Crédit photo : ITAR-TASS
Victor Erofeev n’en est pas à sa première distinction étrangère majeure : en 2006, l’écrivain a été décoré chevalier de l’ordre français des Arts et des Lettres. En effet, il entretient des liens profonds avec la culture occidentale, et plus particulièrement française.
Fils d’un diplomate et traducteur personnel de Staline (le père de l’écrivain traduisait du français pour Staline, puis occupa le poste de Directeur Général adjoint de l’UNESCO pendant 5 ans), Victor vécut une partie de son enfance à Paris.
Livres censurés en Russie : qui et pourquoi ?
L’essai qui le fit connaître dans les milieux littéraires fut consacré au Marquis de Sade, puis il choisit le thème « Dostoïevski et l’existentialisme français » pour sa thèse.
Par ailleurs, Erofeev est un citoyen du monde de longue date. Cet intellectuel élégant écrivait des billets pour New Yorker et The New York Times, entretenait des « dialogues de Platon » sur la littérature et sur la vie à la télévision russe, enseignait dans une université américaine et réalisa une collection de prose russe contemporaine The Penguin Book of New Russian Writing.
La première à Amsterdam de l’opéra d’Afred Schnittke La Vie avec un Idiot, tiré de la nouvelle du même nom écrite par Erofeev, fut applaudie par la reine Beatrix des Pays-Bas.
« C’est un écrivain, ce n’est pas un créateur d’illustrations littéraires pour des lois morales et mathématiques impérissables. Ou pour des lois historiques et philosophiques. Bien que les lecteurs le connaissent sous un angle tout à fait différent : il connaît tout, ses formulations sont très précises, c’est un vrai critique, et non celui qui pond des dénonciations envieuses au sujet de la réalité pas forcément intimidée par l’histoire. Une telle combinaison de deux extrêmes en une seule personne est rare. Les personnalités comme Victor Erofeev sont précieuses », – écrivait Schnittke, le génial compositeur d’avant-garde qui sut apprécier le « sur » caractéristique de l’écrivain.
En effet, l’écrivain est plein de contradictions : issu des plus hauts rangs de la nomenclature soviétique, Erofeev se positionna comme un rebelle dès le début de sa carrière littéraire pour lancer, en 1979, la publication du journal de samizdat, Métropole, qui publiait des œuvres d’écrivains soviétiques célèbres, refusés par la censure, comme Vassili Axionov et la poétesse Bella Akhmadoulina.
Cela coûtera à son père sa carrière diplomatique, Erofeev repris plus tard cet épisode dans son roman Ce bon Staline. Après le lancement de Métropole, Erofeev ne sera plus publié pendant dix ans.
Pourtant, son premier roman La belle de Moscou connaîtra un succès retentissant et sera traduit en plusieurs dizaines de langues.
« Ma Belle est arrivée à la Foire littéraire de Frankfort sous forme de copie dactylographiée froissée, troisième exemplaire. Et, tout d’un coup, elle est achetée par les meilleurs éditeurs du monde : Viking, Penguin, Fisher, Anagramme... Non seulement je n’étais pas personnellement présent, mais je ne le savais même pas », – se rappelle l’écrivain dans son entretien avec le magazine Ogoniok.
Pourtant, la Russie n’a jamais complètement accepté la Belle de Moscou, un livre franc et avant-gardiste, comme certains autres livres de l’auteur.
Après la publication de L’Encyclopédie de la vie russe en 2009, l’écrivain est abandonné même de son alma mater – les professeurs de la faculté de philosophie de l’Université d’Etat de Moscou, dont Erofeev est diplômé, ont qualifié son livre de « russophobe » et ses déclarations sur la culture russe de « blasphème ».
L’écrivain a été défendu par des personnalités culturelles tels que Vladimir Sorokine et le réalisateur Pavel Lounguine.
Erofeev n’a pas peur d’épater ni de choquer, comme le prouvent les titres de ses livres, Ce bon Staline, l’Apocalypse russe, La Lumière du diable. Il n’abandonne pas ses tentatives de comprendre la mentalité et la voix du peuple russe : il revient à ce thème à plusieurs reprises dans ses livres récents.
La tonalité varie de la constatation ironique dans le recueil de nouvelles La Lumière du diable (« traîner sur l’autoroute à 130km/h était une dure épreuve pour un Russe ») à la dure satire sociale dans son roman Les Akimouds (2012) où la Russie est envahie de morts-vivants et vit sous leur joug.
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