« L’homosexualité se situe en dehors de la scène artistique », selon le scénariste du film Tchaïkovski

Iouri Arabov : "Je suis contre l’idée d’aborder le thème de l’homosexualité, en particulier dans l’art". Crédit : Itar-Tass

Iouri Arabov : "Je suis contre l’idée d’aborder le thème de l’homosexualité, en particulier dans l’art". Crédit : Itar-Tass

Sur les 12 long métrages présentés au Ministère de la Culture, c’est le film biographique Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov qui a remporté le soutien financier de l’Etat. Le scénario, écrit par Iouri Arabov, retrace les états d’âmes tourmentés du célèbre compositeur russe dans sa dernière tranche de vie, en grande partie liés à son orientation sexuelle.

Izvestia : A votre avis, dans votre film biographique sur Tchaïkovski, faut-il montrer à l’écran les détails intimes de sa vie privée ?

Iouri Arabov : Vous voulez parler de son homosexualité ? Il n’est pas prouvé que Tchaïkovski était homosexuel. C’est ce que pensent de nombreuses personnes. Mais ce que croient les gens ne doit pas obligatoirement être montré au cinéma.

Pourtant, dans votre scénario, il existe bien des allusions directes. Je pense notamment à l’épisode où, avec ses camarades, Tchaïkovski organise un débat publique sur ses penchants.

I.A. : Il s’agit là d’une légende, partagée par tous ses proches. Dans le scénario, le héros principal est un homme sans famille, sur lequel s’accroche l’opinion qu’il aimerait les hommes. Et il a véritablement aimé Bob (Vladimir Davydov, le neveu du compositeur russe). Il lui a consacré sa dernière symphonie. Mais ce sentiment était platonique. Dans mon scénario, Tchaïkovski se retrouve sous le coup de la rumeur, ce qui l’angoisse terriblement. Il existe aussi un mythe, selon lequel les amis du compositeur lui auraient organisé un tribunal de la conscience. J’ai utilisé cette légende pour transformer la scène en cauchemar rêvé par Tchaïkovski.

Je suis contre l’idée d’aborder le thème de l’homosexualité, en particulier dans l’art. Le scénario deTchaïkovski a déjà connu cinq versions différentes au cinéma, et dans cette dernière, il n’y a aucune trace d’homosexualité. Le film ne porte absolument pas là-dessus. Ce thème m’indiffère totalement. Laissez les gens faire ce qu’ils veulent dans leur chambre à coucher, nous n’avons pas besoin de porter leur intimité sur la voie public, parce que cela reviendrait au même que de débattre du caractère moral durant l’ère soviétique. Par contre, c’est tout à fait autre chose si, au cours du tournage, apparaissent de nouveaux éléments qui ne figuraient pas dans le scénario d’origine. Je ne souscrirais jamais à un film qui promeut l’homosexualité. C’est un domaine qui se situe en dehors de la sphère artistique.

Dans ce scénario, j’ai décrit les problèmes qui, à mon sens, sont communs à tous les artistes. Ils ont préoccupé les gens au XIXe siècle et continuent à les hanter aujourd’hui encore. Le problème est de savoir comment la société nous définit et qui nous sommes véritablement. La société nous voit non pas tels que nous sommes, mais c’est encore pire si l’on vous colle une étiquette sur le front.

Comment jugez-vous les initiatives du Ministère russe de la Culture, associées au cinéma dit « socialement utile » et « patriotique » ?

I.A. : C’est une chose de faire un film biographique spécifique, destiné aux écoles dans le cadre d’un programme scolaire. C’en est une autre de viser le grand écran. Je pense que le patriotisme peut être inculqué grâce à l’éducation en général. Lorsqu’un enfant apprend à l’école l’histoire de la Russie, sa littérature et sa musique, il devient automatiquement patriote. Même s’il y a des défaites, notre histoire a connu aussi de grandes victoires. Quant à la littérature, le monde tire encore son chapeau devant nos oeuvres et nos auteurs du XIXe et du début du XXe siècle.

Pour développer le patriotisme, reproduire l’expérience du cinéma des années 30 n’est pas obligatoire. L’école peut jouer ce rôle. Le cinéma, quant à lui, doit poser des questions plus controversées et complexes. Or, pour l’instant, le Ministère de la culture tente de remplacer le Ministère de l’éducation. Je demeure sceptique face à ce qui se passe actuellement. Vladimir Medinski est lui-même historien, et il veut que la culture russe retentisse, mais elle ne doit pas tinter par son or, mais par ses problèmes habituels.

Mais ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas vivre de l’aide financière ridicule de l’Etat. Nous comprenons que le gouvernement a des questions plus urgentes à traiter : les Jeux Olympiques, Skolkovo, les retraites... Et nous n’avons pas besoin d’une aide de budget. Je n’exige qu’une seule chose de nos dirigeants, c’est que le monde des affaires puisse s’intéresser au cinéma. Actuellement, ce n’est pas le cas, parce que neuf films sur dix sont déficitaires. Le monde du business n’investira dans le cinéma que lorsque « là-haut », on fera preuve d’indulgence. Pour l’instant, cela ne se produit pas. Toutes nos tentatives pour développer un cinéma commercial via une aide financière de l’Etat n’est qu’une blague. Soyons francs, l’Etat est actuellement incapable de soutenir le cinéma.

Iouri Arabov

Poète, romancier et scénariste, Iouri Arabov est un maître reconnu dans l’art de l’écriture scénaristique sur les personnalités historiques. Parmi ses travaux, on retiendra Moloch, sur Adolphe Hitler et Eva Braun, Le taureau, sur Vladimir Lénine, Le soleil, sur l’empereur Hirohito, Nikolaï Vavilov, sur l’éminent scientifique et biologiste russe, ainsi que Le testament de Lénine, sur l’écrivain Varlaam Chalamov.

Texte original (en russe) publié sur le site d'Izvestia

 

 

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