En Russie, la grogne des travailleurs monte en puissance

Moscou, Russie, le 30 novembre 2014 : Les medecins protestent contre des licenciements massifs et la fermeture d’hôpitaux.

Moscou, Russie, le 30 novembre 2014 : Les medecins protestent contre des licenciements massifs et la fermeture d’hôpitaux.

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Selon les informations du Centre des droits sociaux et du travail, la Russie est submergée par une vague de protestations : le premier semestre 2015 a pulvérisé le record des sept dernières années dans ce domaine. Toutefois, ni les experts ni le pouvoir ne s’attendent à une explosion sociale.

Le premier semestre de l’année en cours a enregistré un record du nombre de protestations des travailleurs au cours des sept dernières années et demie. Cette conclusion est faite par l’ONG Centre des droits sociaux et du travail dans un compte rendu analytique : « Les six premiers mois de cette année ont été marqués par 189 protestations, soit 45% de plus que l’année dernière, qui avait été jusqu’ici la plus agitée ».

Protestations contre les arriérés de salaires au cosmodrome de Vostotchny, grève des chauffeurs de minibus à Irkoutsk et piquet d’ouvriers à Tcheliabinsk : les travailleurs ont recours à ces mesures en raison de l’impossibilité d’agir dans le cadre d’une procédure juridique normale, estiment les analystes du Centre. Les syndicats n’y sont presque pas présents, c’est un mouvement spontané. Et d’ici la fin de l’année, la Russie vivra un nouvel apogée de protestations, affirment-ils.

Protestation ou jugement

Maria Goubareva, gynécologue de la policlinique №121 de Moscou, a participé à deux grands meetings à la fin de l’année dernière. Les médecins exigeaient alors d’arrêter les licenciements en masse dans leurs rangs et de limoger les fonctionnaires responsables du secteur. « Le gouvernement a alors pris des mesures sous forme de paiements et nous a promis le paradis. Les manifestations se sont calmées. Mais rien n’a changé, les licenciements continuent et les personnels prévoient de tenir de nouveaux meetings. Nous avons d’ores et déjà organisé une grève du zèle. Nous sommes rejoints aujourd’hui par des patients se heurtant à des problèmes, bien que les malades soient une masse inerte ne s’intéressant pas aux salaires des médecins ou à leurs licenciements », a-t-elle fait remarquer.

Toujours d’après le Centre, seuls les ouvriers du bâtiment, de l’industrie et des transports protestent plus souvent que les employés de la santé publique, mais toutes ces manifestations ont un trait commun : les syndicats officiels ne se rangent que très rarement de leur côté. « Le syndicat officiel se trouve entièrement sous l’influence du département de la santé. Je l’ai quitté, car il ne nous défendait jamais. Aujourd’hui, je suis membre du syndicat indépendant Deïstviye (Action) et ce dernier aide les médecins, mais nous sommes si peu nombreux que ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer… », a dit Maria Goubareva.

« J’estime que tous les litiges doivent être réglés par la voie légale, par le biais de la justice », a déclaré pour sa part à RBTH le président de l’Union des automobilistes de Sibérie, Alexeï Chabanov. En avril dernier, les conducteurs de minibus d’Irkoutsk ont refusé de prendre le volant pendant plusieurs jours après que les autorités locales eurent décliné l’idée de majorer les tarifs. Toutefois, le syndicat local n’a pas soutenu le mouvement, le qualifiant de « menées des ennemis géopolitiques ». « Oui, ils (les chauffeurs) subissent des pertes, mais, dans tous les cas, la grève ne règlera pas le problème des tarifs », a affirmé Alexeï Chabanov. Selon lui, les autorités majoreront obligatoirement les tarifs, mais seulement après les élections locales de cet automne. Il faut attendre un peu. Si elles refusent, le syndicat se dit prêt à chercher d’autres instruments « et ce ne sera pas une grève ».

Syndicats d’un genre nouveau

« A l’échelle nationale, les syndicats ne remplissent pas leur mission et ont plutôt tendance à coopérer avec les autorités et le monde des affaires qu’à défendre les intérêts des ouvriers. Ce qui fait que la demande de syndicats efficaces existe », a souligné Rostislav Tourovski, chef du Laboratoire des études politiques régionales de la Haute école d'économie. C’est sans doute grâce à cette demande qu’existe depuis vingt-cinq ans Yedinstvo (Unité), le syndicat indépendant du géant automobile AvtoVAZ qui se qualifie de « syndicat de nouvelle formation » et qui assure qu’il proteste régulièrement, à différentes occasions et sous des formes diverses. « Les violations sont nombreuses en période de crise et les travailleurs se rassemblent d’eux-mêmes pour des manifestations. Ou bien ils fuient AvtoVAZ, ils démissionnent et nul besoin de les licencier. Mais la démission, c’est aussi une forme de protestation révélatrice de tensions sociales qui déboucheront sur une explosion », a-t-il expliqué.

Sur fond de manque de ressources, ni les autorités ni les sociétés ne feront de concessions importantes, affirme Rostislav Tourovski qui estime pourtant qu’une explosion sociale est peu probable. « Tout va mal pour l’instant en ce qui concerne la solidarité des travailleurs. Tôt ou tard, le mouvement de protestation se disperse vu l’absence de perspective et l’impossibilité d’obtenir la matérialisation des revendications, car il n’existe pas de mécanisme politique approprié », a-t-il constaté.

Au niveau fédéral non plus, personne n’attend de confrontation de grande ampleur. « J’ai vu récemment les statistiques du ministère du Travail sur le chômage durant les deux premiers trimestres. Ces données ne confirment pas l’éventualité d’une explosion sociale », a déclaré à RBTH Valéri Riazanski, le président de la commission de politique sociale au Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe). Les statistiques du ministère sont remises par la suite au Service des statistiques de Russie. D’après les données de ce dernier, le pays a enregistré seulement trois grèves au cours du premier semestre de cette année. « Les statistiques officielles ne répertorient sans doute pas tous les cas – pour cela ils doivent être enregistrés (c’est-à-dire qu’il ne faut prendre en compte que les grèves reconnues légitimes par la justice) –, mais je ne pense pas que nous devons nous attendre à une grande tension », a-t-il indiqué. Il a ajouté que les autorités avaient d’ores et déjà prévu « certains amortisseurs ». « A un moment donné, le centre fédéral a remis aux régions certains pouvoirs, notamment financiers et de gestion, parce qu’elles connaissent mieux la situation du marché chez elles. Aujourd’hui, des ressources sont débloquées non seulement pour compenser une absence provisoire d’emploi, mais aussi pour le recyclage ou des travaux publics rémunérés. Des ressources importantes y sont octroyées. Grâce à ces mesures, il sera possible d’atténuer les problèmes qui se dressent aujourd’hui devant l’économie », a-t-il noté pour conclure.

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