L’été syrien de la Russie : quel bilan ?

Moscou, le 1er août 2016 : Sergueï Roudskoï, chef du Commandement opérationnel principal de l'Etat-major général russe, parle aux médias sur des combats autour d'Alep.

Moscou, le 1er août 2016 : Sergueï Roudskoï, chef du Commandement opérationnel principal de l'Etat-major général russe, parle aux médias sur des combats autour d'Alep.

AP
Cet été, l’objectif numéro un de la Russie, comme celui de l’armée du président syrien Bachar el-Assad, était la prise d’Alep (nord-ouest de la Syrie) qui était capable de décider de l’issue de la guerre. Parallèlement, sur fond d’interruption du dialogue russo-américain sur la Syrie, Moscou développe sa coopération avec les acteurs régionaux du Proche-Orient : la Turquie, l’Iran et Israël.

Après la libération de Palmyre en mars dernier, la Russie et l’armée de Bachar el-Assad devaient décider dans quel sens avancer. Elles voyaient s’ouvrir devant elles deux directions : progresser vers Raqqa, le fief de Daech (organisation terroriste interdite en Russie) ou se concentrer sur Alep, la deuxième ville de Syrie après Damas. Les combats entre l’armée syrienne et les extrémistes, notamment les membres du Front al-Nosra, s’y déroulent depuis 2012.

Les mois d’été montrent que la Russie et ses alliés syriens ont opté en faveur de la seconde direction. Début juin, l’armée syrienne a lancé une offensive dans le gouvernorat de Raqqa, en vain. Après quoi Damas et Moscou ont définitivement concentré leurs efforts sur Alep en laissant la prise de Raqqa aux Occidentaux et leur allié, la coalition Forces démocratiques syriennes regroupant principalement des Kurdes.

« Stalingradsyrien »

Selon Evgueni Satanovski, président de l’Institut du Proche-Orient, la Russie et Assad ont fait le bon choix, étant donné qu’Alep tient un rôle crucial dans le contrôle du nord de la Syrie. « C’est Alep qui constitue la clé ouvrant la porte de la paix, a-t-il affirmé. Après sa prise, il sera encore nécessaire d’assurer le nettoyage (du gouvernorat) d’Idleb et de combattre Daech à Raqqa. Mais en gros, Alep est à la guerre en Syrie ce qu’était Stalingrad à la Seconde Guerre mondiale : la bataille décisive où la victoire marquera un tournant dans la lutte contre les islamistes ».

Pour l’arabisant Vladimir Akhmedov, de l’Institut d’orientalisme de l’Académie des sciences, la Russie a eu entièrement raison de s’abstenir de lancer l’offensive sur Raqqa. « L’opération à Raqqa, c’est l’affaire des Américains et, en fait, la poursuite de leur combat contre Daech en Irak, a-t-il déclaré. Par leur invasion irresponsable en Irak en 2003, les Etats-Unis ont malgré eux contribué à la formation de Daech. Il est donc logique qu’ils tentent aujourd’hui de remédier à la situation, notamment à Raqqa ». L’armée syrienne, bien que soutenue par la Russie, ne possède pas actuellement les ressources nécessaires pour lutter sur les deux fronts, a-t-il constaté.                     

Lutte contre les terroristes

Evgueni Satanovski est certain qu’à Alep, les troupes de Bachar el-Assad font face à des forces terroristes qui ne diffèrent pratiquement en rien de Daech, avant tout au Front al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda, ndlr). Cette idée est confirmée par des responsables du ministère russe de la Défense qui ont plus d’une fois critiqué les Etats-Unis pour avoir refusé de mettre à leur disposition la liste de l’opposition modérée.

« Nous espérons toujours recevoir de la part de nos collègues américains les coordonnées des régions où stationnent les formations de l’opposition modérée, a indiqué le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, dans sa déclaration du 28 juillet. Nous souhaiterions comprendre ce que représentent ces groupes ».

Pour l’instant, l’issue de la bataille pour Alep n’est pas évidente. Fin juillet, l’armée de Bachar el-Assad a réussi à encercler les quartiers contrôlés par les extrémistes en les coupant de leurs sources de ravitaillement, mais à l’issue d’une contre-offensive, début août, les forces de l’opposition comprenant des islamistes radicaux ont réussi à percer l’encerclement. La lutte pour Alep se poursuit.

Leseffortshumanitaires

Parallèlement au soutien de l’offensive de l’armée syrienne, la Russie déploie des efforts pour protéger les civils. Après que l’armée syrienne eut encerclé Alep, des couloirs humanitaires ont été mis en place à l’initiative de la Russie. Par ces couloirs, les habitants ont pu quitter la ville et recevoir une aide humanitaire. En outre, après l’appel lancé par Sergueï Choïgou, le président syrien a décidé d’amnistier les rebelles prêts à déposer les armes.

En outre, après la reprise des hostilités à Alep, Moscou a soutenu la proposition des Nations unies sur l’introduction d’une trêve de 48 heures dans les combats pour permettre l’acheminement de nourriture et de médicaments dans la ville. Vladimir Akhmedov fait remarquer que des initiatives semblables sont entièrement conformes à la stratégie russe en Syrie : « Notre objectif essentiel est de préserver les institutions publiques qui serviront de base au redressement du pays ». Les initiatives humanitaires permettront, selon lui, de rétablir l’unité de l’Etat.

L’impasse de Genève

La reprise des combats à Alep a fait monter le ton dans la polémique entre la Russie et les Etats-Unis, les deux principaux sponsors du processus de Genève axé sur une résolution pacifique de la crise. Répondant aux accusations du président américain Barack Obama sur le soutien du « régime-assassin » syrien, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a noté que la Russie et les Etats-Unis avaient « des différends conceptuels » sur la Syrie et que, cherchant à renverser Assad à n’importe quel prix, Washington n’avait rien fait pour mettre fin au conflit en Syrie.

« Il est évident que les négociations de Genève se trouvent dans une impasse. Mais ne l’étaient-elles pas déjà ? se demande Evgueni Satanovski. Leur unique objectif est de permettre d’échanger des arguments entre les négociateurs russes et occidentaux qui occupent des positions diamétralement opposées. Pour ne pas se disputer définitivement et montrer à tout le monde : on se parle ».

Dans le même temps, le dialogue entre la Russie et les Etats-Unis se poursuit, comme confirmé par les services diplomatiques des deux pays.

Bond en avant dans les relations avec l’Iran

La Russie a intensifié ces derniers mois sa coopération avec les grands acteurs du Proche-Orient, avant tout l’Iran et la Turquie. L’Iran a autorisé l’aviation russe à utiliser la base de Hamedan et lui a ouvert (à l’instar de l’Irak) son espace aérien pour porter des frappes contre les extrémistes. Vladimir Akhmedov rappelle le caractère unique de cette décision : depuis la Révolution islamique de 1979, l’Iran n’a jamais permis à des étrangers d’avoir accès à ses infrastructures militaires.

« Je ne suis pas sûr que les Iraniens mettent à notre disposition leur aéroport militaire sur une base permanente, souligne-t-il. Mais si c’est le cas, cela signifiera une grande victoire de la Russie et l’établissement d’un partenariat stratégique ». Toujours d’après Vladimir Akhmedov, la base iranienne, « associée » aux bases syriennes de Hmeimim et Tartous, pourrait former une tête de pont stratégique de la Russie au Proche-Orient. Pour l’instant, on constate le renforcement de la coalition quadripartite en lutte contre le terrorisme : Russie, Syrie, Iran et Irak, a-t-il indiqué.

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