Boîtes à bébés : sauver des vies ou détruire la famille ?

Maxim Kimerling / TASS
Le sujet des baby boxes, ces dépôts pour nourrissons abandonnés, soulève une vague de discussions au sein de la société russe. Les partisans constatent que ces boîtes chauffées où les mères en détresse peuvent déposer de manière anonyme leur nouveau-né sauvent des vies, tandis que les détracteurs affirment que cette pratique provoque l’augmentation du nombre d’enfants abandonnés, crée des conditions propices à légaliser la traite des enfants et encourage l’amoralité.

La boîte à bébés chauffée où la mère peut déposer son nouveau-né a sauvé la vie de quatre fillettes et deux garçons dans un hôpital de Krasnodar (sud de la Russie). Le dernier enfant y a été placé le 1er juin, lorsque des pluies diluviennes se déversaient sur la ville. Les médecins soulignent que les nouveau-nés qui se retrouvent à l’intérieur ne courent aucun danger : ils sont recueillis d’abord par le médecin réanimateur et sont soumis ensuite à un bilan de santé complet. Parfois, les mamans se ravisent et établissent la parentalité par le biais de la justice pour reprendre leur enfant.

« Sauvetage de vie » ou « Arme de l’Occident »

Le jour où le dernier bébé a été découvert à l’hôpital de Krasnodar, Elena Mizoulina, membre du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), a déclaré qu’elle soumettrait un projet de loi sur l’interdiction des baby boxes.

Pavel Astakhov, délégué aux droits de l’enfant, estime pour sa part que les boîtes à bébés ouvrent la voie à la traite de ces enfants, qui se retrouvent entre les mains des médecins sans quelque document que ce soit. Qui plus est, la possibilité d’abandonner de façon anonyme son nouveau-né est contraire à la législation nationale, car chaque enfant a le droit de connaître ses parents. D’ailleurs, ce même argument est formulé par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

L’Eglise orthodoxe russe s’élève elle aussi contre ces « tours d’abandon ». L’archiprêtre Dmitri Smirnov a déclaré que la baby box était « une arme de l’Occident visant à détruire la traditionnelle famille russe ».

Mais cette idée est loin de faire l’unanimité.

« La maman a simplement honte »

« Nous avons choisi spécialement un endroit isolé, sans caméras de surveillance afin que cela n’arrête pas la femme qui s’est décidée à cette démarche, a raconté le médecin en chef de l’hôpital de Krasnodar, Nikolaï Bossak. Avant l’installation de ces boîtes à bébés, les nouveau-nés étaient recueillis sur des bancs ou trouvés sur le pas de la porte. Le pire, c’est le bac à ordures, lorsque le bébé se retrouve suffoquant sous un tas de déchets ».

Nikolaï Bossak rappelle qu’il existe également une procédure légale pour abandonner son enfant à la maternité. « Or, psychologiquement, toutes les femmes ne sont pas capables de le faire en présence du médecin en chef et du personnel soignant, de signer tous les documents officiels. Dans chacun des cas, nous devons avoir une conversation avec la jeune mère pour la convaincre de revenir sur sa décision. Pour certaines, c’est insupportable. Ainsi, à ceux qui appellent à laisser le bébé à la maternité au lieu de le déposer dans une boîte semblable, je dirai une chose : la maman a simplement honte », a indiqué Nikolaï Bossak.

Les enfants du dimanche

Les médecins informent immédiatement la police du nouveau-né abandonné et établissent une carte comme pour tout autre patient. Dans les premiers documents officiels, l’enfant est cité comme « inconnu ». Par la suite, les médecins lui donnent un prénom : en règle générale, celui du médecin réanimateur qui les a recueillis pour les garçons et selon le signalement, sur la base d’associations ou du mois de naissance pour les filles.

« Dès que nous déclarons avoir trouvé un enfant, les journalistes nous assaillent de questions sur le prénom. J’explique à tout le monde : inutile d’appeler les premiers jours, le prénom sera choisi plus tard, a-t-il poursuivi. Je vous assure que parfois le sujet soulève d’âpres débats. Fait intéressant : trois enfants ont été abandonnés à des années différentes lors de fêtes : le 31 décembre, le jour de l’Annonciation et lors de la Journée de l’enfance pour le petit dernier. Je me souviens que le bébé est d’habitude enveloppé dans un drap neuf, qu’il porte des langes et a souvent un couvre-chef. Pas de chiffons sales ni de bodys délavés ».

Quatre bébés sur six ont été recueillis dans la boîte par le médecin anesthésiste-réanimateur Igor Katchanov. « Je suis un « chançard » de ce point de vue-là, sourit-il. Ils sont toujours apportés au milieu de la nuit, à l’heure du loup, entre deux et quatre heures du matin. Seul le dernier a été déposé le soir, mais c’était un jour où Krasnodar se noyait sous la pluie ».

Les médecins montrent le fonctionnement de la boîte : ils y déposent une poupée enveloppée d’un drap, celle qui leur sert à s’entraîner aux opérations de réanimation. Un signal spécial fonctionne au premier étage. La baby box donne sur une rue déserte où il est peu probable de croiser qui que ce soit, même en plein jour.

Les médecins font remarquer que les baby box n’ont pas fait grimper le nombre d’enfants abandonnés, mais ont sauvé des vies.

Repères

La première boîte à bébés abandonnés a été ouverte en Russie en septembre 2011 à Sotchi (sud). A l’heure actuelle, le pays en compte une vingtaine. En cinq ans d’existence, elles ont recueilli 50 bébés.n

Texte publié en version abrégée. Le texte intégral (en russe) est disponible sur le site de Gazeta.ru

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