très longtemps, les Français avaient comme repère les films de Tarkovski et Lounguine et le cinéma russe pourrait leur paraître trop lent, trop ennuyeux peut-être.

Le cinéma des années 60-80 que j’ai découvert et aimé avait quelque chose de tragicomique, de naïf en même temps, et d’assez pur. Les gens rêvaient, comme dans les films de Mikhalkov, d'un monde meilleur dans des appartements communautaires. Ce que le cinéma russe peut apporter non seulement aux Français, mais à beaucoup de gens, c’est cette capacité de rire de soi.

Et à vous en personne ?

Moi, personnellement, j’attends l’émotion de la vie et le cinéma russe m’en donne beaucoup. Ma vie a changé le jour où j’ai vu Il était une fois un merle chanteur de Otar Iosseliani. Le personnage principal, Giya, c’était moi, un homme qui cherchait désespérément une raison de vivre, une identité et qui faisait exactement le contraire de ce qu’il fallait pour y arriver.

Le film que j’écris en ce moment est un peu à l’image de ce que le cinéma russe m’a donné à voir, c’est-à-dire une énergie considérable, une envie de vivre considérable, une inquiétude considérable et un espoir considérable.

Vous diriez la même chose du cinéma russe actuel ?

Aujourd’hui le cinéma a bougé, il est beaucoup plus près de la société qui ne rêve plus. On y voit des gens qui dénoncent une certaine violence d’un monde qui ne leur plaît pas. Et ce cinéma-là commence à ressembler à d’autres cinémas, mais reste la manière qu’ont les Russes à écrire et à raconter une histoire, que je trouve singulière et personnelle. Je pense, par exemple, au film Comment je m’appelle de Nigina Saifullaeva que j’ai vu l’année dernière.

Je connais la Russie pratiquement que par le cinéma. Je suis à la fois rempli d'émotions contradictoires, parce que, selon la sensibilité du réalisateur ou la réalisatrice, j’ai un regard sur la société russe qui n’est pas le même. Je ne connais pas assez la Russie, c’est pour ça aussi que j’aime son cinéma. Il me donne le moyen de rencontrer ces gens, de voyager, d’aller visiter des endroits assez fascinants, d’avoir l’exotisme de cette langue, la beauté de ces visages. Il y a quelque chose d’assez enchantant dans tout cela, mais qui est un peu un miroir aux alouettes, parce qu’au fond, ce n’est pas parce que je connais un peu le cinéma russe, que je connais bien la société.

Qu'attendez-vous du festival ?

Je nourris l’espoir que mon humble et modeste participation comme président de ce jury puisse faire en sorte que les distributeurs français viennent plus nombreux aux projections. Je vais inviter mes amis de chez Pyramide, de chez Mars et Bac films, je vais faire venir les professionnels qui ne distribuent pas forcement ce genre du cinéma, pour faire comprendre, qu’il y a aussi les moyens de faire des films avec ces gens-là, il y a le moyen de sortir ces films-là. En France il y a une ouverture sur beaucoup de choses.

Je sais combien un film peut faire parler, peut mettre les gens d’accord et pas d’accord. Un monde meurt au moment où il n’a plus de communication entre les êtres. Le cinéma c’est une bouffée de vie, une impulsion de vie, il faut le prendre dans la gueule, il faut se laisser traverser par ça, et après, c’est à nous, par nos petits moyens, de donner envie. Il n’y a rien de mieux qu’un Festival pour donner envie.

Bio Stéphane Freiss, 54 ans. En 1985, il obtient le diplôme du Conservatoire national supérieur d'art dramatique et devient pensionnaire de la Comédie-Française. Il débute avec succès sa carrière au cinéma, remportant en 1989 le César du meilleur espoir masculin pour Chouans ! de Philippe de Broca. Dans les années 2000, il alterne le cinéma, le théâtre, qui lui vaut plusieurs prix à la Nuit des Molières et les téléfilms. M. Freiss a des racines russes : son arrière-grand-père était un Russe d’Odessa (en Ukraine).

 

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