L'histoire tourmentée de l’Hôtel d’Estrées

La bâtisse doit son nom à la duchesse d’Estrées, veuve du duc d’Estrées qui la fit construire. Source : patrick janicek / Flickr.com

La bâtisse doit son nom à la duchesse d’Estrées, veuve du duc d’Estrées qui la fit construire. Source : patrick janicek / Flickr.com

Le 12 décembre dernier, au 79 rue de Grenelle à Paris, Alexandre Orlov, vêtu de sa grande tenue d’ambassadeur, recevait dans une ambiance très solennelle ses invités à l’occasion de l’anniversaire de… sa résidence, l’Hôtel d’Estrées.

« S’il y a une occasion pour mettre cette grande tenue, c’est aujourd’hui. Cette belle demeure, le symbole des relations entre nos deux pays, fête son double anniversaire : les 300 ans de sa construction et les 150 ans de son acquisition par l'Empereur Alexandre II pour y loger l’ambassade impériale. L’acte d’acquisition a été signé exactement le 12 décembre 1863 », a déclaré l’ambassadeur russe devant ses invités, dont l’ancien Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing faisait partie.

La bâtisse doit son nom à la duchesse d’Estrées, veuve du duc d’Estrées (pair et maréchal de France, gouverneur d’Alsace), qui la fit construire. Le projet est confié à Robert de Cotte, Premier architecte du Roi et directeur de l'Académie. Sa construction a été achevée en 1713.

Quatre ans plus tard, en visite à Paris, Pierre Ier de Russie aurait rendu visite à la duchesse d’Estrées et aurait été tellement impressionné par l’architecture et la décoration intérieure de son hôtel, qu’il invita l’architecte adjoint à Saint-Pétersbourg pour travailler à la finition de l’intérieur du Palais d’Hiver. 

L'une des dernière propriétaires françaises de la demeure fut la marquise de Tourzel, belle-fille de la duchesse de Tourzel, la gouvernante des enfants royaux qui a participé à la tentative échouée de la fuite de Paris du roi Louis XVI. On sait que la famille royale a tenté de s’évader grâce à l’aide financière et le passeport russe de la baronne de Korff. Après son arrestation à la frontière, la famille royale a été ramenée aux Tuileries et enfermée durant 18 mois. Le dimanche on conduisait le jeune Louis XVII à Hôtel d’Estrées où il jouait dans les jardins avec son fidèle caniche Moufflon, comme le raconte l’historien G. Lenotre. Selon la légende, le chien est enterré sous un vieil arbre du jardin.

Hotel d’Estrées, Gravure (1896). Crédit : Maria Tchobanov

C’est avec la fille de la marquise de Tourzel et son époux le duc des Cars que le gouvernement de la Russie Impériale signe le contrat d’achat de la propriété pour y installer son ambassade. Des travaux de restauration très importants ont été entrepris pour préparer la visite d’Alexandre II, en 1867.

L’Empereur vient à Paris à l’occasion de l’Exposition Universelle et séjourne à l’hôtel d’Estrées où il donne un grand bal en honneur de Napoléon III. Malheureusement, la visite à Paris du Tsar est assombrie par la tentative de son assassinat par un immigré polonais.

En octobre 1896, la résidence accueille le dernier Empereur russe Nicolas II avec son épouse Alexandra Fiodorovna et leur fille, la grande duchesse Olga. A cette occasion, l’ambassadeur, le baron Morenheim, fait tout pour que la résidence prenne des allures de palais. Pendant trois jours, la demeure de la rue de Grenelle devient le théâtre des sommets franco-russes. Les paroles de la Marseillaise révolutionnaire suivent celles de l’hymne Que Dieu protège le Tsar.  

Ces temps de paix et de fêtes somptueuses, du renforcement de l’alliance franco-russe et du développement des relations économiques entre les deux pays sont interrompus par la Première Guerre mondiale et la Révolution en Russie.

En 1924 la France reconnaît l’URSS et exprime son intention de procéder rapidement à un échange d’ambassadeurs. Alors, l’ambassadeur Vassili Maklakov, nommé en 1917 par le Gouvernement provisoire, quitte la rue de Grenelle en emportant avec lui les archives et les reliques impériales. Par la suite, il cédera le trône, des portraits du Tsar, des peintures et des antiquités à la maison russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, fondée en 1927 par la princesse Meshcherskaïa, où ils se trouvent encore aujourd'hui.

Le thé dans le salon vert. Gravure (1893). Crédit : Maria Tchobanov

Le 4 décembre 1924, Léonide Krassine, premier représentant plénipotentiaire d’URSS, arrive à Paris. A cette époque l’Hôtel d’Estrées demeure détérioré après le séjour des réfugiés belges pendant la Première Guerre mondiale. Le 14 décembre 1924, le drapeau soviétique est hissé. Ingénieur de formation, financier et commerçant talentueux, Krassine a réussi à organiser l’administration de l’ambassade et ouvrir une représentation commerciale de l’URSS.

En 1929, le protocole de reprise des relations diplomatiques entre l’Angleterre et l’URSS sera signé à l’ambassade soviétique rue de Grenelle. C’est toujours à la même adresse que le pacte de non-agression entre la France et l’URSS sera ratifié en 1932.

Pendant la « drôle de guerre », l’hôtel d’Estrées sert de refuge aux antifascistes. Nikolaï Ivanov, alors délégué aux affaires de l’ambassade, délivre des passeports soviétiques aux républicains espagnols emprisonnés.

En 1941, le Ministre français de la Défense nationale annonce officiellement la rupture des relations diplomatiques avec Moscou. L’hôtel de la rue de Grenelle est immédiatement réquisitionné par les Allemands pour y loger les services économiques de la Gestapo du VIIe arrondissement. Après la Libération, l’hôtel d’Estrées, vidé et pillé par les Allemands, est réhabilité. Il accueille de nouveau l’ambassade soviétique.

Le décès de Staline ouvre une nouvelle page dans les relations entre les deux pays. En 1960, Nikita Khrouchtchev s’entretient rue de Grenelle avec le maire de Dijon, le chanoine Kir, ancien membre actif de la Résistance.

En 1971, l’ambassadeur Piotr Abrassimov obtient un terrain pour le nouveau bâtiment de l’ambassade, boulevard Lannes. L’inauguration des nouveaux locaux est présidée par Léonide Brejnev lors de sa visite à Paris en 1977 et par le Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing. Au même moment, les portes de l’hôtel d’Estrées se ferment pour 4 ans, le temps de réaliser des travaux de restauration de grande envergure. On fait venir de Leningrad les meilleurs restaurateurs pour redonner au bâtiment historique son style Second Empire à l’aide de gravures, de photographies et de descriptions d’époque.  De la dorure à la feuille redonne tout leur lustre aux boiseries des salons.

L’hôtel d’Estrées, retrouvant toute sa splendeur d’antan, devient alors la résidence de l’ambassadeur de Russie.

Pour marquer l’anniversaire, deux plaques en bronze avec les noms de tous les ambassadeurs qui ont représenté la Russie en France depuis 1701 (œuvre de Zourab Tsereteli) et le buste de  l’Empereur Alexandre II (réalisé par le sculpteur Alexandre Bourganov) ont été installés à l’entrée de la résidence. En sachant que les vrai relations entre la France et la Russie ont démarré pendant la visite de Pierre le Grand en France en 1717, dans 4 ans nous pourrons célébrer 300 ans de relations diplomatiques entre les deux pays.

Le livre Hôtel d'Estrées d'Anna Zvereva et Kirill Makarov, magnifiquement illustré, avec les textes bien garni des faits historiques peu connus, vient de paraître aux Editions du Mécène. Directeur de la rédaction - Alexandre Orlov, Ambassadeur de la Fédération de Russie en France.

 

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