«Davaï»: le mot le plus insaisissable de la langue russe

Un Américain continue de lutter avec ce qu'il pense être le mot le plus horrible et le plus déroutant de la langue russe: «davaï». Avec autant de significations simultanées, il n'est pas difficile d'imaginer pourquoi...

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J'ai travaillé quelques temps dans un camp pour enfants russe. Il y avait une version russe d'un de ces jouets pour enfants qui émettent le son que font les animaux : la vache fait « meuh », la poule « cot-cot », le chat « miaou », etc. Je l'ai pris et je l'ai essayé pendant que le professeur de russe donnait aux enfants des instructions sur les devoirs à faire. « La vache fait… davaï ! », « Le chat fait… davaï ! », « Le poulet…  davaï !  Poka Poka ! ». Je me suis arrêté, et j’ai regardé autour de moi. Et j’ai à nouveau entendu : « DAVAÏ ! ».

Le son venait de l’autre bout de la pièce. Il s'est avéré que le jouet était cassé et que ce que j'entendais, c'était l'enseignant expliquant aux élèves comment terminer leur travail. Elle leur disait de faire faire ceci, puis cela, de se dépêcher, puis a demandé à quelqu'un d'aller s'asseoir ailleurs et a dit au revoir à un autre élève que sa mère était venu chercher. Chaque fois, elle disait : « Davaï, davaï, davaï, davaï ».

Ce ne sont que quelques-unes des façons dont vous pouvez utiliser le mot « davaï », l'un des mots les plus polyvalents que j'ai entendus dans n'importe quelle langue.

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C'est un mot tellement polyvalent qu'il y a de fortes chances pour que vous l'utilisiez correctement, mais une chance tout aussi élevée pour que vous n'ayez aucune idée de ce que vous venez de dire. Par exemple, si vous vous retrouvez en Russie à n'importe quel moment de la journée, que vous participez à une conversation, et qu’à un moment donné vous dites « davaï », un certain nombre de choses pourraient se produire : on pourrait vous tendre une cigarette, vous demander où vous vous attendez à ce qu’on vous suive, vous remercier d'avoir accepté l'excellente idée qu'ils viennent de formuler, ou répondre également « davaï » avant de partir.

Pour les Russes, le « davaï » est naturel - peu importe comment il est utilisé, les Russes semblent comprendre exactement ce que leur interlocuteur veut dire. C'est comme un tour de magie linguistique omniprésent que les étrangers ne maîtriseront qu’au terme d’une vie de labeur.

Étant donné que « davaï » a tellement à voir avec le contexte, j'ai pensé qu'il serait préférable d'examiner comment il est utilisé en fonction de l'endroit où vous vous trouvez plutôt que de ce que vous faites.

Dans la chambre à coucher

Selon Nadia, une résidente de Saint-Pétersbourg, « allez ! » est l’utilisation la plus courante du mot « davaï ». De plus, dit-elle, « outre ses autres significations, давать (donner) peut signifier en russe laisser quelqu'un avoir des relations sexuelles avec vous », ce qui implique que la personne qui « donne » est peu enthousiaste / passive / désintéressée dans le processus.

« Alors, c’est comme si quelqu'un disait : "Allez, faisons l'amour", à quelqu'un qui veut juste aller au lit ; cette autre personne pourrait dire : "Da, davaï".  Comme dans si elle voulait dire : "Eh bien, faisons-le pour que je puisse enfin dormir" ? », ai-je demandé.

Nadia, après avoir réfléchi un instant, me dit : « Euh, en fait, comme tu le dis ici, ce "da, davaï" peut aussi sembler assez enthousiaste ». Et d’ajouter : « Me*de, cette langue russe est d'un compliqué ».

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Il n'y a rien de plus vrai ; si le nouvel alphabet n'effraie pas les étrangers et qu'ils maîtrisent les nombreux cas, le russe a toujours sa dernière ligne de défense : « davaï ». Ce petit mot pourrait être utilisé tout au long du processus d'une soirée en couple :

« Allez ! Faisons l'amour.

- (Soupir) Da davaï ... ».

Au fur et à mesure que les choses progressent et que la personne devient plus intéressée, et n'a plus sommeil, elle pourrait dire : « Ooo DA, davaï ! ».

En fait, ce n'est pas la seule fois que « davaï » peut être utilisé dans la chambre à coucher. Par exemple, Nadia me dit que la personne qui s'est réveillée en premier le lendemain matin pourrait aller préparer le petit-déjeuner, revenir et dire : « Nou davaï vstavaï ouje, pora prossypat'sia » (« Ну давай вставай уже, пора просыпаться » - « Allez, lève-toi ») avant d’ajouter : « Le petit-déjeuner va être froid, davaï idi ech » (« давай иди ешь » - « allez, viens manger »).

Lorsqu'il est utilisé comme « allez », « davaï » est souvent suivi d'un verbe d'action quelconque pour indiquer littéralement tout ce que vous pourriez souhaiter que votre interlocuteur fasse. De cette façon, il est possible de clarifier « davaï » lorsque son utilisation « solo » est trop abrupte pour être comprise. Cependant, lorsque « davaï » est lancé, vous devez toujours être attentif au contexte, car vous risquez de vous noyer dans la mer des significations de « davaï ».

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Dans un bar

Davaï vient du verbe « davat’ » (давать) qui signifie « donner ».

Imaginons que vous êtes avec un ami qui vous dit : « Davaï po pivku » (« Давай по пивку » - « Prenons une bière »). Vous vous retrouvez dans un bar. Vous terminez le premier et demandez à votre ami s'il veut une autre tournée et il dit : « Davaï ». Mais d'abord, il veut une cigarette alors il se lève et lance : « D'abord, fumons une cigarette, davaï, dehors », et, une fois dehors, votre ami se rend compte qu'il a oublié ses cigarettes. « Je peux en avoir une ? », demande-t-il. « Bien sûr », dites-vous. Puis, lorsque vous sortez votre paquet, vous êtes soudainement distrait par une volée de mouettes qui hurlent au-dessus de votre tête : « DAVAÏ, DAVAÏ, DAVAÏ ! ». Quand vous vous retournez vers votre ami, vous vous rendez compte qu'il prononce lui aussi « davaï » en désignant le paquet dans votre main. « Davaï… », susurre-t-il comme pour signifier : « Grouille-toi, mec - il fait froid ici ». Vous reprenez vos esprits et lui en passez une...

Vous finissez vos cigarettes en silence. Votre ami termine le premier, vous mettez trois plombes, et il veut rentrer. « Davaï oujé » (« давай уже », littéralement « allez déjà »), fait-il en montrant votre cigarette. « Magne-toi » : c’est ce qu'il veut dire, alors vous décidez que cet ami est un gars grossier. Alors vous lui dites, après réflexion, que vous voulez rentrer chez vous ; il hausse les épaules et lance : « Vsio, davaï, poka ».(« Всё, давай, пока » - « Bon, allez, au revoir »).

C'est le truc avec « davaï » - ce mot est comme un petit frère malpoli. Il se bouscule toujours entre d'autres mots, se souciant rarement de savoir si quelqu'un l’accepte ou si c'est le bon moment. Les autres mots le tolèrent car les mots sont prisonniers de la bouche et ils n'ont pas vraiment le choix.

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Au téléphone

Vous quittez le bar et, en marchant, vous entendez quelque chose derrière vous. Ça ne peut pas être une autre personne qui dit « davaï », pensez-vous. Et pourtant, si.

Mike Cactus, un habitant de Moscou, explique qu'il l'utilise principalement pour faire bouger quelqu'un devant lui plus rapidement, ou comme une forme d'encouragement décontracté. Donc, si vous marchez, et que vous recevez un appel téléphonique et ralentissez pour répondre, quelqu'un derrière vous pourrait dire : « Davaï-davaï-davaï ! » pour vous faire presser le pas. Ce qui est beaucoup plus gentil qu’à New York, où vous entendrez surtout : « Hé mon pote, dégage du chemin ! ».

Une fois au téléphone, vous pourriez dire à la personne que vous avez des potins à raconter (même si je rencontre rarement des Russes aussi friands de potins que les Américains) et la personne pourrait dire : « Nou davaï » pour signifier « Allez, crache le morceau ». Vous commencez à raconter l'histoire, mais ensuite votre interlocuteur commence à crier sur sa télévision : « DAVAÏ ! DAVAÏ ! DAVAÏ ! ».

Son équipe de football préférée joue et il encourage ainsi son joueur vedette qui vient de s’emparer du ballon sur le terrain pour marquer.

« Je suis tellement fatigué de ce mot ! », hurlez-vous dans le téléphone.

Et votre ami de répondre : « Quel mot ? »

« Davaï ! Mec, davaï ! Je ne peux plus le supporter ».

Et votre ami, supposant que vous lui dites au revoir, vous répond : « Davaï ». Puis il raccroche.

Et là, votre cerveau explose. 

Benjamin Davis est un journaliste américain, auteur de The King of Fu, vivant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a passé une année à travailler avec l’artiste Nikita Klimov sur leur projet Flash-365. À présent, il rédige principalement des micronouvelles magico-réalistes au sujet de la culture russe, des mésaventures autodévalorisantes et des babouchkas, en partageant ses exploits par le biais de l’application Telegram.

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