Le 13 décembre 2015. Après deux heures de combats, la ville irakienne de Sinjar a été libérée de Daech.
AFP / East NewsL’année 2015 aura vu la planète confrontée à des défis qui pâlissent en comparaison de la menace existentielle posée par la montée des extrémistes religieux au Proche-Orient. Le fondamentalisme islamique ne se limite d’ailleurs pas à la région – les débordements du terrorisme se sont fait sentir sur tous les continents. Ce sont trois coalitions, au lieu d’une, qui s’étaient formées en fin d’année pour combattre un ennemi commun, Daech (interdit en Russie). À celle menée par les États-Unis s’est ajoutée l’alliance dirigée par la Russie aux côtés de la Syrie, de l’Iran et de l’Irak. Récemment, l’Arabie saoudite a annoncé la formation d’un troisième groupement, celui-là réunissant des nations islamiques. L’idée d’une « union » mondiale de pays « responsables » visant à combattre les djihadistes s’est évaporée.
Pour de nouvelles règles du jeu
Dmitri Polikanov, collaborateur du Centre d’études politiques, un groupe de réflexion indépendant installé à Moscou, considère qu’il n’y a pas lieu d’être alarmiste : « Daech peut provoquer le chaos mondial. Mais il ne sera pas capable d’unir toutes les forces extrémistes du monde, ni même des pays islamiques. Le danger, c’est qu’on a affaire à des organisations-réseaux qui disposent de petits groupuscules actifs dans différents pays musulmans ».
Ne s’agissant pas pour le moment d’une internationale du terrorisme, Daech n’est pas en mesure de « faire sauter le monde », tempère l’expert, mais a les moyens de nuire par le bais des activités illicites auxquelles il se livre, telles que le blanchiment d’argent, la contrebande et le trafic des stupéfiants, tout en provoquant des phénomènes indésirables comme une migration incontrôlable.
La gestion de ces problèmes exige de nouvelles « règles du jeu », selon M. Poliakanov. « Les principaux acteurs doivent se mettre autour d’une table pour formuler ces règles. Quand nos partenaires disent "tout va bien, nous avons les accords d’Helsinki, nous avons les principes de la Charte de l’ONU", c’est une illusion. Le monde a changé. Les interprétations des principes fondamentaux divergent. Nous avons besoin d’un consensus global sur le nouvel ordre mondial qui se dessine ».
Or, pour le moment, ce « consensus » n’existe pas. Le désir instinctif de simplifier les arcanes de la politique étrangère nous pousse à juxtaposer l’« ordre » mondial et le « chaos » et à juger les événements de 2015 à l’aune de ces deux étalons.
Anton Fediachine, directeur de l’institut de culture et d’histoire russe à l’université américaine Carmel, met en garde contre la simplification excessive.
« À mon avis, ce à quoi nous avons assisté avant tout, ce n’est pas une bataille entre l’ordre et le chaos, mais l’implosion de l’unilatéralisme américain et occidental. Quand un système passablement stable commence à se désagréger, le chaos est inévitable et c’est ce qui est en train de se passer. Ce qui est remarquable, c’est que le démantèlement de l’ordre en place s’est joué sur le théâtre du Proche-Orient. C’est malheureusement l’œuvre des États-Unis qui, avec l’invasion de l’Irak, ont ouvert la boîte de Pandore », estime l’expert.
Selon M. Fediachine, nous assistons à un déplacement des principaux centres politiques qui ne sont plus ancrés à l’Ouest mais se répartissent désormais sur toute la planète. Jusqu’où et pour quel résultat : trop tôt pour le dire.
Quel nouvel ordre mondial ?
Les priorités dans la définition des défis mondiaux ont changé au fil des ans : à la menace de l’anéantissement nucléaire ont succédé la frustration générée par le sous-développement économique et social, puis les effets destructeurs du changement climatique. Daech semble s’imposer aujourd’hui comme une menace universelle dans tous les esprits. À la question de savoir si cette menace est susceptible d’unir ce que l’on considère comme le monde civilisé, M. Fediachine répond que « Daech est le plus grand test quant à la capacité du monde, dans ce kaléidoscope géopolitique changeant, à trouver un langage commun sur la tactique comme sur la stratégie. Ce sont ces détails qui détermineront si le monde civilisé sera capable de contenir cette force maléfique ».
La tournure pour le pire qu’ont prise en 2015 les événements dans les zones de conflit a enraciné la notion de « désordre » entretenue par les extrémistes. La question est de savoir si ces forces destructrices qui se nourrissent du chaos vont redéfinir l’ordre mondial. Ce n’est pas une théorie abstraite, mais un défi majeur pour la défense des valeurs démocratiques et de notre mode de vie.
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