Les hôpitaux : un grand corps malade ?

Crédit : Vitali Ragouline

Crédit : Vitali Ragouline

La réforme décidée en 2010 provoque des réactions de rejet. La réduction des effectifs et des hôpitaux est dénoncée par les médecins, qui sont soutenus par une partie de l'opinion publique.

« Nous sommes ici aujourd’hui pour exprimer notre désaccord avec la politique qui est menée ! », assène depuis l’estrade Iouri Lapine, l’un des meilleurs pédiatres de Russie. Devant lui, des manifestants portant des banderoles et des tracts scandent : « Honte ! ».

Le plus important meeting de ces dernières années s’est tenu dans la capitale en novembre dernier, sous les cris de « Stop à l’effondrement de la médecine à Moscou » et a rassemblé, selon les diverses estimations, entre 4 000 et 6 000 personnes, mobilisées contre la réforme de la santé en Russie.

La réforme est annoncée en avril 2010 par Vladimir Poutine, à l’époque Premier ministre. Elle vise à investir massivement dans le secteur et à préparer sa mutation vers un nouveau modèle d’assurance maladie. Pour améliorer la qualité et l’accès aux soins, la réforme prévoit l’achat d’équipements modernes et la chasse au gaspi. 

Ce nouveau modèle suggère que toute personne souhaitant bénéficier de soins médicaux gratuits doit être inscrite sur les registres du système de l’assurance maladie obligatoire (CMU) et disposer d’un numéro d’assurance.

Ce dernier donne le droit au patient de choisir son établissement de soin, son médecin traitant et sa compagnie d’assurance, qui devra payer les soins prescrits sur ordonnance. Tout service supplémentaire restera à la charge du patient.

Avant la réforme, les établissements médicaux étaient en grande partie financés directement par le budget fédéral, régional et municipal. Désormais, seul le Fonds de la CMU sera habilité à leur allouer de l’argent, récolté à partir des prélèvements sociaux.

En octobre 2014, un site d’information médicale a publié le plan du Département de la santé de la ville de Moscou, qui prévoit la fermeture de 28 centres médicaux et le licenciement de 5 000 employés du corps médical. Une décision qui a déclenché la colère des médecins et les a incités à descendre dans la rue.

L’opacité du processus de réorganisation irrite également beaucoup.

« Depuis 2011, certains établissements médicaux sont élargis. Tout a commencé avec les clini-ques pour enfants, puis, les cliniques pour adultes, pour finir avec les hôpitaux. Mais comme tout se fait en secret et qu’aucun détail n’est donné sur le pourquoi de la fermeture de tel ou tel établissement, il n’y a eu aucune réaction de la part de la société civile. Les protestations n’ont commencé que lorsque les gens ont vu de leurs propres yeux qu'on fermait des dizaines de centres et qu'on licenciait des centaines de personnes », a raconté à RBTH Alexandre Averiuchkin, l’un des organisateurs de la manifestation de Moscou. 

S'exprimant sur la chaîne télévisée Moscou-24, le responsable du Département de la santé de la ville de Moscou Alexeï Khripoun explique que le but de la réforme n’est pas de fermer des établissements de soins, mais de trouver un nouvel équilibre : « Pendant des décennies, un déséquilibre s’est créé entre la quantité de soins dispensés dans les hôpitaux et ceux dispensés dans les cliniques. La partie principale des ressources diagnostiques et thérapeutiques se concentrait dans les hôpitaux, c’est pourquoi les hospitalisations étaient devenues quasi-systématiques ».

Les experts interrogés par RBTH confirment que le problème est bien réel.

« Aucun médecin ne veut travailler en polyclinique, tout le monde veut aller à l’hôpital. Là-bas, le travail est plus intéressant, on rencontre des cas plus sérieux, et les salaires sont plus généreux », souligne David Melik-Gusseïnov, directeur du Centre pour l’Économie sociale, un partenariat à but non lucratif.

« Mais entretenir autant de praticiens hospitaliers revient cher. Or ils ne sont nécessaires qu’en cas d'urgence ».

Selon Alexeï Khripoun, les cliniques disposent maintenant de tous les équipements modernes nécessaires pour poser n’importe quel diagnostic. Il n’y a donc plus de nécessité de garder tous ces hôpitaux. Des arguments qui laissent les médecins perplexes.

Chiffres clés

9000€ - le montant de la compensation qui sera versée aux médecins moscovites licenciés à cause de la réforme de la santé.

51ème - la position de la Russie dans le classement mondial de l’efficacité des systèmes de santé Bloomberg.

« On ferme en premier lieu des hôpitaux spécialisés. Il y a deux ans, deux hôpitaux spécialisés en maladies infectieuses ont été fermés. Dans le premier, le service de pneumologie était hautement qualifié. Demandez désormais dans quel service être redirigé... Vous n’en trouverez pas un comme celui-ci dans tout Moscou. Quand au second, il était spécialisé dans les maladies rares de la peau. On y recevait des enfants qui n’avaient pas les moyens d’aller dans des cliniques privées », regrette Alexandre Averiuchkin. 

La chambre basse du parlement russe a déjà répondu à l’appel du corps médical et a présenté un projet de loi qui prévoit la création de commissions publiques dans chaque sujet de la Fédération, capables de décider quel établissement peut être réduit ou non.

« Si la loi est adoptée, le plan de réduction des hôpitaux moscovites dans son état actuel pourra être révisé », affirme l’un des auteurs du document, le président du Comité de la Douma pour la santé Sergueï Kalachnikov. 

La réforme pourrait être moins douloureuse si les « réformateurs » étaient plus cohérents dans leurs actions, estiment plusieurs interlocuteurs de RBTH.

« On ne peut pas mener une telle réforme rapidement. Si la réduction des hôpitaux doit permettre le renforcement des polycliniques, les médecins auraient également dû y être transférés. Pour l’instant, ce n’est pas ce qui se passe. Les hôpitaux ferment, mais aucune alternative de type ambulatoire n’est pour l’instant proposée », selon Kirill Danichevski, professeur à la Haute École Économie. 

Pour Melik-Gusseïnov, ce qui se passe actuellement à Moscou est « un épisode très douloureux qui intervient en pleine transition d’un système budgétaire vers un système d’assurance obligatoire » financé par des prélèvements sociaux.

Kirill Danishevski assure que pour l’instant, aucune des principales dispositions de la réforme n’ont été vraiment mises en place : le jeu de la concurrence entre les compagnies d’assurances n’a pas encore commencé, on ne voit pas encore de propositions mettant en avant les avantages et les bénéfices des prestations.

« Sans cela, aucun modèle d’assurance obligatoire ne peut montrer sa supériorité face à un modèle budgétaire », pense l’expert. « On essaie de transférer le système vers un autofinancement, mais c’est impossible, car la médecine est un secteur qui nécessite de gros investissements et n'est pas rentable », souligne Alexandre Averiuchkin.

Le gouvernement saura-t-il trouver un équilibre entre les économies budgétaires et la protection sociale ?

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