Irina Nakhova. Crédit : service de presse
RBTH : Parlez-nous du projet vénitien.
Irina Nakhova : Le projet est intitulé « Pavillon vert ». Ce nom a été proposé par la commissaire Margarita Toupitsyna. Il me convenait, car il est, à mon avis, tellement neutre qu’il ne dévoile rien. C’est un camouflage. Il conserve toute l’intrigue, mais il restera en mémoire.
Diplômée de l’Institut des arts graphiques de Moscou en 1978, Irina Nakhova est l’auteure des pre-mières « installations totales » en Russie et lauréate du Prix Kandinsky 2013 dans la caté-gorie « Projet del’année ». Elle travaille à Moscou et dans le New Jersey(États-Unis).
La couleur verte sera la première chose que verront les spectateurs. Je me souviens que, quand j’ai vu le pavillon pour la première fois fin février de l’année dernière, je me suis tout de suite dit que quelque chose n’allait pas. Après réflexion, j’ai compris que c’était la couleur [bisque, ndlr]. La changer est devenu pour moi une idée fixe. Ensuite, j’ai discuté avec des architectes et des historiens et j’ai appris qu’à l’origine, le pavillon était vert ! C’est ainsi qu’il a été conçu par l’architecte Alexeï Chtchoussev (1873-1949).
Pour le moment, le contenu est un secret. Ce sera une installation totale en « coopération » avec Chtchoussev. Je mène un « dialogue » avec lui.
Vous êtes la première artiste conceptuel le en URSS à avoir réalisé des « installations totales » directement dans votre appartement. N’aviez-vous pas peur de vivre dans l’espace clos d’une œuvre ?
En fait, je les réalisais car il m’était absolument nécessaire de créer un nouvel espace, de changer la situation !
Parlez-nous de vos débuts.
Globalement, tout a commencé quand j’avais 13 ans : j’ai rencontré l’artiste conceptuel Victor Pivovarov et sa famille. J’ai été bouleversée par ses œuvres, si fraîches et insolites. Il m’a introduite dans son milieu, m’a présenté de nombreux artistes et écrivains. C’est bien la rencontre avec lui qui a déterminé mon destin et m’a menée jusqu’à l’Université de l’Imprimerie.
Puis, l’histoire des installations commence dans mon appartement au tout début des années 1980. J’y vis toujours. Je me rappelle la taille des pièces depuis toutes ces années – 3,95 x 3,95 mètres. J’ai fait beaucoup de peinture, mais j’ai toujours été préoccupée et intéressée par l’espace. Et par l’introduction dans la toile même de différents marqueurs architecturaux.
Œuvre d'Irina Nakhova. Sans nom Crédit : service de presse |
C’était l’époque de la terrible stagnation brejnévienne. J’avais l’impression qu’il ne se passait rien du tout : on vivait dans un circuit fermé, même compagnie, même art. Beaucoup de gens créatifs souffraient de dépressions. La seule chose que l’on pouvait faire était de changer radicalement son milieu. Devenir l’architecte de son « voyage ». Donc, j’ai fait ma première installation pour moi-même, avec du papier et de la peinture. Grâce à la peinture sur d’immenses feuilles à dessin collées ensemble, j’élargissais mon propre espace.
Comment vous-êtes vous retrouvée à New York où s’est tenue votre première exposition personnelle ?
Tout a commencé avec la première vente aux enchères Sotheby’s à Moscou en 1988. Il y avait de l’avant-garde russe, le début du siècle et des artistes contemporains. Une sélection éclectique. J’étais l’une des plus jeunes participantes. Je doutais alors très fort que l’exposition ait eu quelque chose à voir avec l’art : je la voyais comme un acte et un geste politiques.
Le pays était fermé, mais de nombreux collectionneurs et musées sont venus. Il y avait la célèbre galeriste américaine Phyllis Kind. Elle a aimé les œuvres et a commencé à exposer les artistes russes dans sa galerie à New York – Erik Bulatov et moi. Elle a organisé plusieurs expositions collectives. L’une d’elles a, d’ailleurs, été supervisée par Toupitsyna. J’ai eu trois expositions personnelles chez Phyllis. Mais elle se spécialisait dans l’art des « outsiders », russes qui plus est. Mes œuvres ne rentraient clairement pas dans la catégorie des « outsiders ». Elles ne rentraient d’ailleurs pas dans la catégorie purement russe, contrairement à Bulatov et à d’autres artistes.
Vous avez fait de nombreuses installations totales en Europe et aux États-Unis. Quel est leur sort après les expositions ?
Certaines restent dans les musées, d’autres sont démontées et leur sort est inconnu. Après l’exposition Momentum Mortis, Norton Dodge a gardé mon installation de 16 immenses reliefs au musée Zimmerli. C’est une sorte de Pompéi moderne. Elle était conservée dans son entrepôt du Maryland. Après la mort de Norton, j’ai reçu une lettre : « Nous avons l’une de vos installations. Pourriez-vous la récupérer ? ». J’ai répondu : « Malheureusement, je ne peux pas ! ». Peut-être n’existe-t-elle plus.
À votre avis, comment sont nés les nouveaux courants dans l’histoire de l’art après le conceptualisme ?
C’est une bonne question. Très franchement, je ne sais pas. Bien sûr, il y en a plein. Par exemple, l’actionnisme politique urbain qui existe sans aucun doute. L’art urbain. Par exemple, les artistes qui interviennent dans la ville, organisent des « flashmobs » (foules éclair), peignent les murs…
On pourrait également les considérer comme des conceptualistes et des post-conceptualistes…
On peut, vous avez sans doute raison. Je vois les jeunes artistes se saisir de la stylistique du conceptualisme. Cette stylistique est facilement reproductible. Elle est testée et est déjà rentrée dans l’histoire. Mais ces jeunes sont majoritairement dépourvus de nécessité et de fond. L’apparition du conceptualisme dans les années 1960 n’est pas fortuite, elle avait une nécessité profonde et un fond. Mais il est possible que cette nécessité redevienne actuelle.
Pour vous informer sur les autres artistes russes participant à la biennale de Venise suivez le lien.
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