Les enseignes publicitaires recouvrent des immeubles entiers de la capitale, nuisant non seulement à son apparence mais également à la qualité de vie de ses habitants. Photo : DR
De l’intérieur du restaurant TGI Fridays , sur la place Pouchkine, on a l’impression que c’est le soir, alors qu’il est midi. Il y a beaucoup de fenêtres, mais quelque chose empêche la lumière de pénétrer. La façade de cet immeuble constructiviste du début du XXe est dissimulée sous une publicité vantant une station de ski. De l’autre côté de la rue, les deux faces d’un autre immeuble sont recouvertes d’une affiche géante pour Chanel. Des lettres en tube néon monumentales coiffent les les plus hauts édifices de la place.
Il y a 20 ans, les enseignes sur un
immeuble exhortaient les Soviétiques à travailler plus.
Aujourd’hui, Moscou a embrassé la réclame capitaliste avec un tel
enthousiasme que les publicitaires eux-mêmes jugent que la ville a
sombré en plein chaos visuel. La municipalité qui a pris le relais
de Iouri Loujkov, l’ancien maire que l’on croyait
indéboulonnable, a décidé de réduire le volume de publicité
extérieure de 20% d’ici à 2013, et les autorités veulent
totalement débarrasser le centre historique de toute annonce
commerciale. « La priorité doit être réservée aux bâtiments
historiques et non à la pub, surtout dans le centre aux si belles
perspectives » , explique Konstantin Mikhailov, un militant de
l’organisation non gouvernementale de préservation architecturale
Archnadzor. « La publicité a conquis la civilisation » ,
raille Albina Kholina dans la dernière édition d’un journal
littéraire russe. Elle compare les bandeaux publicitaires qui
barrent les rues de Moscou à « des culottes qui sèchent sur
un balcon ». Le gros problème, c’est que la plupart des
publicités sont illégales. En janvier, la ville a retiré 33
enseignes « pirates », sans qu’interviennent des
sanctions systématiques, ce qui a éveillé des soupçons de
corruption au sein de la mairie. Maxime Tkatchev, le directeur de
News Outdoor, l’un des grands acteurs du marché, considère que
« la ville n’est pas intéressée par la transparence et
l’ordre » dans le domaine de la publicité de rue. Le
fonctionnaire jusqu’ici chargé du secteur a été accusé de
corruption. En principe, l’accord d’au moins les deux tiers des
habitants d’un immeuble conditionne l’installation d’une
enseigne sur la façade. Et la recette de la location de
l’emplacement doit être affectée à l’entretien du bâtiment.
« Si c’est fait correctement, tout le monde y gagne. Mais ce
n’est pas le cas en ce moment » , dit Andreï Beryozkine, le
directeur de Espar-Analitik, qui analyse le phénomène publicitaire
urbain. Quand les résidents d’un immeuble luxueux de la rue
Koutouzovsky se sont retrouvés avec des fenêtres bloquées par une
publicité pour la voiture Infiniti de 100 mètres sur 22, ils n’ont
obtenu aucune compensation. « Nos appartements sont dans la
pénombre pendant la journée et baignés de lumière néon la nuit »
, ont-ils écrit dans une lettre ouverte au Président Dmitiry
Medvedev. Ils y expliquaient aussi que les publicitaires étaient
censés verser au titre de la location un million de dollars par an,
dont ils ne voyaient pas la couleur. « Les entreprises comptent
sur le fait que les résidents ignorent leurs droits » , dit
Beryozkine. « Je voudrais juste pouvoir voir la ville dans
laquelle je vis » , écrit la journaliste Albina Kholina, en
notant que l’on remarque les changements que subit la capitale
quand un Moscovite donne des indications d’itinéraire :
« Tournez à gauche après L’Oréal, puis suivez BMW, là
vous verrez Samsung, et après Pepsi, prenez à droite, vers
l’immeuble Sony » .
En chiffres :
33 publicités
illégales ont été
retirées par les autorités moscovites en janvier dernier.
1 er support
publicitaire, les
enseignes extérieures supplantent les autres modes de publicité.
20 pour cent
des publicités
présentes à Moscou doivent disparaître d’ici au début 2013.
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