Parti du pouvoir 2.0 : Russie unie fait peau neuve avant les élections

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev tient la parole lors d'une réunion du parti Russie unie à Moscou, le 6 février 2016.

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev tient la parole lors d'une réunion du parti Russie unie à Moscou, le 6 février 2016.

Reuters
La campagne électorale fédérale de 2011 a été la moins réussie de l’histoire du parti Russie unie. Comment le parti au pouvoir russe se prépare-t-il aux élections de 2016 ?

Russie unie, le parti le plus influent de Russie et le plus proche du pouvoir, est confronté pour la première fois à des élections fédérales dans un contexte de déclin économique. Les élections, prévues en septembre 2016, préoccupent déjà les dirigeants du parti.

Russie unie dispose aujourd’hui de la majorité à la Douma (chambre basse du parlement russe) et dans les parlements régionaux, mais les précédentes élections législatives de 2011 ont marqué une rupture dans l’histoire du parti. Accusations de fraudes, manifestations après l’annonce des résultats, et succès du slogan d’opposition « Russie unie, le parti des escrocs et des voleurs » ont porté un coup terrible à sa réputation.

Le jeudi 5 février, Russie unie a entamé un congrès dédié aux élections à venir. L’idée clé en était la solidarité nationale. Le pays est devenu fort non pas quand tout allait bien pour l’économie, « mais quand nous étions solidaires », a fait remarquer dans son discours Dimitri Medvedev, président du parti et premier ministre russe.

La marque des élites

Le modèle que le parti s’est créé et qui lui a joué des tours durant les protestations de 2011 et 2012 s’est formé au fil des années.

Apparu en 2001 suite à la fusion des partis Unité et Patrie – Toute la Russie, Russie unie a largement été le parti des élites régionales. Le bloc précédent, Unité, avait été créé en 1999 sous la bannière du soutien au premier ministre de l’époque Vladimir Poutine et regroupait toute une série de poids lourds régionaux. Selon les experts, la marque Russie unie était censée rapprocher les positions des différents groupes de l’élite régionale de la politique du gouvernement fédéral central. Elle ne prévoyait pas d’unité particulière sur le plan idéologique.

« Historiquement, il existe plusieurs tendances idéologiques au sein du parti. On y trouve une plateforme patriotique (conservatrice) et sociale (centre-gauche), qui correspondent à des fractions internes au parti », a expliqué à RBTH Alexandre Pojalov, directeur des recherches de l’Institut d’études socio-économiques et politiques, proche du Kremlin. Compte tenu de l’extrême faiblesse des partis libéraux russes depuis quinze ans, Russie unie couvre également largement le centre-droit de la politique russe, satisfaisant aussi les exigences des électeurs libéraux. « C’est cette fraction de la classe moyenne qui est apparue dans les années 2000 et se considère comme un soutien du président », explique le politologue.

Pour cette raison, Russie unie n’est pas vraiment un parti politique classique, avec une ligne idéologique claire. Mais à ce titre, c’est le sosie du parti libéral-démocrate au Japon, ou de la CDU/CSU allemande, affirme Dmitri Orlov, directeur général de l’Agence de communication politique et économique.

Le fait que la plupart des listes de Russie unie dans les régions aient été menées par des gouverneurs ou des ministres régionaux lui a valu une étiquette de parti des bureaucrates, du pouvoir exécutif et des fonctionnaires. Cependant, le garant de son succès, sa proximité avec le président Poutine (qui n’y est pas juridiquement lié) et avec la machine administrative, lui permet de se reposer sans crainte sur les leaders. En 2007, le président était tête de liste sur la liste fédérale aux élections législatives, et Russie unie a obtenu un score record de 64,3%, raflant 315 des 450 sièges.

L’objectif n’est pas la majorité

Des partisans du parti communiste manifestent contre les violations aux élections parlementaires le 9 décembre 2011 à Krasnoïarsk (Sibérie). L’inscription : "Nous gagnerons". Crédit : Reuters

Pourtant, ce sont précisément ces « relations dangeureuses » avec la machine administrative et les accusations de détournement de cette dernière qui ont mené à la calamiteuse campagne législative de 2011, quand Russie unie a été pointée du doigt comme l’un des grands maux du pays. Le vote protestataire (« Tout sauf Russie unie ») a permis aux communistes et aux autres représentants de l’opposition parlementaires de faire des scores significatifs.

Mais il n’y a pas de vote protestataire à attendre pour la campagne de 2016. Tout d’abord, l’opposition parlementaire actuelle s’est distinguée par une grande quantité d’initiatives répressives. Finalement, la différence entre l’opposition systémique et Russie unie s’est effacée dans l’esprit des électeurs, les études démontrant que les gens parlent « d’un seul grand parti du pouvoir », raconte Evgueni Mintchenko, directeur de l’Institut international d’expertise politique. De plus, aucune des forces d’opposition parlementaire ne prétend réellement obtenir une majorité, et toutes agissent dans leurs niches électorales respectives.

« Aujourd’hui, en Russie, nous avons un système dit à un parti et demi. Il existe un parti principal au pouvoir, et les autres bénéficient d’un soutien de la société inférieur à celui du parti au pouvoir », explique M. Orlov. Et le sens de leur lutte politique n’est pas la majorité mais l’élargissement de leur niche. « Pour faire une comparaison, Pepsi-Cola ne peut pas battre Coca-Cola. S’il possède 20% du marché, il peut en conquérir encore 1% au maximum ».

Cependant, on ne peut pas dire qu’il n’existe aucune opposition au parlement. Le Parti Communiste, par exemple, n’a jamais voté le budget. « Le budget définit le fond de la politique qui sera menée au cours de l’année à venir. Et refuser de le voter est, dans n’importe quel système politique, la marque principale de l’opposition », considère Dmitri Orlov.

Sortir des couloirs

Des activictes du mouvement de jeunesse pro-Kremlin Nachi (les nôtres) se sont réunis dans le centre de Moscou pour célébrer la victoire du parti Russie unie aux élections parlementaires le 12 décembre 2011. Crédit : EPA

Il semble improbable que Russie unie ait recours à des fraudes massives en 2016 : le résultat de cette campagne est important pour le Kremlin, mais ce n’est pas essentiel. « L’essentiel est de sauvegarder la configuration actuelle, pour que les élections soient remportées par des partis se situant dans le cadre du consensus patriotique », considère M. Mintchenko.

À cet égard, les primaires ouvertes au niveau fédéral, une première pour Russie unie, sont une démonstration d’ouverture par rapport aux arrangements de couloirs pratiqués jusqu’alors.

Lors du même congrès de Russie unie le 5 février, le conseil supérieur du parti a été renouvelé pratiquement au tiers. C’est une tentative de remplacer les poids lourds du parti par des leaders d’opinion (médecins, acteurs, écrivains, bienfaiteurs), un véritable redémarrage de l’élite au pouvoir. « C’est un processus constructif d’évolution de Russie unie. Cela lui ôtera cette image de parti lié à l’appareil d’Etat », affirme Alexandre Pojalov.

La côte de popularité de Russie unie reflète celle du président, et le contexte socio-économique actuel n’a pas encore déteint sur le président. « En revanche, on peut exprimer sa frustration sur le parti au pouvoir. Et c’est le risque pour la campagne électorale », affirme Ekaterina Choulman, doyenne de l’Institut de sciences sociales de l’Académie russe des Sciences.

Dans cette situation, le Kremlin a besoin soit de candidats indépendants, soit d’autonomes soutenus par le Front populaire panrusse (une association supra-partis créée par Poutine en 2011) : ils ne seront pas associés au parti au pouvoir, mais sont tout de même considérés assez loyaux pour qu’une fois élus à la Douma, ils aident à former une majorité pro-gouvernementale.

La côte actuelle du parti varie aux alentours de 50%, et, selon Dimitri Orlov, Russie unie a même une chance de renforcer ses positions à la Douma.

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