« La connaissance du russe m’apporte beaucoup de plaisir »

Georges Nivat en visite à Moscou. Crédit : Valéri Levitine/RIA Novosti

Georges Nivat en visite à Moscou. Crédit : Valéri Levitine/RIA Novosti

Georges Nivat est professeur émérite de l’Université de Genève et lauréat du prix spécial du concours international de littérature « Le Prix russe ». En Russie, son dévouement à la culture russe et ses nombreuses publications sur la littérature russe sont hautement appréciés. Lors de sa dernière visite à Moscou, le professeur a présenté son nouveau livre, « Alexandre Soljenitsyne : lutteur et écrivain ».

La plupart des russisants disent s’être passionnéspour la littérature russe après avoir lu Dostoïevski. Etait-ce votre cas ?

J’ai moi aussi lu Dostoïevski, mais je suis devenu slavisant grâce à un émigrant blanc prénommé Gueorgui Nikitine. J’ai écrit sur son histoire dans l’une de mes nouvelles, Le cadeau de Gueorgui Gueorguievitch. Ce cadeau, c’est la langue russe. Nikitine s’est installé dans ma ville natale de Clermont-Ferrand (en Auvergne), où il est devenu relieur. Toute ma vie je me souviendrai comment il m’a appris le russe à l’aide du Nouvel abécédaire de Léon Tolstoï.

Mes premières lectures russes ont été Philipok (nouvelle de Léon Tolstoï, Ndlr). Puis, une fois étudiant à la Sorbonne, le professeur Pierre Pascal a joué un rôle important. C’est un homme qui est arrivé en Russie en 1916 et qui y a vécu 17 ans. Certains de ses cours me révoltaient. Mais avoir un professeur avec qui tu peux mener un combat, c’est très bien.

Vous parlez un russe parfait. Vous êtes lun de ces rares chanceux qui peuvent lire lœuvre Guerre et Paix telle que conçue par Tolstoï. Le français de  Guerre et Paixreflète-t-il vraiment la langue des aristocrates du début du XIXe siècle ? 

Oui, c’est vraiment la langue de l’aristocratie du XIXe. En fait, de nombreux écrivains russes ont essayé d’écrire en français. Pouchkine, Tsvetaïeva… Mais je me sens toujours gêné lorsque leurs textes français sont publiés séparément. Si Alexandre Sergueïevitch n’avait écrit que ça, il ne serait pas resté dans l’histoire. En ce qui concerne Tsvetaïeva, ses écrits sont aussi originaux en français qu’en russe. On peut dire qu’elle vomit la langue et c’est aussi agaçant en français qu’en russe.

Presque tous les classiques russes étaient bilingues russes et français. A votre avis, cela a-t-il influencéla façon dont ils écrivaient et les thèmes qu'ils traitaient en russe ? 

Ils n’avaient pas seulement deux langues, mais deux cultures. Ces deux cultures étaient pour eux comme deux poumons, droit et gauche. Ils respiraient avec les deux en même temps, ce qui explique beaucoup de choses chez Tolstoï. Le français laisse une trace. Syntaxique, par exemple. Quand Tolstoï commence à réfléchir sur la dialectique de la liberté et la nécessité de l’histoire, j’ai l’impression qu’il écrit en français et non en russe: de longues phrases, une grammaire latine compliquée. S’il n’écrivait que comme ça, ce serait imbuvable ! Mais dans les dialogues, et surtout dans ses petites histoires pour enfants, il écrit de façon très différente, très loin de la langue française. C’est cette syntaxe de proverbes et d’expressions idiomatiques qui m’a mené jusqu’à Soljenitsyne et sa Roue rouge.

Mais elle ne pouvait guère vous mener jusqu’àAndreïBiély, que vous avez également traduit.  

Bien sûr, la langue d’Andreï Biély vit à sa manière. C’est comme une serre où tout pousse de façon étrange. J’ai traduit Pétersbourg avec Jacques Catteau et nous avons tout fait à voix haute parce que dans la prose d’Andreï Biély, le rythme trisyllabique des rimes change tout le temps. C’était un plaisir absolu ! La connaissance du russe m’a apporté beaucoup de plaisir. Et, surtout, elle continue de m’en apporter.

Vous n’êtes pas seulement slaviste et traducteur, mais aussi consultant dans l’édition, auteur de la « série russe ». Quels sont les écrivains contemporains russes connus aujourdhui en France ? 

Sorokine, Pelevine. Mais c’est à travers ma série chez les éditions Fayard que j’ai poussé quelques-uns des nouveaux auteurs : Mark Kharitonov, Mikhaïl Chichkine, Alexeï Ivanov.

A part Dostoïevski, y a-t-il un écrivain russe qui connaît un franc succès en France ? 

Bien sûr, Pasternak, avec le Docteur Jivago. Et certains de ceux que l’on a tendance à appeler les « dissidents ». Vassili Grossman et son œuvre Vie et destin est sortie en français à Lausanne bien avant de sortir en Russie, en 1980, et a eu un énorme succès, une grande résonance. Dans un certain sens, elle nous a formés. Les traces de ce livre se retrouvent chez de nombreux philosophes français, dans leurs interrogations sur la liberté et l’esclavage. Les récits de la Kolyma de Chalamov ont également laissé une trace stylistique dans la prose française.

 

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