Affaire Ioukos : menace sur les œuvres d’art russes exposées à l’étranger ?

Crédit photo : Reuters

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La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a condamné la Russie à verser 50 milliards de dollars aux anciens actionnaires de la compagnie pétrolière Ioukos. La Russie fera appel, mais si la décision de la cour est confirmée, les plaignants pourront demander la saisie de presque tous les biens appartenant à la Russie à l’étranger. Cela veut-il dire que les œuvres d’art provenant des musées nationaux russes et exposées à l’étranger seraient confisqués? De tels précédents existent.

NOGA vs. Russie

En 2005, la société Noga a demandé la saisie d’une collection du musée Pouchkine en Suisse. 55 tableaux de peintres français – des artistes classiques du XVIIIe siècle et jusqu’à Pablo Picasso – étaient exposés à Martigny. À la fin de l’exposition, quand les tableaux étaient déjà emballés pour être acheminés à Moscou, les huissiers de justice les ont saisis.

Ils exécutaient la décision de la cour d’arbitrage de Stockholm qui, en 1997, a rendu une décision favorable à Noga dans son procès contre la Russie. Le montant de la compensation au moment de l’arrestation des tableaux s’élevait à 63 millions de dollars, intérêts compris.

« Dans le cas de l’arrestation des tableaux du musée Pouchkine, il s’agissait d’un malentendu juridique »,  nous explique le directeur général de la branche russe de Sotheby's Mikhaïl Kamenski.

« La sécurité de l’exposition était garantie par les autorités du canton du Valais et non par le gouvernement fédéral suisse. Dès que le camion avec les œuvres a quitté le territoire du canton à la fin de l’exposition, les garanties d’État ne s’appliquaient plus et la décision de la cour est entrée en vigueur ». Les tableaux ont finalement été restitués au musée russe, mais l’affaire a fait beaucoup de bruit.

Dans ce cas, il s’agissait d’une simple négligence dans la réalisation des formalités. Il fallait obtenir une garantie d’État de la part du gouvernement suisse avant le départ de l’exposition, et non uniquement la garantie d’un canton.

« La procédure actuelle qui s’applique aux expositions d’œuvres provenant des collections des musées nationaux stipule que la sortie du territoire n’est autorisée que si le pays qui les reçoit garantit que les biens exportés seront rendus en toutes circonstances », explique Kamenski. Les garanties d’État prévalent, par ailleurs, sur toute décision de justice. Aucun huissier ne peut contester ces garanties.

Rabbins vs. Russie

Ilya Wolf, directeur général de Fineartway, société spécialisée dans le transport international d’œuvres d’art, partage l’avis de M. Kamenski.

Il nous a également rassurés au sujet de la sécurité des expositions présentées actuellement à l’étranger, notamment des tableaux de Kasimir Malevitch de la collection du musée Russe exposés à la Tate Gallery à Londres, ainsi que des expositions permanentes de la collection de l’Ermitage dans sa filiale à Amsterdam.

Ces œuvres sont exposées sous les garanties d’État déjà accordées et elles reviendront donc en Russie sans difficulté. Tout comme elles revenaient avant, tous les principaux musées russes organisant régulièrement des expositions à l’étranger.

Toutefois, Wolf ne peut pas assurer que les garanties d’État seront toujours accordées à l’avenir : « Si la décision de la cour d’arbitrage de La Haye entre en vigueur, nous pourrions nous retrouver avec plusieurs pays dans la même situation qu’avec les États-Unis actuellement suite à la décision de la justice américaine concernant la bibliothèque de Schneersohn. Les États-Unis ne nous accordent plus de garanties, les expositions des musées nationaux russes ne voyagent plus dans ce pays. Il m’est donc difficile de faire des pronostics ».

En 2006, plusieurs rabbins de l’organisation Habad ont saisi la cour fédérale de Washington. Ils disputaient à la Russie la propriété de la bibliothèque de livres religieux d’Isaac Schneersohn restée en Russie après l’émigration de son propriétaire il y a bientôt cent ans.

En 2010, la cour a statué en faveur des rabbins et a condamné la Russie à une amende de 50 000 dollars par jour jusqu’à l’exécution de sa décision. La Russie a refusé de rendre les livres, ce qui a ralenti les échanges interétatiques de collections muséales.

Bien entendu, les garanties d’État par le pays qui reçoit les collections assureront la sécurité des œuvres. Toutefois, l’exemple des États-Unis nous montre que, dans de tels cas, le gouvernement peut renoncer à accorder les garanties.

Le copropriétaire de la galerie moscovite Triumph Dmitri Khankine craint que ces risques ne poussent le ministère de la Culture à cesser d’autoriser les voyages des expositions dans tel ou tel pays, ce qui pourrait conduire à l’arrêt d’échanges de collections entre les musées.

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