Cédit : service de presse
Sofia Stanovskaïa, la chargée des relations publiques du théâtre nous guide à travers son histoire. Inauguré en 1833 comme un théâtre de cour, le Théâtre Impérial Mikhaïlovski (du nom de l’archiduc Michel, frère du tsar Nicolas Ier, dont il jouxte le Palais) apparaît comme la troisième scène impériale après le Mariinsky et le Théâtre Alexandra. Il n’avait pas de troupe et de répertoire défini et invitait des compagnies françaises (parfois allemandes) qui proposaient en plus du répertoire classique des spectacles légers destinés à divertir la famille impériale et l’aristocratie francophone très friandes de vaudevilles et d’opérettes. Johan Strauss y joua en personne, ainsi que de grands comédiens comme Lucien Guitry et Sarah Bernhard. Il se fait d’ailleurs appeler théâtre français de St Pétersbourg.
Après la Révolution bolchévique, en 1918, la troupe française dut quitter le pays et le théâtre forme sa propre compagnie et devient vite le Petit théâtre académique d’opéra de Léningrad (théâtre Maly ou MALEGOT en abrégé). En 1933, voit le jour la compagnie de ballet du Maly, dirigée par le célèbre chorégraphe Fiodor Lopoukhine. « N’étant pas une vitrine officielle contrairement au Mariinski et au Bolchoï, la scène devient un véritable « laboratoire d’expérimentations artistiques et monte des pièces novatrices de Dmitri Chostakovitch ou encore Guerre et Paix de Prokofiev », raconte Sofia Stanovskaïa. Au fur et à mesure, la musique joue un rôle prédominant et vers la fin du XXe siècle, le théâtre prit le nom de Moussorgski et se concentra sur les œuvres majeures des grands classiques russes tels que Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Borodine.
Dans les années 2000, la direction, qui était à la tête du théâtre depuis plus de 20 ans, n’a pu empêcher un net déclin. Figé dans son carcan soviétique, le théâtre avait peu à peu perdu son lustre et surtout son public.
Le ballet « Don Quichotte » sur la scène su théâtre Mikhaïlovski. Crédit : service de presse
C’est en 2007 que le théâtre connut un renouveau digne d’un véritable conte de fée avec l’arrivée de Vladimir Kekhman, homme d’affaire de 39 ans, « roi de la banane », qui a fait sa fortune en vendant ce fruit si riche en vitamines. Pendant que les autres grands patrons de l’ère soviétique rachètent les meilleurs clubs de foot et buteurs, Kekhman, marqué par une soif de reconnaissance du monde culturel, souhaite plus que tout s’affirmer en tant que mécène et décide de prendre en main ce théâtre désuet et de lui infliger une cure de jouvence pour en faire un symbole de la culture russe.
Il n’hésite pas à sortir plus de 30 millions d’euros de sa poche pour remettre en état le théâtre vétuste et le faire briller comme un sou neuf et lui rend ses lettres de noblesses en restaurant son nom historique : théâtre Mikhaïlovski. Puis il procède à une restructuration administrative qui ne lui fait pas que des amis. Il est prêt à tout pour faire parler de lui et du théâtre, quitte à louer la salle de spectacle pour des célébrations et gala prestigieux ou monter sur scène en costume de Prince Citron dans le ballet Cipollino et chanter dans l’opéra d’Eugène Oneguine. « C’est un vieux rêve. Je suis venu au théâtre pour chanter et danser », assène-t-il.
Cette méthode de management agressif et cette ingérence dans le processus créatif ne fait pas l’unanimité dans le milieu artistique guindé pétersbourgeois connus pour son conservatisme. Conflits internes, départs, licenciements, pétitions, scandales ont accompagné les premières années de sa prise de fonction, le temps d’instaurer un équilibre. Mais les résultats sont bien là. « Incontestablement, l’impulsion et le dynamisme insufflé par Vladimir Kekhman comme directeur et mécène dans le théâtre est un exemple sans précédent dans le l’histoire mondiale de l’opéra et du ballet. Et je suis fier de participer à cette aventure », se réjouit Marat Chemiounov, soliste du ballet Mikhaïlovski qui danse depuis près de 14 ans dans cette compagnie et a connu l’avant et l’après Kekhman.
Une des qualités de Kekhman réside dans sa capacité de s’entourer des bonnes personnes et de les persuader. Engageant de grands noms comme Faroukh Razoumatov pour le ballet et Elena Obraztsova pour l’opéra qui sont restés ses conseillers artistiques, il a su faire des paris risqués, mais qui ont rapporté gros. En 2011, il invite le chorégraphe espagnol Nacho Duato en tant que directeur artistique aux côtés du chorégraphe et pédagogue de talent Michael Messerer. Il annonce cet événement en fanfare « Le premier chorégraphe européen à venir diriger un ballet en Russie depuis Marius Petipa ». En trois saisons, le théâtre décolle. « En trois ans Nacho Duato nous a offert 11 spectacles. Il a fait littéralement renaître La Belle au bois dormant et Casse-Noisette, ces deux chefs d’œuvres de Tchaïkovski. Ce magicien, n’ayons pas peur du terme, apporta au théâtre la reconnaissance internationale », raconte Marat Chemiounov. Alors que Messerer rafraîchit Le Lac des cygnes, Don Quichotte, Les flammes de Paris, Nacho apporte sa touche contemporaine et novatrice ce qui attire les plus grands danseurs comme Leonid Sarafanov, étoile du Mariinski et Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev, couple phare du Bolchoï. Ils ont choisi le Mikhaïlovski ! et pour Kekhman, c’est un véritable pied de nez à ses indétrônables rivaux. « Mon théâtre est le N°2 en Russie. Et pour la première place, qu’ils se débrouillent entre eux ! », lance-t-il à un journaliste russe.
On peut critiquer l’arrogance des méthodes de Vladimir Kekhman, mais il faut reconnaître sa détermination à faire entrer le théâtre Mikhaïlovski dans le club des plus prestigieuses scènes mondiales de ballet. Le succès incontestable auprès du public pétersbourgeois si exigeant, l’intérêt suscité auprès de la presse, sa réussite à Moscou, les innombrables nominations et les prix remportés au festival de théâtre du Masque d’or, lui permettent dorénavant de se tourner sérieusement vers l’international. Après avoir séduit le public britannique en 2013, la troupe part cet automne à la conquête de l’Amérique pour la première fois de toute son histoire. Objectif : « Qu’on nous dise de revenir », s’enthousiasme Marat Chemiounov.
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