Juliette Deschamps: Ce spectacle, c’est l'enfant que j’ai fait en Russie

Timour Abassov
C’est dans une ville de l'Oural que la metteur en scène d’opéra et de théâtre musical Juliette Deschamps a réalisé son rêve : monter sur les planches l’histoire de la grande artiste française Sarah Bernhardt. Début février, la Scène-Molot de Perm a accueilli la première de son spectacle, Sarah Bernhardt Fan Club. Dans un entretien à RBTH, Juliette Deschamps évoque son œuvre, ses projets et son expérience de travail en Russie.

 Crédit : Timour Abassov Crédit : Timour AbassovRBTH : Juliette, comment se fait-il que vous vous soyez retrouvée à Perm ?

Juliette Deschamps : J’ai émis le souhait d’aller en Russie à Marie Raymond qui était chargée de théâtre à l’Institut français de Paris. Et voilà qu’il y a à peu près un an et demi elle m'a contacté pour me proposer de participer à des ateliers qui sont organisés ici, au théâtre de Perm. Très régulièrement le théâtre invite des metteurs en scène de toutes les nationalités à travailler avec leur troupe, et il est très enrichissant aussi bien pour les metteurs en scène que pour la troupe d’avoir des approches et des façons de travailler différentes. Donc l’aventure a commencé au départ juste pour quelques jours de travail en commun.

Et pourquoi la Russie vous a-t-elle attirée ?

JD : J’ai fait de la musique classique et j’étais pianiste. La Russie crée des écoles dans chaque champ artistique et pour les Français il y a une école russe de piano qui est absolument géniale et quand on est pianiste français, on veut tous avoir des professeurs russes. C’est pareil pour la danse et à Perm encore plus, il y a ce ballet réputé et puis cette histoire avec Diaghilev. Pour le théâtre aussi. À part son répertoire et ses auteurs qui sont très montés en France, dont Tchékhov et Boulgakov, le théâtre russe a aussi une école de jeu. Et j’avais envie de me confronter à cette école-là de théâtre.

Tous les acteurs de la troupe sont russes, pouvez-vous évoquer cette expérience ? Avez-vous vite trouvé un langage commun avec eux ? 

JD : Ce qui est très intéressant ici c’est que les acteurs ont une approche extrêmement psychologique des personnages. Or, moi, je viens d’une famille de théâtre et de cinéma qui est très reconnue pour la comédie et je viens d’une école où il n’y a pas de psychologie, on est dans la forme et on pense que l’humour passe par le rythme, par la forme, par la rupture. 

De formation je suis littéraire et musicienne et j’ai donc une approche assez littéraire et assez musicale du théâtre. Non seulement au sens où il y a beaucoup de musique dans mes spectacles, mais je conçois le spectacle comme un texte littéraire et comme une partition. C’est une approche théâtrale de la littérature, car je travaille très rarement avec des pièces de théâtre. Il y a tout un travail d’adaptation littéraire, très peu de psychologie, ce qui est très important c’est de travailler avec ce que sont les gens et pas ce qu’ils font, travailler avec un texte littéraire et leur demander aussi un travail littéraire, c’est-à-dire de dire un récit. Pour eux je crois que c’est difficile d’être dans le récit et de structurer la pièce avec de la musique, mais aussi comme une partition de musique. 

Par ailleurs, pour moi c’est tout à fait normal qu’un homme joue le rôle d’une femme. Donc quand j’ai demandé aux acteurs russes de mettre une robe et de jouer Sarah Bernhardt, j’ai vu qu’il y avait un problème. Là on touche à une question de société et c’est ça qui m’intéresse dans ce spectacle, c’est que dans la société contemporaine, le travestissement d’un homme en femme est toujours perçu comme une chose malade ou ridicule et le théâtre peut aider parfois la société à traiter des choses comme celle-ci. 

Parlez-nous de votre spectacle. Pourquoi avez-vous choisi de concevoir votre pièce autour de la personnalité de Sara Bernhardt ? 

JD : La création d’un spectacle est un processus compliqué, complexe et même douloureux, parce que comme artiste on met quelque chose de nous dans le spectacle. Moi je ne monte pas ce spectacle par hasard ou parce que j’aime bien Sarah Bernhardt, je monte ce spectacle parce que ça raconte quelque chose de ma vie ou de gens que je connais, qui me touche. 

La métamorphose dans laquelle ces gens sont, leur espèce de fanatisme, d'idolâtrie maladroite. Le destin de cette femme qui a été tellement incroyable. Elle était tellement adulée, adorée, mais avait en même temps une vie ratée. Il y a beaucoup de choses qui me touchent. Il y a une douleur et moi je pense que cette douleur elle est nécessaire.

Vous évoquez la douleur. Donc, Fan Club, c’est une histoire triste ?

JD : Toutes les comédies sont tristes, quand on regarde Charlie Chaplin on pleure beaucoup. En fait, Françoise Sagan a écrit un livre sur Sarah Bernhardt, qu’elle a appelé Le rire incassable et j’ai beaucoup aimé parce qu’en effet Sarah Bernhardt a été en permanence attaquée, contrariée, détruite par les critiques, par les collègues, par les rumeurs et détruite même de santé et c’est quelqu’un qui a continué à rire toute sa vie.

L’héroïne de votre spectacle vous est-elle proche ?

JD : Maintenant oui (rires). J’ai beaucoup pensé à elle et j’ai fait un spectacle qui lui aurait plu Je pense qu’elle aurait bien rigolé en regardant ce spectacle, parce qu’elle se moquait bien d’elle-même et elle avait beaucoup d’humour sur elle-même. 

Je me sens proche d’elle sur des thèmes. Je pense qu’être une femme artiste ce n’est pas facile et même aujourd’hui, cent ans après, même en France. Il faut encore se battre comme femme pour exister dans un milieux d’hommes, il faut surtout se battre quand on est metteur en scène aussi pour diriger des équipes où il y a des hommes. Et là Sara Bernhardt a été pionnière.

 Il y a aussi un thème qui n’a pas du tout évolué, c’est le thème de travestissement, même si c’est la base du théâtre. Pendant des siècles les hommes ont joué le rôle de femmes, la scène était interdite aux femmes. Sarah Bernhardt a été très drôle, elle a fait l’inverse. Elle a joué le rôle d’hommes et a été violemment critiquée pour ça.  

Quel avenir augurez-vous pour votre spectacle ?

JD : Je suis très fière car c’est un théâtre de répertoire. Si le spectacle marche bien – pour le moment c’est complet – il va rester à l’affiche pendant des mois et peut-être des années. C’est la première fois dans ma vie que j’ai un spectacle qui rentre au répertoire d’un théâtre. J’ai l’impression que j'ai fait un enfant en Russie et qu'il va grandir en Russie.

Le spectacle est invité au théâtre de Pau, la troupe va venir et au mois de juin. Ensuite j’aimerais beaucoup qu’il voyage en France et je suis en train de travailler pour monter une tournée. J’espère qu’il va voyager en Russie, ça ne dépend pas que de moi.

Pensez-vous monter encore un spectacle en Russie à l’avenir ? 

JD : Je suis quelqu’un de très fidèle dans la vie et j’aime beaucoup développer des collaborations, des aventures. Je pense que ce serait génial de faire avec la troupe un autre spectacle complètement différent, peut-être un autre registre et j’adorerais revenir, faire un autre projet avec la troupe ici, ou travailler à l’Opéra de Perm, car j’ai beaucoup d’admiration pour Teodor Currentzis.

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