«La Russie doit oublier qu’elle a du pétrole»

Sir Christopher A. Pissarides.

Sir Christopher A. Pissarides.

Reuters
Alors que les marchés du travail changent à travers le monde et que les cols blancs comme les cols bleus perdent leurs emplois, RBTH s’est entretenu avec Sir Christopher A. Pissarides, Prix Nobel d’économie 2010, sur les moyens qu’à la Russie de sortir de la crise et de relever le défi de la révolution robotique. Dr Pissarides s’est rendu en Russie sur invitation spéciale de l’Université des finances du gouvernement russe.

Récemment, de nouvelles start-ups ont donné naissance au phénomène appelé « uberisation » ou «  économie du partage ». Comment le phénomène Uber influence-t-il le marché du travail ?

L’uberisation réveille l’esprit entrepreneurial chez les gens ce qui, par le passé, n’était pas possible. C’est un développement très sain, car il permet aux populations de se rendre compte que le marché recèle de nombreuses opportunités.

La structure légale leur permet désormais de gagner de l’argent et d’utiliser leur esprit entrepreneurial. Dire cela pourrait me rendre impopulaire, mais c’est une bonne chose, car cela crée de nouveaux emplois plus intéressants. L’économie traverse constamment des changements structurels et nous ne devons jamais regarder en arrière.

Outre Uber et d’autres start-ups, la robotique bouleverse également les marchés du travail à travers le monde. Peut-on dire que la révolution s’est déjà étendue du secteur des cols bleus à celui des cols blancs ?

C’est une évolution fascinante et l’un des plus grands changements que nous observons depuis l’industrialisation et le déclin de l’agriculture. Le marché du travail n’a jamais subi un choc de cette ampleur, car par le passé, lorsque la technologie détruisait des emplois, il s’agissait surtout d’emplois peu qualifiés : il suffisait donc de renforcer l’éducation.

Désormais, les cols blancs sont également touchés. Au fond, on détruit les emplois de gestionnaires intermédiaires auxquels aspirent les diplômés d’universités et ces emplois commencent à manquer. Vous pouvez observer cela dans tous les domaines, même dans le journalisme et dans les universités.

La Russie pourrait-elle devenir un territoire recherché pour la production avec la baisse des coûts de la main-d’œuvre entraînée par la chute du rouble ? Nous pouvons embaucher plus de personnes pour le même montant en dollars et créer des productions plus rentables pour les marques internationales.

Cela y contribue évidemment, mais je ne pense pas que la Russie sera considérée, à moyen ou long terme, comme une économie à bas salaires où les entreprises étrangères voudraient installer leurs usines.

Les entreprises étrangères sont particulièrement attentives à l’environnement du marché du travail. Le coût de la main-d’œuvre est un aspect, mais la productivité des ouvriers russes et la volonté de l’État de soutenir le marché du travail par une législation flexible sont bien plus importantes.

Actuellement, le taux de chômage en Russie est très bas – 5.4%. Pensez-vous que cela témoigne de quelque chose dans notre économie ou sommes-nous une économie étrange ?

Oui, étrange est le bon terme lorsqu’on étudie le chômage russe. Certaines structures du marché du travail sont complètement différentes et vous donnent une autre notion du chômage que, par exemple, en Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne. En Russie, le soutien que le gouvernement apporte aux chômeurs est très limité, c’est une mauvaise politique qui maintient un taux de chômage faible de façon incorrecte. 

Vous connaissez plusieurs pays qui sont parvenus à transformer leurs économies pour passer de l’exportation et la production de pétrole à une économie plutôt fondée sur le secteur primaire. Existe-t-il d’autres modèles qui pourraient être applicables à la situation russe ?

Le succès que tout le monde connaît est celui de la Norvège, mais il ne faut pas oublier le Chili et l’Australie. Pour le faire, il faut oublier que vous avez ces ressources à court terme. Il faut extraire ces ressources et les vendre au monde extérieur, tout en comprenant qu’il y a aussi le long terme.

Et donc, investissez l’argent provenant de ces ressources dans un fonds à faible risque et utilisez le rendement, ou une partie du rendement, mais gardez l’argent dans ce fonds pour les générations à venir également.

En fait, nous avons un tel fonds, mais il ne fonctionne pas parce qu’à chaque fois que nous perdons de l’argent, on veut en prendre dans cette cagnotte.

Exactement, il est facile de créer un fonds, mais il est difficile de l’utiliser correctement. Même le fonds norvégien permet au gouvernement de ponctionner de l’argent s’il le souhaite à travers la banque centrale, mais, à ma connaissance, cela ne s’est jamais produit.

Bio

Sir Christopher Antoniou Pissarides est professeur du2019u00e9conomie et de sciences politiques de la London School of Economics. Il se spu00e9cialise dans lu2019u00e9conomie des marchu00e9s du travail, la politique macrou00e9conomique, la croissance u00e9conomique et les changements structurels. En 2010, il a reu00e7u le Prix Nobel du2019u00e9conomie conjointement avec Peter Diamond et Dale Mortensen. Pissarides dirige u00e9galement un laboratoire u00e0 lu2019Universitu00e9 du2019u00c9tat de Saint-Pu00e9tersbourg en Russie. Son travail le plus influent, Cru00e9ation et du00e9struction du2019emplois dans la thu00e9orie du chu00f4mage, a u00e9tu00e9 publiu00e9 en 1994. En 2005, il est devenu le premier u00e9conomiste europu00e9en u00e0 remporter le prix IZA en u00e9conomie du travail, quu2019il partage u00e9galement avec Dale Mortensen. En 2011, il a occupu00e9 le poste de pru00e9sident de lu2019European Economic Association.

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