Au beau milieu du film, Alice – une petite fille de 4 à 5 ans avec deux couettes et vêtue d’une veste rose – se lève et se met à pousser de joyeux cris et à courir dans les rangs. Elle fait le tour de la salle, tout en continuant à crier indistinctement. Son père la suit avec difficulté sans pour autant essayer de lui faire regagner sa place, mais en répétant régulièrement : « Alice, regardons le dessin animé ». Alice n’a nullement l’intention de regarder quoi que ce soit et préfère s’amuser en courant.
Le cinéma KARO 11 Octobre, dans le centre-ville de Moscou, projette le dessin animé Le Monde de Dory. Dans la salle : de 20 à 30 personnes, dont un grand nombre d’enfants. Certains, comme Alice, se lèvent tout à coup et commencent à courir dans la salle et à crier. D’autres, au contraire, sont très sages et suivent avec attention les aventures du petit poisson qui cherche ses parents. Leurs proches seront toujours avec eux parce qu’ils souffrent de troubles du spectre autistique (TSA).
Rejetés par la société
« Quand on va au cinéma, on a toujours un plan B », raconte Natalia qui élève deux enfants : Viktor, souffrant de TSA, et Elia, neurotypique (terme désignant ceux qui ne sont pas atteints de TSA). Le plan B, c’est de quitter la salle avec Victor si celui-ci commence à avoir un comportement anormal par rapport aux autres, laissant Elia regarder le film jusqu’à la fin.
Ces plans B sont chose courante pour tous les parents dont les enfants souffrent d’autisme, car ces derniers vivent dans leur propre monde fragile et réagissent de manière hypersensible à toute intrusion dans leur mode de vie habituel.
« Lorsqu’un enfant avec des problèmes comportementaux se retrouve dans un milieu social, il se heurte en règle général à l’hostilité , indique Maria Bojovitch, directrice du service d’information de Vykhod (Sortie), une fondation d’aide pour trouver des solutions aux problèmes engendrés par l’autisme en Russie. Cet enfant n’a rien de particulier au premier abord, mais il peut se conduire de manière très bizarre », explique l’intéressée. Sans chercher à comprendre, nombreux sont ceux qui commencent à critiquer les parents d’avoir mal élevé leur enfant. Au final, toute la famille préfère rester chez soi, le plus souvent possible, et se retrouve cloîtrée entre quatre murs.
Séance accessible à tous
Les séances inclusives organisées en commun par la fondation Vykhod, les Studios Walt Disney et le réseau de salles KARO font exception à cette triste règle. Personne ne met à la porte les enfants atteints de TSA parce qu’ils crient et courent dans la salle. Le son y est moins élevé que d’habitude, tandis que la luminosité de la salle est plus faible. En outre, les portes de la salle restent ouvertes pour que les enfants puissent sortir et se reposer.
Toutefois, pour les parents de ces enfants, aller au cinéma, même dans une salle où personne ne les regardera d’un mauvais œil, est une véritable épreuve. Etant donné que ces petits ont du mal à sortir de leur train-train quotidien, les parents entament à l’avance des préparatifs en leur exposant « le scénario social » : d’abord on prendra le métro, puis on arrivera au cinéma et on entrera dans la salle. La lumière s’éteindra, mais on n’aura rien à craindre… »
Deux fois par mois, la salle de cinéma Octobre diffuse des films dans le cadre du programme « Autisme. Milieu bienveillant ». « Quand nos principaux partenaires Disney et Vykhod sont venus nous trouver pour nous proposer d’organiser de telles séances dans l’un de nos plus grands cinémas, Octobre, nous avons soutenu leur idée sans hésiter », confie Nick Hluszko, directeur général de KARO. « Nous leur sommes reconnaissants pour ce qu’ils font : nous estimons que c’est très important pour notre culture et nous sommes heureux d’y participer », se félicite le directeur.
Nick Hluszko a ajouté que KARO et ses partenaires prévoyaient de lancer des programmes similaires dans d’autres villes de Russie.
Encore loin de l’inclusion
L’objectif de Maria Bojovitch est d’atteindre l’inclusion, autrement dit, de mettre en place un milieu adapté, dans lequel tout le monde pourra se sentir à l’aise, aussi bien les autistes que les neurotypiques. Au demeurant, les séances qui se déroulent dans le cinéma Octobre sont ouvertes à tout le monde. Mais pour le moment, on n’y trouve que des enfants à TSA et leurs proches.
« Nous vivrons une véritable inclusion quand nous constaterons que les autres [les neurotypiques, ndlr] viennent également dans cette salle. Ils en ont la possibilité car ce n’est pas une manifestation comme celles que nous avons organisées jusqu’ici, uniquement pour les enfants à TSA », explique Maria Bojovitch.
Pour elle, les personnes souffrant de troubles qui affectent les fonctions cérébrales disposent de certaines infrastructures éparpillées ça et là en Russie, mais la société dans son ensemble reste toujours hostile à ces personnes. Même si des progrès sont enregistrés, ils le sont au niveau de certains cinémas, musées et autres endroits qui se déclarent prêts à se joindre au programme « Autisme. Milieu bienveillant » et à garantir le confort de tous les visiteurs et spectateurs, y compris celui de ceux qui souffrent de TSA. « Très lentement, mais nous nous éloignons du point mort », note la directrice du service d’information de Vykhod.
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