Sergueï Polounine : « En occident, ce qui est arrivé à Filine n’aurait jamais eu lieu »

Sergueï Polounine : "Le Ballet Royal a toujours reposé sur des Russes. Aujourd’hui il n’y a pas de Russes, personne n’y danse". Crédit : Itar-Tass

Sergueï Polounine : "Le Ballet Royal a toujours reposé sur des Russes. Aujourd’hui il n’y a pas de Russes, personne n’y danse". Crédit : Itar-Tass

Le célèbre danseur Sergueï Polounine qui a quitté Londres et s’est longtemps gardé de tout contact avec la presse, a donné une interview au journal Izvestia, il raconte les similarités et les différences entre les mœurs du ballet à Moscou et à Londres.

Vous dansez au théâtre Stanislavski dans le ballet de Kenneth MacMillan, Mayerling. En Russie, on produit rarement les spectacles de MacMillan, bien qu’on aime les mélodrames historiques. Mais vous avez, semble-t-il, une grande expérience de ses ballets.

Sergueï Polounine : Oui. Depuis mes 17 ans je me suis produit dans les ballets Manon puis Mayerling. C’est la préparation de base des acteurs qu’il fallait absolument avoir. Dans les spectacles de MacMillan on ne joue pas, mais on vit, il y a beaucoup d’improvisation.

Comment pensez-vous que Mayerling est reçu par le public russe ? C’est une histoire très éloignée de la Russie.

S.P.: Je ne pense pas que le public russe aime à 100% Mayerling, c’est une question de goût. C’est du goût du directeur artistique Igor Zelensky. A Londres la troupe du ballet royal joue MacMillan depuis de nombreuses années, le spectacle est au répertoire depuis longtemps, même les décors sont anciens. Le théâtre a effectué un travail colossal, nous verrons, peut-être qu’avec le temps la compréhension viendra.

Vous avez aujourd’hui 23 ans. Vous disiez vouloir terminer votre carrière dans le ballet à 26 ans.

S.P.: C’est une sorte de rêve. Pour une raison qui m’échappe, quand j’avais 18 ans, je pensais que 26 ans était un bon âge pour partir. Le ballet traumatise. Jusqu’à 32 ans c’est amusant et positif, le corps tient le coup, bien qu’après 28 ans la charge de travail augmente pour pouvoir garder son tonus. A un âge plus avancé cela devient plus difficile.

Supposons que vous quittiez le ballet à 26 ans. Que feriez-vous ensuite ?

S.P.: C’est une véritable question. Je ne sais pas encore ce que je pourrais faire. Si je dépasse cette limite des 26 ans, je danserai jusqu’à la fin, pour prouver qu’à 50 ans on peut encore se produire à un haut niveau. En outre, il existe aujourd’hui des traitements pour la récupération musculaire, pour conserver dans le corps des hormones de jeunesse.

Je ne peux m’empêcher de vous questionner sur votre départ du Ballet Royal de Grande-Bretagne. Pourquoi avez-vous été offensé par sa direction ?

S.P.: Je ne pense pas m’être offensé de la direction, nous sommes restés en bons termes. Il y a peu j’ai dansé Marguerite et Armand avec Tamara Rojo, en juin, la captation sera diffusée dans les salles de cinéma partout dans le monde, j’espère que nous aurons l’occasion de collaborer de nouveau.

Vous avez déjà des contrats ?

S.P.: Ils ne le disent jamais à l’avance. Ils épargnent leurs danseurs. Dans le Ballet Royal, on protège les danseurs qui travaillent 24h sur 24. Cela ne leur importe pas de savoir si je vais danser avec eux ou non, après tout j’ai quitté la troupe.

En Russie, on ne prend pas en compte l’avis des personnes sans statuts, alors qu’à Londres, leurs opinions sont estimées, tout le système est construit sur le fait qu’ils forment une équipe et non pas des personnalités à part. Humainement c’est très bien, mais au final, cela nuit à l’art. Un artiste talentueux est souvent maintenu à un niveau général ne lui permettant pas de s’épanouir complètement.

C’est l’une des raisons pour lesquelles vous avez quitté le théâtre ?

S.P.: L’histoire se répète toujours. On peut regarder le passé pour connaître le futur. Dans le Ballet Royal, il y avait des artistes comme Rudolf Noureev, Igor Zelensky, Irek Moukhamedov. Le Ballet Royal a toujours reposé sur des Russes. Aujourd’hui il n’y a pas de Russes, personne n’y danse. Grâce à Noureev, les Britanniques ont gagné de l’argent à domicile, ils faisaient carrière. Et quand il a commencé à décliner après avoir atteint les sommets, ils l’ont tout simplement jeté. Ce fut la même histoire avec Moukhamedov et Igor. Tout le monde est mis dehors, voilà la mafia anglaise. J’ai pensé que dans quelques années, un danseur plus jeune arrivera, quelqu’un de plus facile à diriger et qu’on aura pas besoin de payer autant, car les salaires augmentent chaque année. Selon le contrat, on ne peut pas vous renvoyer, on peut seulement partir par soi-même. C’est pourquoi ils commencent à vous mettre la pression et retirent des représentations. Vous imaginez, au départ on vous donne tout, et ensuite plus rien, dans le même théâtre.

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Au théâtre Stanislavski vous êtes à l’aise ?

S.P.: J’aime pouvoir faire un théâtre nouveau, être écouté, que mes goûts concordent avec la direction. Et par dessus tout, j’aime ma liberté. Ma vie se passe dans le théâtre, et si on ne te donne pas de liberté, à quoi bon y travailler ?

Mais vous n’avez pas choisi ce groupe immédiatement, vous êtes allé au Théâtre de ballet américain (ABT), et au Marinski, il n’y a qu’au Bolchoï qu’on ne vous a pas vu.

S.P.: Au Bolchoï à ce moment il n’y avait pas de leader, et quand il a été question de moi, il est apparu qu’on me craignait. Il y avait eu une mauvaise presse indiquant que je n’étais pas adéquat : personne à un tel niveau ne laisse passer une telle chance. Les gens ont eu peur que je les abandonne. J’estime chez Zelensky le fait qu’il n’avait pas peur de saisir sa chance. On a discuté professionnellement de mes possibilités et j’ai réalisé que le théâtre est intéressé par ma personne et non seulement par ce que je représente. Dans l’art, il faut risquer. Cela peut apporter de grands succès.

Votre passion pour les tatouages, c’est aussi un risque ?

S.P.: Ce n’est pas une lubie. Je l’ai acquise la veille de mon départ du Ballet Royal. Tout a concordé. Ma seule source de bonheur à Londres était ma petite amie. Je n’aimais plus travailler au théâtre, je me suis simplement affranchi des ballets, c’est pourquoi je me suis lié avec le salon de tatouage. C’était des enfantillages. Quand j’ai compris que je devais me séparer de mon amie, j’ai pris conscience que je devais également me débarrasser des tatouages, j’y ai trop trainé, j’y étais lié financièrement : nous avions le salon à deux. Deux semaines avant cela, j’étais sur le point de louer un bâtiment de deux étages à Londres, il aurait fallu payer 80 mille euros par an. Heureusement que je ne l’ai pas fait. J’ai tout offert à mon partenaire et me suis par la même libéré.

Aujourd’hui vous n’avez que des projets artistiques ?

S.P.: Non, il y a toujours autre chose. J’aimerais créer mon costume de ballet. Je sais qu’ils ne suffisent pas aux danseurs. L’important c’est d’avoir l’idée, ensuite on trouve les gens qu’il faut.

Comment percevez-vous la situation avec le directeur du Bolchoï ?

S.P.: En Occident, cela ne serait jamais arrivé. Ils ont une telle considération pour le ballet. En Russie c’est une grande force, le Bolchoï est un état dans l’État. Le plus important est que cette situation en se reproduise pas.

Publié en russe dans les Izvestia.

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