Le public du festival, selon rapport de l'administration de l'année dernière, ce ne sont que 50.000 personnes - moins de la moitié de son plus proche rival, Karlovy Vary. Source : service de presse
Lors d'une conférence de presse du Festival international du Film de Moscou (FIFM), une question en allemand a soudain retenti. Le chef du centre de presse et critique Piotr Chepotinnik a demandé à la journaliste de répéter la question en russe, et a été très surpris quand elle a reconnu sa faible connaissance de la langue de Pouchkine, car elle vit et travaille en Allemagne. Cet incident mineur a dévoilé une triste réalité : même le centre de presse ne s'attend pas aux questions de critiques étrangers - on sait bien que ces derniers sont presqu'absents au festival. On n'édite pas de journaux internationaux comme à Cannes ou Berlin, on ne réalise pas classements critiques, et les langues étrangères ne résonnent quasiment jamais dans les couloirs. Presque aucune information sur les temps forts du festival n'a été relayée dans la presse mondiale. Le Festival international du film de Moscou, né en 1935, qui s'enorgueillissait jadis de la participation de génies du monde du cinéma comme Federico Fellini ou Stanley Kramer, ce festival international de classe « A », s'est peu à peu converti en événement réservé au public russe.
Pire, c'est devenu un événement à l'échelle moscovite. Encore plus grave, un événement non pas destiné au public, mais principalement aux journalistes dépêchés pour le couvrir. Ce sont eux qui remplissent les 11 salles du multiplex Octobre. Le public, selon rapport de l'administration de l'année dernière, ce ne sont que 50.000 personnes - moins de la moitié de son plus proche rival, Karlovy Vary, et incomparablement moins que les festivals de Berlin ou Toronto. Beaucoup de films sont projetés dans des salles à moitié vides, les films en lice le sont dans des salles désertiques. Moscou, comme la presse du monde entier, n'y voit que du feu.
Le film World War Z avec Brad Pitt a été choisi pour la cérémonie d'ouverture du festival. Crédit : service de presse |
Le FIFM se déroule dans un contexte familier de critiques incessantes. Les raisons à cela sont légion - du médiocre thriller rempli de zombies World War Z, choisi pour la cérémonie d'ouverture afin d'attirer Brad Pitt sur le tapis rouge, à l'hypertrophie du nombre de films et de programmes : 364 films dans 30 programmes ! Sur fond de crise générale du cinéma et d'augmentation du nombre de concurrents de poids, le FIFM peine à sélectionner pour son concours des premières mondiales de qualité. L'abondance lors du concours de films médiocres, sélectionnés comme par accident, pour la plupart impropres à être projetés, a poussé le public à se désintéresser des titres présentés au concours.
Le Festival lui-même et les distributeurs russes s'y sont habitués. Même en gagnant à Moscou, un film n'a aucune chance de sortir dans les cinémas russes - les prix du FIFM n'affectent pas le sort des gagnants. D'un point de vue commercial, le festival est sans intérêt pour l'industrie cinématographique mondiale.
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Jadis, ce festival était pour le public soviétique l'unique fenêtre sur le monde du cinéma - seuls quelques films en provenance d'Europe et d'Amérique étaient montrés au grand public. Aujourd'hui, il sert aussi de hublot aux cinéphiles pour voir des films d'auteur internationaux - les distributeurs jettent rarement leur dévolu sur des œuvres aux fortes qualités artistiques, y préférant les films policiers, fantastiques et les thrillers pour adolescents. Cette année, par exemple, le FIFM montre la quasi-totalité de Bernardo Bertolucci, qui, selon les nouvelles lois, est indésirable sur les écrans russes. On montre aussi des films qui ont choqué le récent Festival de Cannes par leur qualité graphique - eux aussi auront des difficultés au box-office. Autrement dit, le festival est réduit à attirer les spectateurs par la possibilité de goûter à quelques « fruits défendus ». De ce fait, beaucoup sont prêts à lui pardonner son faible concours et toute son organisation, qui est de plus en plus provinciale. Ce style et ces goûts provinciaux se font fortement sentir lors des cérémonies d'ouverture, qui rappellent de plus en plus une soirée d'élus dans une propriété rurale avec son maître de maison affable et son banquet sur les berges de la rivière. Les cérémonies ont de moins en moins la prétention d'être des événements internationaux : il y a bien quelques visiteurs étrangers honorifiques, mais les présentateurs de la cérémonie ne connaissent aucune langue étrangère et s'emmêlent dans les noms des célébrités internationales, démontrant leur déconnexion avec la salle, le sujet de la soirée, et le septième art lui-même.
Pour survivre, le Festival de Moscou a besoin de changements drastiques. On a proposé à plusieurs reprises d'annuler le concours, ce dernier ayant dans le contexte actuel perdu tout son sens. Mais tout le monde sait que si on annule le concours, le festival perdra probablement son statut « A », et les solides injections d'argent public qui vont avec. La viabilité économique des dépenses a plusieurs fois été évoquée par les experts : faut-il dépenser, selon la presse, jusqu'à 120 millions de roubles (3 millions d'euros) pour que les journalistes courent de salle en salle, « dégustant » quelques gouttes de l'océan insondable du cinéma? Et pourquoi 364 films, s'ils ne rassembleront même pas une centaine de spectateurs ? Si Toronto ou Berlin, où toute la ville fait la queue pour les billets, reçoivent de leurs festivals d'importants revenus pour les caisses de la ville, le Festival de Moscou est un événement purement subventionné et largement déficitaire.
Car le festival est rongé d’une longue maladie - un financement non pas permanent, mais sporadique, autorisant officiellement l'équipe de sélectionneurs à se mettre au travail trois ou quatre mois seulement avant l'ouverture, alors que les grands festivals du monde entier glanent les films tout au long de l'année. Ainsi, l'organisation même du festival implique de travailler dans une atmosphère d'empressement, dans un régime d'urgence et d'inefficacité.
Dans une certaine mesure, les maux du festival sont liés à l'inamovibilité de ses organisateurs - pas seulement des sélectionneurs, mais aussi de l'ensemble de la direction. Le réalisateur de premier plan Nikita Mikhalkov tourne ses films, il occupe beaucoup de postes administratifs et publics, et il ne peut physiquement pas prêter l'attention qu'exige la fonction de président d'un tel festival. Concernant les sélectionneurs, la gamme de leur goût est bien connue des habitués du FIFM, et elle ne reflète pas la moitié de la palette de styles et de genres du cinéma mondial. Par conséquent, la presse exige avec une insistance croissante une rotation de toute l'équipe - une rotation progressive, tactique, mais constante.
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