Aujourd’hui Katia mène presque la même vie que des milliers de jeunes femmes à Moscou : études, travail, enseignement d’anglais et d’arabe en cours privés. Pendant son temps libre, sport et boîtes de nuit.
Pourtant, il y a à peine trois ans, elle vivait dans un autre pays et sa vie était très différente. Puis, une guerre a éclaté. Fuyant le conflit qui a chamboulé sa vie ainsi que celle des millions de ses concitoyens, elle a décidé en 2014 de venir dans le pays de sa mère, en Russie.
En Syrie, Katia Toama, qui a aujourd’hui 31 ans, travaillait dans une compagnie d’assurance et étudiait en troisième année de littérature anglaise. Pensait-elle venir un jour en Russie ? En tant que touriste, pas plus. Elle se plaisait bien en Syrie : elle vivait dans un des plus anciens quartiers de Damas, à deux pas des principaux joyaux de cette ville ancienne, et avait beaucoup d’amis.
Quand le conflit a éclaté, Katia a longtemps espéré que tout s’arrangerait. La guerre n’a effectivement pas atteint Damas tout de suite : d’abord, la ville a connu des coupures de courant, puis des pénuries de carburant. Damas était de plus en plus secouée par des explosions, les échanges de tirs s’approchaient petit à petit, puis des milliers de réfugiés ont inondé les rues.
Malgré tout, Katia continuait à promener son chien tous les matins, allait au travail à pied et à l’université, déambulant dans les petites ruelles historiques, et retrouvait ses amis le soir dans les cafés. Son père la suppliait de partir, mais Katia espérait toujours que tout se calmerait. Un jour, un obus de mortier est tombé dans la cour de sa maison. C’était un signe, ou plutôt la goutte qui fait déborder le vase. Le lendemain, Katia a décidé de quitter la Syrie.
Source : Archives personnelles
C’était son premier déplacement en Russie. Une fois passées les premières semaines avec leurs visites et découvertes émouvantes, la jeune femme a dû s’attaquer à une nouvelle vie et s’y forger une place. Et c’est là qu’elle a rencontré des tas de problèmes, allant de la barrière linguistique aux difficultés à trouver un travail.
« C’était très étrange, avec mes dix ans d’expérience, je n’étais pas demandée : l’absence d’expérience officielle en Russie était considérée comme une absence totale de compétences », se souvient Katia.
« J’avais un fort accent, car à la maison, nous ne parlions que l’arabe. Mon accent préoccupait toujours mes interlocuteurs. Dès que je disais que je venais de Syrie, j’étais bombardée de questions et je devais les convaincre que oui, je vivais une vie normale en Syrie, je travaillais, j’étais chrétienne, j’étais citoyenne russe comme eux et que l’État ne m’apportait aucun soutien social – ils pensaient que j’étais venue vivre la belle vie sur le dos des contribuables russes », se souvient-elle.
Aujourd’hui, c’est du passé. Après six mois de vie en Russie, Katia a su s’adapter, trouver un travail et s’inscrire à l’université, quoiqu’en première année. « J’ai dû tout recommencer à zéro, mais je ne me plains pas », explique Katia. La jeune femme dit que ses collègues et professeurs la soutiennent beaucoup.
Rêve-t-elle de retourner un jour en Syrie ? « Non, je ne peux pas tout recommencer une nouvelle fois », avoue Katia.
Fadi Saleh, 29 ans, journaliste de la chaîne RT, au contraire, n’exclut pas de retourner un jour en Syrie. La guerre dans son pays a été une sorte d’impulsion pour lui – il avait toujours voulu aller faire ses études de troisième cycle en Russie, la guerre n’ayant fait que confirmer ses projets.
Source : Archives personnelles
La lourdeur bureaucratique a été le premier problème auquel Fadi a été confronté – il a dû obtenir les papiers nécessaires pour vivre en Russie, car ses parents n’avaient pas pris soin de lui demander la nationalité russe (sa mère est russe, ndlr). Deux ans plus tard, il est enfin parvenu à obtenir un permis de séjour, mais il ne pourra devenir citoyen russe que dans cinq ans. « C’est dommage que les Russes à moitié comme moi ne puissions pas bénéficier d’une procédure simplifiée », regrette Fadi.
Autre difficulté – la différence des mentalités. Bien qu’il soit à moitié Russe, Fadi a grandi en Syrie. Pourtant, il lui a fallu un an et demi pour s’adapter à son nouvel environnement. Aujourd’hui, il achève son master à l’École des hautes études en sciences économiques et poursuit parallèlement sa carrière de journaliste qu’il avait entamée encore en Syrie. Amis, campus, travail – il a tout ce qu’il faut.
« Qui aurait imaginé que la guerre nous apprendrait à aimer la maison ? »
Mariam Hassan (nom modifié), 45 ans, est arrivée en Russie en 2013 avec ses deux enfants. « Je m’attendais à retrouver la bonne vieille Russie que j’avais connue dans les années 1970-1980, mais la société et les mœurs ont changé – les gens sont aujourd’hui beaucoup plus durs », déplore-t-elle.
Les enfants n’ont pas eu de problèmes – ils parlent russe et ont la nationalité russe et ont donc pu intégrer l’école immédiatement. Mariam, en revanche, a eu plus de mal. « Je suis médecin et vous pouvez imaginer à quel point il est difficile pour un médecin avec un diplôme étranger de le faire valider. Cela m’a pris des longs mois, on me demandait des documents qui n’existent même pas en Syrie », explique Mariam.
Au final, tout s’est arrangé : elle a trouvé un travail, des clients, les enfants se sont bien intégrés… Pourtant, deux ans et demi plus tard, Maryam a fait ses valises et est retournée en Syrie. Qu’est-ce qui l’a poussée à y retourner avec ses enfants en plein milieu la guerre ?
« D’abord, mon mari. Il ne peut pas venir en Russie, car il n’a pas la nationalité et ne parle pas le russe, et il n’aurait jamais accepté de venir ici pour ne rien faire », raconte Mariam. L'absence de logement en Russie a été un autre facteur. Pendant deux ans, elle a essayé d’obtenir un logement social, mais ses efforts ont été vains – le Service fédéral des migrations refusait catégoriquement toute assistance.
Mariam explique être venue en Russie uniquement pour les enfants. « Sans eux, je n’aurais jamais songé à partir et serais restée en Syrie. Qui aurait pu imaginer que la guerre nous apprendrait à aimer la maison ? ».
Le conflit en Syrie a éclaté en 2011. Il a coûté, selon les estimations de l’ONU, la vie à plus de 250 000 personnes et poussé des millions d’autres à quitter leurs foyer. Le nombre de réfugié syriens officiellement enregistrés est de 4,8 millions de personnes.
Au début de la guerre, plus de 100 000 citoyens russes vivaient en Syrie. Plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient des racines russes, généralement, par leur mère. Le nombre exact desm familles russo-syriennes mixtes n’est pas connu. Russian World et Rossotroudnitchestvo nous ont expliqué que cette statistique est difficile à établir, car les membres de ces familles ont majoritairement la nationalité syrienne et que, par ailleurs, de nombreux ressortissants russophones des pays de l’ex-URSS vivent en Syrie et sont souvent confondus avec les Russes. Avant la guerre, les familles russo-syriennes vivaient principalement dans les grandes villes syriennes – Damas, Alep, Homs, Tartous et Lattaquié.
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