Art : l’éphémère, c’est dans l’air

L'artiste Artem Loskoutov montre les t-shirts pro-Pussy Riot. Crédit : Alexandre Kriajev / RIA Novosti

L'artiste Artem Loskoutov montre les t-shirts pro-Pussy Riot. Crédit : Alexandre Kriajev / RIA Novosti

En l’absence d’un véritable marché de l’art en Russie, c’est l’art activiste urbain qui occupe le devant de la scène. Les Pussy Riot n’en sont que l’exemple le plus clinquant.

En Russie, on ne peut pas parler d’un véritable marché de l’art. Le chiffre d’affaire annuel du secteur de l’art sur toute la Russie est largement couvert par un seul trimestre à New-York ou Shanghaï. Malgré cette situation, l’art contemporain russe continue d’évoluer et parfois de faire parler de lui. Il est vrai que c’est souvent le fond de contestation sociale qui le rend attractif. Il est évident que si le tableau « Le lexique fondamental » de Gricha Brouskine, s’est vendu récemment à Sotheby’s pour 970 000 dollars (presque le million), ce n’est pas grâce à ses qualités artistiques mais pour l’intérêt que suscite le Sots art et la période de la Pérestroïka.

Les étoiles qui brillent au firmament de cette nouvelle tendance activiste sont sans conteste les incontournables Pussy Riot, ces filles qui ont fait couler tant d’encre en Occident et même trop en Russie. Espérons que cette médiatisation à outrance ne fasse pas de l’ombre à leurs camarades, jeunes artistes de plus en plus talentueux et nombreux en Russie, représentant un activisme ancré dans la ville, destiné, selon la critique d’art et curateur Nina Felchine, à conduire à des améliorations de l’ordre social.

L’un de ces artistes, Artem Loskoutov de Novossibirsk lui aussi s’est retrouvé propulsé en quelque sorte grâce à la répression policière. Il est à l’origine de l’événement « Monstration », une parodie des « démonstrations » soviétiques, où les gens étaient contraints « de leur plein gré » à sortir manifester pour célébrer la gloire de l’URSS et de ses dirigeants. On leur mettait dans les mains des panneaux avec des slogans surréalistes qu’ils devaient brandir. Lorsque, dans les années 2000, cette pratique est réapparue, Loskoutov à lancé les « Monstrations », carnaval annuel, véritable catharsis pour les jeunes qui se font une joie de tourner en dérision ces « traditions ». Irrités par cette foule bigarrée clamant des « Maman, pardonne-moi, je passerais l’aspirateur ! », « Les porcs sont aussi des gens » ou « Pour une ville propre, mangez du pigeon ! », les services spéciaux antiterroristes sont venus perquisitionner chez Loskoutov et ont très vite trouvé, dans des circonstances inexpliquées, quelques grammes d’herbe. Une publicité inestimée qui, au prix d’une simple amende, a fait de Loskoutov une vedette de la toile et a rendu célèbres les « Monstrations » à Moscou.

Mais notre objet n’est pas de critiquer les méthodes policières russes car les collègues occidentaux n’ont rien à leur envier en matière de répression injustifiée. Ainsi, à Londres, il semble normal de mettre au trou des graffeurs avec comme seule preuve de leur méfaits des taches de peinture aérosol sur leurs vêtements.

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Aujourd’hui, beaucoup de ces artistes activistes russes font partie de grands collectifs d’artistes assez bien lotis. Comme le groupe « Partisaning » pour qui Moscou est un grande maison qui n’attend qu’à être décorée et personnalisé. Il font la promotion de l’art de rue sur internet et dans des catalogues, mais leur activité principale reste le desing illégal urbain: dessiner des passages piétons dans des endroits où il en manque ou suspendre des boîtes aux lettres coloriées pour que les riverains fassent part de leurs idées pour améliorer le quotidien dans leur quartier.

Les graffeurs sont pourtant à l’origine connus pour être des solitaires, pas très soucieux d’instaurer le dialogue social, mais ça aussi c’est en train de changer. Prenons Micha Most, leader du collectif « Zatchem » (Pourquoi ?). Ce mot, qui apparaît depuis dix ans sur les immeubles moscovites sonne parfois comme un questionnement philosophique, parfois comme un reproche remettant en cause une architecture qui jure. Son projet « La Constitution » est très parlant. En affichant dans la rue des extraits de textes de la loi russe, il initie les riverains aux notions juridiques en leur inculquant leurs droits et devoirs. Ou ces mangeoires pour les oiseaux fabriqués en forme de caméra de surveillance installées dans les villes européennes, servant à rappeler à la population, le contrôle total qui est exercé sur elle.

Retenons également Pacha 183, le chouchou des médias occidentaux, qui se vexe quand on le surnomme le « Banksy russe » et refuse d’exposer dans les galeries, tout en laissant financer ses projets monumentaux. Du talent, de l’imagination, une bonne dose d’humour et des pots de peinture : de quoi rendre ludique l’espace urbain. De simples plaques de béton deviennent des tablettes de chocolat et une construction qui gâche la vue d’une rue centrale de Moscou se transforme en maison de princesse retournée comme tombée du ciel.

Ces artistes activistes ont réussi a accepter que la plupart de leurs travaux soient destinés à disparaître, être effacés ou détruits. Il paraît que l’une filles des Pussy Riot a rejoint le collectif activiste « Pust’ stirayout » (Effaçez-donc). Ce qui est drôle du fait de la consonance avec le nom du fameux groupe contestataire, mais aussi porteur de sens car c’est, de fait, le crédo de cette nouvelle forme qu’est l’art urbain. Effaçez-donc, l’image, elle, restera dans la mémoire.

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