Lorsqu’en 2011, des manifestations de protestation contre l’autocratie de la minorité religieuse conduite par Bachar el-Assad ont embrasé la Syrie, les opinions au sujet de l’avenir du pays étaient partagées.
En Occident, en Turquie et dans les pays du Golfe, les commentateurs s’attendaient à une chute rapide du régime de Damas selon le scénario tunisien (révolte intérieure) ou le schéma libyen (ingérence extérieure). La Russie insistait, de son côté, sur la particularité du cas syrien, avec la composition hétérogène de sa population, son armée apte au combat, sa classe au pouvoir consolidée et le puissant soutien de l’Iran. Et concluait que « l’effet domino » serait pour le moins interrompu en Syrie.
L’évolution de la situation a démontré que Moscou avait une meilleure compréhension la situation en Syrie. La position de la Russie – en faveur des autorités officielles de Damas et résolument opposée à toute ingérence étrangère – si elle ne s’est pas révélée « gagnante », était du moins la plus conséquente.
La Syrie n’est plus ce qu’elle était
Entre 2011 et 2015, la situation dans le pays s’est bien sûr dégradée, mais a fait mentir ceux qui misaient sur un effondrement révolutionnaire inévitable. Beaucoup de choses se sont produites depuis, notamment une guerre qui a failli commencer, avant que les Etats-Unis se ravisent, une opération de démantèlement des armes chimiques qui s’est déroulée sans anicroche, des tentatives incessantes d’unir l’opposition et de trouver une plateforme commune entre les partisans et les détracteurs de Bachar el-Assad.
La brusque apparition de l’Etat islamique (EI) a changé la donne. La Syrie n’est plus ce qu’elle était et la question de son maintien sous une forme quelconque reste ouverte.
Trop d’acteurs en jeu
Les données indirectes sur l’intensification du soutien militaire de Damas par Moscou permettent d’estimer que la Russie a décidé de s’impliquer davantage dans la crise. La situation en Syrie est embrouillée à l’extrême, tous les acteurs étant entraînés dans différents conflits. Les forces du régime d’Assad contre l’Etat islamique et ce qui est qualifié d’ « opposition modérée ». L’Etat islamique contre Assad et l’opposition. L’opposition contre tous. Et c’est sans compter, par exemple, les Kurdes menant leur propre guerre contre la Turquie qui, sous prétexte de combattre l’EI (groupe officiellement interdit en Russie – RBTH), tente de régler le problème kurde.
Supposer que cette mélasse politique et militaire puisse résorber le conflit syrien relève d’un optimisme désespéré et incompréhensible. D’autant plus que les acteurs étrangers ne sont toujours pas arrivés à une position commune. Il ne peut y avoir actuellement de « victoire » en Syrie, comme d’ailleurs dans l’ensemble du Proche-Orient. Les diplomates russes ont toujours expliqué que le problème n’était pas Assad, mais les principes (« ne pas s’ingérer », « d’abord, ne pas nuire ») et que l’objectif numéro un était de maintenir le statu quo. Cette politique a échoué, car il n’existe plus de statu quo en Syrie.
La chute de la capitale syrienne devant les forces de l’EI signifiera que le monde moderne abandonne irréversiblement le Proche-Orient. Les dizaines et les centaines de milliers de réfugiés qui fuient en Europe l’ont d’ailleurs compris : une population aux goûts modernes n’a rien à faire là où flotte le drapeau noir de l’EI.
Moscou prend des risques, mais devrait être soutenu
Dans quel cas les efforts russes pourraient porter leurs fruits ? En termes réalistes, en cas de la création de fait d’une sorte d’« Israël alaouite », une enclave capable de se défendre avec le soutien de l’étranger pour constituer un obstacle à l’expansion incontrôlée de l’EI. L’exemple est schématique, mais le mécanisme très ressemblant.
Les contacts diplomatiques intenses de l’été dernier, lorsque Moscou a accueilli plusieurs personnalités du Proche-Orient, permettent de supposer que les activités actuelles de la Russie ne sont pas une surprise. Objectivement, la disposition de Moscou à prendre des risques au nom d’un « Israël alaouite » profite à tout le monde, excepté l’Etat islamique. Toutefois, les leaders occidentaux expriment à tour de rôle leur mécontentement et leur préoccupation face à la présence militaire croissante de la Russie en Syrie, bien que le premier ministre britannique, David Cameron, ait exhorté, par exemple, à venir à bout de l’EI.
A supposer que la défaite de l’EI soit possible et qu’elle soit suivie d’une lutte pour le contrôle de la Syrie, les appréhensions de l’Occident sont justifiées : il ne veut surtout pas que la Russie prétende à un rôle clé dans la future Syrie. Toutefois, le scénario de loin le plus probable n’est pas la défaite de l’EI face à une coalition internationale ni la renaissance de la Syrie sur une nouvelle base, mais le regroupement des adversaires des islamistes sur des territoires limités et la poursuite d’une lutte éreintante pour la survie.
Dans ce cas, l’Occident aurait intérêt à ne pas empêcher la Russie d’agir, et devrait même l’encourager. Cependant, l’histoire nouvelle du Proche-Orient et l’attitude envers la région des forces extérieures prouvent que ces dernières ont pratiquement perdu la capacité d’analyser la situation sans parti pris idéologique, et sans émotions personnelles.
Texte publié sur le site de Gazeta.ru
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