"Un quai à Hourzouf", Konstantine Korovine, 1914. Source : Service de presse
La Crimée devint l’un des lieux de prédilection des peintres pour les activités de plein air en été. Alors que Renoir et Cézanne transposaient sur la toile les paysages du sud de la France, que Monet faisait découvrir le charme nordique de la Normandie et que Gauguin représentait la Bretagne, les peintres russes travaillèrent pendant plusieurs générations en Crimée, sur le littoral de la mer Noire.
Les marines font penser avant tout à Ivan Aïvazovski. Né à Théodosie, il y retourna après ses études à l’Académie des Beaux-Arts et ses voyages à l’étranger. Il vécut au bord de la mer pratiquement de sa naissance à sa mort, mais il ne l’a jamais peinte d’après nature : les vagues qui se déchaînent, les barques qui se brisent contre des rochers et le feu du soleil couchant qui inonde d’or le paysage ont été reproduits de mémoire dans son atelier.
L’un de ses premiers élèves fut un autre enfant de Théodosie, Lev Lagorio. L’atelier du peintre était situé à Soudak, qu’il quittait pour réaliser des études dans ses environs. Dans les années 1880-1890, Lev Lagorio peignit plusieurs tableaux représentant des villes de Crimée et la côte de la presqu’île : les navires en rade, les baies et les montagnes enveloppées dans la brume du petit matin jouissaient d’un grand succès auprès des propriétaires des nouvelles villas avec vue sur mer.
Au cours du XIXe siècle, des résidences secondaires d’aristocrates et même de l’empereur font leur apparition en Crimée. Le prince Mikhaïl Vorontsov, héros de la guerre de 1812 contre Napoléon, est l’un des premiers à construire, dans les années 1830-1840, un palais à Aloupka, au pied de la montagne Aï-Petri (qui abrite aujourd’hui un musée, l’un des plus intéressants en Crimée).
Plus au sud, Livadia est choisie par Alexandre II comme le lieu de villégiature estivale des souverains de Russie. Située tout près, Massandra voit s’élever le palais d’Alexandre III à la charnière des XIXe et XXe siècles. Les estivants deviennent encore plus nombreux après la construction, dans les années 1870, d’un chemin de fer desservant la Crimée.
La Crimée inspirait même ceux dont le paysage n’était pas le genre principal, par exemple les peintres de batailles et de scènes historiques. Elle attirait Vassili Verechtchaguine, Vassili Sourikov ou encore Vladimir Maïakovski.
C’est en Crimée que l’illustrateur Ivan Bilibine attendit que passe la Révolution. Sans parler de ceux pour qui la représentation de la nature constituait le pivot de l’œuvre, comme le paysagiste Ivan Chichkine qui venait spécialement à Simferopol, Alouchta, Yalta et Aloupka pour y réaliser des études.
Autre grand admirateur de la Crimée, Arkhip Kouïndji est facile de reconnaître par sa peinture illuminée, notamment ses clairs de lune reproduits avec un effet saisissant. Selon une légende, le jeune Arkhip Kouïndji arriva depuis Marioupol, sa ville natale, à Théodosie pour demander quelques leçons à Ivan Aïvazovski.
Ce dernier l’envoya refaire la peinture de sa palissade. Trente ans plus tard, diplômé de l’Académie des Beaux-Arts, Kouïndji, reconnu comme grand peintre à l’Exposition de Paris, rentra en Crimée et y acheta un lopin de terre à Kikineïz (aujourd’hui Opolznevoye) non loin de Yalta.
L’image impressionniste de la Crimée avec le soleil, la mer et les fleurs jaillissant du tableau est rendue par Konstantin Korovine. Tchékhov, amoureux du littoral criméen, lui proposa d’acheter sa maison à Hourzouf, mais le peintre construisit en 1910 une villa-atelier d’après son propre projet.
Il la baptisa Salammbô, du nom du personnage du roman historique de Gustave Flaubert. Comme il voyait la maison de Tchékhov par les fenêtres, il la représenta souvent sur ses toiles. Les tableaux peints à Hourzouf sont considérés comme les meilleurs de l’œuvre de Korovine.
Les peintres de l’avant-garde russe travaillèrent eux aussi en Crimée, quoique moins souvent. Ilia Machkov y réalisa Les Baigneuses dans l’esprit de Paul Cézanne, tandis que Kouzma Petrov-Vodkine y vécut le tremblement de terre de 1927, dont les impressions trouvèrent leur reflet dans ses œuvres.
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